car elle sait très bien le cajoler. Sa seule guimpe vaut plus que tous les vêtements du paysan, qu'elle trouve par ailleurs un peu simple et ignorant. Il n'oserait jamais dire ou faire quelque chose qui pourrait lui déplaire. Elle a toujours le dessus sur le paysan, car c'est une femme de la noblesse. Alors, elle lui répond en souriant : « Certainement, je vais vous conseiller du mieux que je sache, mon cher époux, après ce que vous venez de me raconter. Cette nuit, avant le point du jour, faites préparer une charrette avec laquelle nous partirons, vous, Constancette et moi-même. Notre valet Triboulet viendra aussi avec nous, si vous êtes d'accord, car on aura beaucoup de mal avec l'ours s'il s'avère trop lourd. On pourra y arriver ainsi. Il n'y aura personne pour nous épier à cette heure-ci, car nul n'est au courant, et aucun ne nous veut du mal, Dieu merci. » Puis, elle l'embrasse après avoir dit cela. Le paysan est bien aise de ce que sa femme vient de dire. Il se réjouit de ce bon conseil, car il sait bien qu'il n'aurait pu trouver mieux. Il l'embrasse sur la bouche et les yeux. Point besoin de chercher d'autre conseil ailleurs ! Alors, il lui dit : « Ma chère compagne, ma mie, vous avez les bonnes grâces du Seigneur Dieu pour savoir tout cela. Nous ferons comme vous dites. Triboulet n'osera jamais nous dénoncer pour ça. Nous ne lui cacherons pas notre plan, car nous aurons besoin de son aide. Et si Dieu et Sainte Marie le veulent, nous parviendrons à soulever Brun l'ours à tous les quatre sans peiner. » Il termine son propos là-dessus, et attend jusqu'au milieu de la nuit pour préparer sa charrette. Il n'a pas envie de dormir, et ne ferme pas l'œil de la nuit. Puis, il réveille sa femme, Constancette et son valet. Il prend un bâton dans sa main, et met deux flèches à la ceinture, car il sait très bien tirer à l'arc. Liétart avance sur le chemin pour vérifier que personne ne l'épie. Il ne s'y attarde pas, et va préparer sa charrette. Ensuite, il y fait monter sa femme et sa fille, et ils s'en vont en faisant le moins de bruit possible. Il ne fait pas trotter son cheval, mais le fait avancer au pas. Sa charrette ne fait aucun bruit, car il a bien graissé l'essieu. Il défend avec insistance à sa femme et à sa fille pourtant sages, de dire le moindre mot, car les femmes, ça bavarde toujours. Mais, elles se tiennent toutes tranquilles, car elles ont grand-peur qu'on les voie. Quand ils sont sortis du village d'au moins quatre ou cinq portées d'arc, le paysan, bien installé sur la selle de son cheval, le fait descendre un val au petit trot, jusqu'à l'essart où il a enterré Brun l'ours. Ils se mettent à deux de chaque côté, et le déterrent ensemble. Ils le tirent jusqu'à la charrette, et le mettent dedans avec peine. Liétart se fait une grande joie de l'emmener chez lui. Là-bas, il le découpe en gros morceaux, et le dépèce avec son couteau. Il fait laver chaque morceau par son valet dans de l'eau bien claire. Puis, Constancette et sa mère prennent les morceaux, et les cachent dans un coffre. Liétart, qui ne peut se contenir davantage, appelle alors son valet qu'il craint beaucoup, car ils ne sont pas parents. La mine avenante, avec un large sourire, il le prie, au nom de son salut et de l'amitié qu'il a pour lui, de ne rien raconter à quiconque. Le valet lui jure et lui promet qu'il ne le dénoncera pas, et qu'il ne révélera jamais rien qui puisse lui causer du tort, ou le couvrir de honte. Que dire de plus ! | 17436 17440 17444 17448 17452 17456 17460 17464 17468 17472 17476 17480 17484 17488 17492 17496 17500 17504 17508 17512 17516 17520 17524 17528 17532 17536 | Cele qui mout savoit de lobe. Miex valoit que toute la robe Au vilain seulement sa guimple, Que trové l'avoit fol et simple. Ne li ose dire ne fere Chose qui li deüst desplere. Et desus le vilain ert dame Por ce qu'ele estoit gentil fame. Si li respondi en riant : « Certes tout au mien escïent Vos donré je conseil, biau sire, De ce que vos ai oï dire. Enquenuit, devant l'ajornee, Soit une charrete atornee, Et je et vos et Costancete Le metromes en la charete. Et nostre garçon Triboulez Ert ovec nos, se vos volez, Car espoir trop nos greveroit, Por ce que trop pesant seroit. Einssi porrons nos esploitier. Nus ne nos porra agaitier A cele heure, que nus nel set, Ne nus, Diex merciz, ne nos het. » Quant ele ot ce dit, si le bese. Mout par est le vilain a ese De ce que sa fame dit ot. Du bon conseil de lui s'esjot, Bien set ne porroit fere miex. La bouche li bese et les eulx. N'a talent c'autre conseil praigne, Si li a dit : « Bele compaingne, Bele suer, bone grace avez De Damedieu qui tant savez. Nos le feron a vostre los. Triboulez n'ert mie si os De ceste chose nos descovre, Ja ne li celeré ceste ovre. Bien avon mestier de s'aïe. Se Diex plet et sainte Marie, Entre nos .IIII. leverons Brun l'ors, ja grevez n'en serons. » La parole lessent a tant, Jusqu'a la mie nuit errant Fist sa charete apareillier. N'a pas talent de sonmeillier, La nuit ne dort ne ne sonmeille. A mie nuit sa fame esveille, Et Costancete et son garçon, Et prist en sa main .I. baston Et .II. fleches a sa ceinture Que bien sot trere par nature. Avant s'en va toute la voie Por espïer que l'en nel voie. Lietart de riens ne se sejorne, Sa charete afete et atorne. En la charrete monter fait Sa fame et sa fille, et s'en vait Sanz noise fere au plus qu'il pot. Son cheval ne va pas le trot, Aler le fait le petit pas, Et sa charrete ne brait pas, Qar de sieu l'avoit mout bien ointe. Sa moillier et sa fille cointe, Il lor desfent quant que il pot, Que il ne dient .I. sol mot, Que fames jenglent totevoies. Eles se tiengnent totes coies, Que de la gent grant peor ont. Quant de la vile issuz sont Entor .V. archies ou .VI., Li vilain qui estoit assis En la sele sor le cheval L'a fait troter trestot .I. val, Tant sont alez les troz menuz Que il sont a l'essart venuz Ou il avoit couvert Brun l'ors. De la terre l'avoient sors, Dui et dui ensemble se tiennent, Pres de la charete s'en viennent, Dedenz le metent il a paine. Lietart a son ostel le meinne Conme cil qui grant joie en fet. A bones pieces le desfet, Et a son coutelle despiece. A son garçon chascune piece Fait laver en bele eve clere. Entre Costancete et sa mere Les pieces issi con il sont En une huche les repont. Lietart qui plus targier ne velt Ne se targe plus qu'il n'apiaut Son garçon, que plus doute et crient Por ce qu'il ne li apartient. En riant et a bele chiere Le prie, si com il a chiere L'amor et la vie de lui, Qu'il ne le die a nului. Le garçon li jure et afie Que ne le descouverra mie, Ne ja par lui n'ert descoverte Chose dont il li viengne perte Ne mal, ne donmage, ne honte. Por coi vos feroie lonc conte ? |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire