et lui répond : « Écoute-moi, je vais te donner un conseil pour que tu récupères Rougel ton bœuf en échange de Blanchet que tu m'as promis. C'est un bon conseil que je vais te donner là, le meilleur que j'ai donné depuis longtemps. Brun l'ours viendra ici demain en s'attendant à avoir Rougel en chair et en os. Au petit matin, avant même la messe, il pensera avoir récupéré son dû. Mais, quand tu arriveras, tu tiendras discrètement dans ta main sous ton manteau, une cognée bien tranchante, fraîchement aiguisée, avec un manche solide, et un couteau qui coupe aussi finement que celui d'un boucher. Moi, je guetterai son arrivée, équipé d'un cor dont je sais bien me servir. Quand je le verrai se pointer, je sonnerai du cor, un peu plus loin, je ferai un tel bruit, et pousserai de tels cris, que le bois et la plaine alentour en retentiront, tu peux me croire. Brun l'ours sera fort surpris, et te demandera ce qui fait tout ce raffut. Tu lui répondras sur-le-champ, sans avoir honte de mentir, que ce sont les serviteurs du comte, à qui appartiennent ce bois et ces terres, qui sont venus chasser le gibier, qu'ils sont tous à cheval ou à pied, munis d'une épée, d'un épieu, d'un arc ou d'une hache, et qu'ils ont l'intention de causer du tort aux bêtes sauvages qu'ils croiseront, car le comte veut être bien garni en gibier pour la fête de la Pentecôte qu'il organise chez lui. Quand tu lui auras raconté ce mensonge, du mieux que tu pourras, sache qu'il sera bien content que tu l'aides à se planquer et à s'enterrer dans l'un de tes sillons. Alors, aide-le s'il t'en prie, ainsi qu'il le fera, j'en suis sûr. Tiens ta cognée contre toi, et quand il sera bien étendu, attends un petit peu, puis, sans jouer les peureux, assomme-le bien vite avec. Frappe et refrappe, cogne et recogne, jusqu'à lui faire une tonsure bien rouge. Enfonce-lui alors ton couteau avec force dans la gorge, et laisse le saigner abondamment, car sa chair n'en sera que meilleur à manger. Tu l'emmèneras en cachette dans la nuit pour éviter les ennuis, car si le comte venait à l'apprendre, il te confisquerait tous tes biens, et peut-être même te ferait tuer. Tu en tireras donc de bons morceaux à saler pour ton garde-manger, et avec la peau, tu pourras faire de bonnes attaches pour tes fléaux. Mais veille à rester loyal, et à me donner ma récompense, car tu auras plus à gagner que moi dans l'affaire, non seulement, tu récupéreras Rougel, et en plus, tu auras l'ours dans le sel bien tranquillement chez toi. Tu t'en tireras vraiment bien. » La ruse de Renart a mis le paysan de bonne humeur, ça l'amuse même beaucoup, jamais il n'en avait entendu une aussi bonne. Liétart le remercie plus de cinq cents fois, et lui dit : « Vous aurez autant de chapons, de poules et de coqs que vous voudrez. Je vous recommande à Dieu, et je m'en vais. » Sur ce, ils se séparent, c'est Brun l'ours qui va avoir des ennuis. | 17100 17104 17108 17112 17116 17120 17124 17128 17132 17136 17140 17144 17148 17152 17156 17160 17164 17168 17172 17176 17180 | Au vilain dit : « Entent a moi. Je te conseillerai en foi Que Rougiel ton buef averas Por Blanchet que tu pramis m'as. .I. bon conseil te diré ja, Meillor que je ne fis piece a. Brun li ors vendra ci demain, Rougiel vodra avoir en plain. Le matinet devant la messe Avoir cuidera sa pramesse. Demain matin quant tu vendras, Souz ta chape en ta main tendras Tout coiement une coingnie Bien tranchant et bien afilee Tot de novel et en fort manche, Et .I. coutel qui souef trenche Con ce fust coutel a bouchier. Et je qui sai bien cors touchier Espierai bien sa venue. Et quant je l'avré bien seüe, Ferai ci pres tel cornerie Et tel bruit et tel huerie Que tout entor moi, sanz mentir, Ferai bois et plain retentir. Brun li ors te demandera, Por ce qu'il se merveillera, Que ce est qui tel noise fait, Et tu li diras entresait ; N'aies mie de mentir honte : “Ce est la mesnie le conte “Qui cest bois est et ceste terre, “Qui venuz sont venoison querre. “Mout sont a cheval et a pié, “N'i a nul qui ne tiengne espié “Ou bon levier ou arc ou hache. “Encui vodront fere donmage “Se il trovent sauvage beste, “Que li quens velt, contre la feste “De Pentecoste, sa meson “Mout bien garnir de venoison.” Quant cest barat dit li avras Au miex que dire li savras, Saches que il avra mout chier Que tu li aides a couchier Et a covrir dedenz ta roie. Et tu le faiz, se il t'en proie, Si fera il, ce sai je bien. Ta coingnie pres de toi tien. Quant bien le verras estendu Et .I. poi avras atendu, Ne sembles mie coart honme, De la coingnie tost l'asonme, Fier et frape, donne et redonne, Tant qu'il ait vremeille coronne. Et le coutel de bone forge Li boute par desouz la gorge, Si le lai durement saignier, Miex vaudra la char a mengier. Par nuit l'en menras en repost, Que domage i aroies tost, Se li quens le pouoit savoir. Il te toudroit tot ton avoir, Il te feroit espoir desfere. Bones pieces en porras fere, En ton lardier le saleras, Et de la pel fere porras Bones eschapes a fleaux. Et gardes que soies loiaux De moi rendre le guerredon, Qar tu en avras grenor don De moi que de toi ne prandrai, Qar Rougel quite te rendrai, Et par moi avras l'ors en sel Tout coiement a ton ostel. Adonc avras bien esploitié. » Bien a le vilain fait haitié La guile que Renart a dite, Et li vilain mout s'en delite. Onques si bonne n'ot oïe. Plus de .VC. foiz l'en mercie, Ce dist Lietart : « A grant plenté Avroiz a vostre volenté Chapons et gelines et cois. A Dieu vos conmant, je m'en vois. » Einssi departent ambedui, Et Brun li ors avra anui. |
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