et Renart se dirige vers le bois qu'il préfère à la plaine. La ruse de Renart réjouit le paysan, plus rien ne le décourage, au contraire, son cœur est plein de joie. Il marche en riant vers sa maison, où il se voit déjà avec la viande de l'ours dans son garde-manger. Quand l'aube pointe, le paysan se lève aussitôt, et met un bon couteau sous son manteau. Si Brun l'ours en réchappe vivant, c'est qu'il ne sera qu'un bon à rien. Il prend une cognée bien tranchante qu'il dissimule aussi sous son manteau, et appelle un valet. Mais il trouve le temps long, il voudrait déjà être en train de retrousser la peau de l'ours avec le tranchant de son couteau. Il pique ses bœufs autant qu'il peut, et va au trot vers son essart. Le couteau et la cognée toujours bien cachés sous son manteau, il se met à labourer. Brun ne tarde pas davantage, il connaît tous les sentiers du bois, et arrive à l'essart au pas de course en jetant ses pattes vers l'arrière. Il ne se doute pas de ce qu'il lui pend au nez, et s'imagine déjà en possession de Rougel. Il va droit sur la charrue, et interpelle Liétart à haute voix : « Allez, détache donc ton bœuf. Pourquoi l'as-tu mis sous le joug ? Tu me l'avais pourtant promis au lieu de le faire tirer, sale traître de paysan ! Tu en as encore fait qu'à ta tête. » Liétart, qui sait parfaitement jouer les sots, fait mine d'avoir peur, et lui répond tout bas en tremblant : « Seigneur, ne vous fâchez pas. Rougel ne s'en porte pas plus mal, je vous le rendrai aussitôt que je serai au bout de mon sillon, laissez-moi juste le terminer. » Renart suit toute la scène de près avec attention. Il a un long cor attaché à son cou, il le porte à sa bouche en le tenant fermement, puis, se met à souffler si fort dedans, qu'il retentit dans tout le bois. Après avoir bien sonné le cor, il se met alors à pousser des cris et des huées comme le feraient les veneurs à la chasse, quand ils envoient leurs chiens sur des traces. Quel bruit ! Quel vacarme ! Renart est tellement doué pour le cor et les huées que Brun commence à s'inquiéter en entendant tout ce tapage. Ça ne lui plaît pas du tout ça n'est vraiment pas le moment, et il redoute que ça tourne mal pour lui. Il est aussi étonné qu'inquiet, il tend l'oreille un long moment, mais plus il écoute, plus il craint pour lui. Il a très peur que les chiens l'attaquent, et que les veneurs le prennent. Tremblant de peur, il s'approche de Liétart, sans se soucier de Rougel, peu importe qu'il soit détaché ou pas, et lui dit humblement : « Dis-moi donc, Liétart, sans vouloir t'ennuyer, qui se met donc à faire tout ce vacarme dans cette forêt ? Pour l'amour de Dieu, dis-le-moi s'il te plaît, et je te promets d'être arrangeant. » Liétart réfléchissait déjà comment dire la chose savamment à Brun pour que ça semble vrai, il lui répond comme celui qui sait : « Je vais te dire ce que j'en crois. J'ai entendu dire par un valet, que la suite du comte Thibaut, qui possède cette terre, est venue dans la forêt, qui appartient également au comte. Elle est interdite à quiconque excepté le comte lui-même et ses gens. Si on y trouvait quelqu'un en train de chasser, le comte le ferait pendre sur-le-champ, sans que rien ne puisse l'en empêcher, ni amis, ni nobles, ni argent, ni prières, ni promesses. Je crois que c'est sa suite au grand complet qu'il emmène sur la grand-route, ils sont arrivés ce matin pour la chasse. Les uns portent une épée en acier, et les autres un arc et des flèches. Ils tirent sur toutes les bêtes qui passent, avant de leur donner le coup de grâce. D'autres sonnent le cor qu'ils portent à leur cou, ou poussent des huées. Les bêtes fuient à travers bois, tandis que ceux qui conduisent les lévriers et des gros chiens en laisse, les poursuivent à vive allure. Le comte lui-même leur court après sur un cheval de chasse très rapide. Il veut garnir sa cour de gibier pour la Pentecôte. Ça lui coûte cent marcs chaque année, mais ça sera plus cette année, car je crois qu'il va armer vingt nouveaux chevaliers. Il y a longtemps qu'il a tenu une cour aussi grande que cette année, car il veut réunir les meilleurs de ses chevaliers qui servent Sa Seigneurie. Voilà pourquoi tout ce remue-ménage ! » | 17184 17188 17192 17196 17200 17204 17208 17212 17216 17220 17224 17228 17232 17236 17240 17244 17248 17252 17256 17260 17264 17268 17272 17276 17280 17284 17288 17292 17296 17300 17304 17308 | Et Renart vers le bois se tret Que il amoit plus que le plain. Si a esbaudi le vilain La guile que Renart a faite. De noient plus ne se deshaite, Ainz a le cuer lié et joiant. A son ostel s'en va riant, Que il cuide bien sanz tarder Avoir char d'ors en son larder. Tantost conme l'aube creva, Li vilain tantost se leva, .I. bon coutel mist soz sa chape. Se Brun li ors vis en eschape, Dont ne vaut il mie une alie. Une tranchant coingnie a prise Qu'il mist soz sa chape a celé. .I. garçonnet a apelé, Avis li est que trop demeure ; Il ne cuide ja veoir l'eure Qu'il ait a son tranchant coutel A Brun l'ors reversé la pel. Ses bues chace tant con il pot, A son essart en vint le trot. Et le coutel et la coingnie A soz sa chape bien mucie, Tantdis con entent a arer, Brun ne se volt plus atarder Qui sot du bois tout le trespas, A l'essart vint plus que le pas Des piez derriere regibant. Mes il ne set qu'a l'ueil li pent, Bien cuide que Rougieus son soit. Vers la charue vint tot droit, A haute voiz Lietart escrie : « Deslie, va, le buef deslie. Por coi l'as tu soz le joc mis ? Tu nel m'avoies pas pramis, Desloial vilain deputaire, Que tu le buef feïsses traire ! Tu as or fet ce que te plot. » Lietart qui bien fere le sot D'ome coart chierre et semblant, Li respont basset en tremblant : « Sire, ne soiez pas iriez. Rougieus n'est gueres enpiriez, Orendroit le vos amerroie Quant seré au chief de ma roie. Ma roie me lessiez parfere. » Renart qui tout icest afere A veu de pres et espïé, .I. lonc cor qu'il avoit lïé A son col, mist le a sa bouche, Et si tres durement le touche Et conmence a corner si haut Que retentir en fait le gaut. Et quant le corner li ennuie, Si s'escrie forment et huie Aussi con venerre qui chace Qui envoie ses chiens en trace. Mout fu grant la noise et li bruis, Que mout en fu Renart bien duis Et de corner et de huier, A Brun conmence a ennuier Le bruit et la noise qu'il ot. Mes mie ne li sist ne plot, Ne la vosist pas ore oïr, Qar il en cuide mal joïr. Mout s'esmaie, mout se merveille, Longuement escoute et oreille. Quant plus oreille et escoute, De tant se crient il plus et doute. Mout crient que li chien ne l'asaille Et que li venieres nel baille. De peor tranble, a Lietart vient, De Rougiel plus ne li sovient. N'a or talent que le deslit, Simplement et bas li a dit : « Or me di, Lietart, ne t'anuit, Qui a ceste noise et cest bruit Conmencié en ceste forest ? Por Dieu di le moi, s'il te plest, Par tel covent que miex t'en soit. » Lietart qui tantdis s'apensoit De respondre Brun par savoir Tel chose qui resemblast voir, Li dist a loi d'onme recuit : « Je t'en diré ce que j'en cuit. Je oï dire a .I. ribaut, C'est la gent au conte Tibaut Par qui la terre est maintenue, Qu'en ceste forest est venue Qui est au conte toute quite ; A toute gent est contredite Fors sol au conte et a sa gent. S'on i trovoit honme chaçant, Li quens le feroit tantost pendre, Que ja ne l'en porroit desfendre Force d'amis ne gentillece, Avoir, proiere ne pramesse. C'est, ce cuit, sa mesnie tote Qu'il amena une grant route. Venu sont au matin chacier. Chascun porte .I. espié d'acier, Li autre arc et saetes tiengnent, Par les bestes traiant s'en viengnent Si lor donnent maint mortieus cox. Li autre ont lor cors a lor cox Qui cornent et li autre huient. Les bestes par le bois s'en fuient, Et cil qui tiengnent les levriers Et granz chiens fors enchaannez Corent par le bois a eslez, Et li quens meïsmes aprés Sor .I. chaceor qui tost cort, Car de venoison velt sa cort Garnir a ceste Pentecoste, Qui chascun an .C. mars li coste Et ouan plus li costera, Qar je cuit que li quens fera Noviax chevaliers jusque a .XX. Mes pieça si grant cort ne tint Con il voudra ouan tenir, Qar a sa cort voudra tenir Le miex de sa chevalerie Qui est desouz sa seingnorie. Por ce est la chose si prise. » |
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