cher seigneur, est-ce donc vous le fameux Renart ? J'ai souvent entendu parler de vous en bien comme en mal, d'ailleurs, par des honnêtes gens. Il n'y a pas d'ici à Rome plus rusé ni plus savant que vous. Vous avez réussi, grâce à votre intelligence, à avoir le fromage de Tiécelin le corbeau, le fils de Chanteclin. Vous avez si bien su l'enchanter, qu'il s'est mis à chanter et a fait tomber son fromage. Vous en avez ébahi plus d'un qui ont tous loué votre bon sens. Je crois que personne vous ayant demandé conseil de plein gré, n'oserait dire qu'il n'a jamais rien obtenu de vous. Seigneur, pour l'amour de Dieu, donnez-moi un conseil, vous qui en avez déjà tant donnés. Je suis abasourdi, j'en ai la tête vide à cause des soucis, du chagrin et de la colère. Je suis en train de devenir fou à ruminer ma colère à cause des remords. — Parle donc, paysan, je saurai te conseiller pour ce que tu auras à me dire. Tu vas vite t'en apercevoir pourvu que tu me dises la vérité. — Certainement, seigneur, je vais le faire. Le diable s'en est pris à moi ce matin, j'étais sous son emprise malgré mon expérience, et j'ai prononcé des paroles idiotes, indignes d'un homme de sagesse, à cause de ma terre trop dure à travailler. Ce matin, par malheur, j'ai dit à Rougel, emporté par la colère, qu'il était en si mauvais état que le méchant ours pouvait bien le prendre pour le manger. Or Brun l'ours, qui passait par là, a donc voulu l'avoir sans discussion, c'est vrai qu'il l'avait de droit. Il me l'a laissé jusqu'à demain, mais quand le jour se lèvera, je devrai lui rendre. Voilà pourquoi je suis si malheureux, c'est une grande perte pour moi, je n'aurai plus jamais un si bon bœuf, je n'en trouverai nulle part ailleurs. » Renart lui répond en riant à le voir si angoissé : « Paysan, fait-il, ne t'inquiète donc plus, car un jour de répit vaut bien cent sous. Je ne veux plus t'entendre te lamenter, comme on dit : après la pluie vient le beau temps. Grâce à ma ruse et à mon savoir, je vais vite te faire retrouver le sourire. Je peux même te garantir que par le plus grand des stratagèmes, je ferai libérer Rougel, et je t'obtiendrai l'ours en prime, dont tu seras alors débarrassé. Mais à quoi bon, j'imagine que je ne récolterai qu'une bonne punition de ta part, car les paysans, c'est comme les chiens, ça ne pense qu'à faire du mal. — Seigneur, fait-il, ne croyez pas cela. Que le Seigneur Dieu me haïsse à jamais si je vous refusais quoi que ce soit. Si vous me rendez Rougel, vous pouvez considérer comme vôtre tout ce que je possède. — Alors, je veux bien me mettre au travail et t'aider, dit Renart, à condition d'avoir ton beau coq Blanchet que j'ai vu hier dans ton enclos. — Seigneur, je vous le donnerai demain matin sans-faute avec quinze poulets bien gras pour votre bon plaisir. Je les ferai attraper pour vous, n'ayez aucun doute là-dessus. » | 17016 17020 17024 17028 17032 17036 17040 17044 17048 17052 17056 17060 17064 17068 17072 17076 17080 17084 17088 17092 | Estes vos ce Renart, biau sire ? J'ai sovent de vos oï dire Et bien et mal a maint preudonme. Il n'a de ci desi a Rome Plus recuit de vos ne plus sage, Que vos eüstes le fromage, Par vostre sens, de Tiecelin Le corbel, le filz Chanteclin. Bien le seüstes enchanter, Quant vos le feïstes chanter Que le fromage li chaï. Maint preudonme avez esbahi, Mout par avez de sens le los. Je cuit il n'est honme si os Qui de cuer conseil vos rovast Qu'encui en vos ne le trovast. Sire, por Dieu, me conseilliez, Vos qui avez maint conseilliez. Le chief ai vit et estonné De duel et d'ire et du pensé. Trestout est desvoiez mon sens De duel et d'ire et de porpens. — Or di, vilain, conseil avras De ce que dire me savras. Tost t'en porras aparcevoir Mes que tu me dies le voir. — Certes, sire, si feré gié. Bien m'avoit hui main asegié Maufez, et mis en ses lïens, Quant je qui bien sui ancïens Si fole parole disoie, Et sages hons bien resembloie Por ma terre qui trop ert dure. Hui matin par mesaventure Dis a Rougiel com hons irez, Por ce que trop ert empirez, Que max hors mengier le poïst Et que meïsmes le preïst. A itant Bruns li ors i vint, Avoir le volt sanz contredit, Et il fu voir avoir le dut. Jusqu'a demain le me recrut. Le matin quant se levera, A baillier le me covendra. Et si en sui mout tres dolenz, Que li domages i est granz, Que ja mes si bon buef n'avrai, Ne nului ne le troverrai. » Renart en riant li a dit Por ce que trop destroit le vit : « Vilain, fait il, or ne te chaut : .I. jor de respit .C. sols vaut. Garde plus dementer ne t'oie ; Aprés le duel revient grant joie. Par ma guile et par mon savoir Te feré je tost joie avoir. J'ai en talent que je te die, Certes, une mout grant voisdie Que Rougiel quiter te ferai, Et l'ors meïsme te rendrai, Et lors seroies tu bien quites. Mes j'en avré bones merites De toi si con je croi et pens. Mes vilains est aussi con chiens, Et est de trop mal apensez. — Sire, fet il, ja n'i pensez. Ja Damediex tant ne me hee Que ja chose vos soit veee. Se vos Rougiel me pouez rendre, Tout ce que j'ai porrïez prendre Conme vostre chose demainne. — Dont en enterré je en painne, Dist Renart, et bien t'aideraie Se ton biau coc Blanchet avoie Que je vi hier en ton plaisier. — Sire, jel vos iré baillier, Certes demain a matinet, O tout .XV. cras poucinez, Si seront a vostre plaisir. Demain vos en ferai saisir, N'en soiez ja en nule doute. » |
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