se lamente et se désole de sa condition, seigneur Renart pourchasse une proie depuis le matin dans un bois, non loin du chemin. Il entend alors les aboiements de chiens qui se rapprochent de lui, ils le suivent de bien près. Un paysan, loin derrière, crie après les chiens à travers la forêt. Renart n'a pas loisir de s'arrêter, au contraire, il accélère pour se mettre à l'abri. Il se cache dans le creux d'un chêne, en attendant que les chiens le dépassent, car ils l'ont déjà bien fatigué. Il n'en sortira pas tant qu'il entendra les chiens aboyer. Il préfère s'allonger pour se reposer, et finit par piquer un somme. Pendant qu'il est tranquillement dans le creux, le paysan, qui est toujours avec ses bœufs, continue à pleurer, et à se lamenter à haute voix. Renart saute alors de son trou, et se dit qu'il peut partir maintenant, car il n'entend plus aucun chien aboyer. Il sort du bois, et va droit sur l'essart où il voit le paysan pleurer à chaudes larmes. Il court vers le paysan. Il arrive vers lui à grands bonds, et lui dit : « Que Dieu te garde, paysan ! Qu'as-tu donc ? Pourquoi as-tu un tel chagrin ? — Seigneur, je ne souhaite pas vous le dire, car même si je vous l'avouais, ça n'y changerait rien. Si je vous expliquais mon problème, je sais que je n'obtiendrais aucune aide de vous, ni conseil, ni secours. — Félon de paysan, que Dieu te maudisse ! Quel idiot tu es ! je m'en doutais bien, tu ne sais même pas à qui tu as affaire. Si tu le savais, alors tu ne serais ni découragé, ni inquiet pour quoi que ce soit, au contraire, tu serais serein, pour autant que je veuille bien t'aider, car je suis maître dans l'art du plaidoyer, foi que je dois à saint Pampelion. À la cour de Noble le lion, j'ai démêlé des affaires bien difficiles, j'ai souvent changé le tort en droit, et maintes fois le droit en tort, ainsi qu'il convient de le faire pour qui a l'habitude de plaider. De nombreuses bêtes sauvages ont perdu leur temps contre moi : j'ai fait briser la tête à l'une, à l'autre le cou, à une troisième la cuisse. Tu n'imagines pas ce que je peux faire, autant en bien qu'en mal. Un jour, j'ai fait descendre au fond d'un puits seigneur Ysengrin, mon cher compère. J'aurais pu le faire faire à ma propre mère, il ne faut pas s'en étonner. Je l'ai fait monter dans l'un des deux seaux du puits à l'abbaye des moines blancs, je lui ai joué un sacré tour, il s'en est échappé à grand-peine. J'y serais moi-même toujours prisonnier ou mort, si je n'avais pas réussi à y embarquer Ysengrin. Il s'était appuyé sur la margelle du puits qui avait une voûte en plâtre. Je lui ai attendri le cœur en lui faisant croire que je me trouvais au paradis terrestre, il en était pétri de piété. Il m'a dit qu'il voulait aussi y être, mais il lui a fallu souffrir pour exaucer son souhait, car je l'ai fait tomber dans l'eau. C'est lui encore, avant Noël, quand on met les jambons dans le sel, que j'ai fait pêcher dans un étang, grâce à ma ruse et à ma persuasion. Il s'est alors retrouvé avec la queue prise dans la glace, sans qu'il s'aperçoive de la supercherie. J'ai aussi mangé plein de bons poissons et d'anguilles, quand je suis tombé dans la charrette des marchands. Je m'étais fait passer pour mort au milieu de la route, parce que j'avais grand-faim. Ils m'ont jeté dans la charrette, et je me suis trouvé recouvert de poissons. J'ai emporté avec moi de longs colliers d'anguilles fraîches et salées. Un jour, j'ai laissé Ysengrin, mon cher compère, s'en délecter. Il est arrivé jusque chez-moi, après avoir senti l'odeur des poissons. Il me pria humblement avec une petite voix, de lui offrir l'hospitalité. Mais je lui ai répondu qu'il n'en serait rien, et que personne ne pouvait entrer ici, qui ne soit pas de notre ordre. Pour l'allécher et l'appâter, je lui ai donné un morceau d'anguille, dont il s'est léché les babines. Il m'a dit qu'il voulait bien avoir la tonsure, alors je lui en ai fait une bien large. Je n'ai eu besoin ni de rasoir ni de ciseaux, je lui ai éliminé les poils d'un coup, avec un plein pot d'eau bouillante. La tonsure était si bien faite, que les poils et le cuir sont partis ensemble avec l'eau qui coulait. Il avait la tête et le visage à vif, on aurait dit un chat écorché. J'ai souvent roulé Ysengrin dans la farine. Ce ne sont pas des mensonges, au contraire, beaucoup savent que j'ai trompé nombre d'honnêtes gens, corrompu tout autant de sages, et donné plus d'un bon conseil. Je mérite bien le nom de Renart. | 16892 16896 16900 16904 16908 16912 16916 16920 16924 16928 16932 16936 16940 16944 16948 16952 16956 16960 16964 16968 16972 16976 16980 16984 16988 16992 16996 17000 17004 17008 17012 | A soi meïsmes dant Lietart, Entre ces choses dant Renart Praie porchaçoit au matin En .I. bois et pres du chemin, Quant il oï abais de chiens Qui mout li estoient prochains Et mout pres l'aloient suiant, Et .I. vilain aprés huiant Aprés les chiens en la forest. N'a or pas talent que s'arest, Ainz cort a garison et tost. En .I. crues de chesne est repost Tant que li chien l'orent passé Qui mout l'avoient ja lassé. Ne n'a talent d'issir huimés Tant con des chiens oie le glais, Ainz se repose et estendeille. .I. poi dedenz le crues sonmeille. Que que il se repose el crues, Li vilain qui ert a ses bues, Qui pleure et se demente en haut. A tant Renart hors du crues saut. Vis li est aler s'em puet bien, Quant il n'ot nul abai de chien. Du bois ist, a l'essart vint droit, La ou le vilain ester voit Qui se dementoit en plorant. Vers le vilain s'en vint corant, Pres de lui en vint tot le saut, Et a dit : « Vilain, Diex te saut ! Que as tu ? Por quoi fez tel duel ? — Sire, ja nel savrez mon voil, Que se gel vos avoie dit, G'i conquerroie mout petit. Se mon conseil vos descovroie, De vos aïde n'en avroie, Ne nul conseil ne nule aïe. — Fel vilain, que Diex te maudie ! Trop par es fox, ce sai je bien, Que tu ne me connois de rien. Certes se tu me conneüsses, Ja si desconseillié ne fusses Ne de nule riens esmaiez Que tost ne fusses apaiez, Por tant que te vosisse aidier, Que bon mestre sui de plaidier, Foi que doi saint Pampelion. En la cort Noble le lion Ai ge meü mout aspres plais, Et ai sovent de tort droit fais Et mainte foiz du droit le tort. Ainssi covient sovent qu'il tort Qui le plaidier a en usage. Sovent a rendu le musage Par moi mainte sauvage beste : A l'une ai fet brisier la teste, L'une le col, le tierz la cuisse. Tu ne sez que je fere puisse Tant mal ne bien con fere puis. Je fis ja avaler el puis Dant Ysengrin, mon chier compere ; Si feïsse je lors ma mere, Nel doit on tenir a merveille. Jel fis entrer en une seille, El puis ou avoir seilles .II.. Ce fu et bole et guile et gieus En l'abaïe de blans moines ; D'ileuc eschapa il a paines. Ou mors ou retenuz i fusse, S'Isengrin retenuz n'eüsse Qui ert apoiiez en la chastre Du puis qui ert voutez de plastre. De pitié li fis le cuer tendre, Qar je li fis croire et entendre Que g'iere en paradis terrestre. Et il dist qu'il i voudroit estre, Mes ses voloirs le fist doloir, Qar en l'eve le fis chaoir. Lui meïsmes, devant Noel Que l'en met les bacons en sel, Fis ge peschier en .I. estanc Par mon barat et par mon san Si que enz li fu seelee La queue en la glace engelee Si qu'il s'aparçut de la guile. Maint bon poisson et mainte anguile Menjai, que je en fui cheanz, En la charete as marcheanz, Que mort me fis en mi la voie Por ce que trop grant fain avoie. En la charrete fui jetez, Des poissons fui acovetez. D'anguilles fresches et salees Emportai ge granz hardelees, Dont je fis puis tot delechier Ysengrin, mon compere chier, Aprés moi vint a mon manoir, Si senti les poissons ouloir, Simplement a voiz coie et basse Me pria que jel herbergasse. Mes je li dis c'estoit noienz, De l'entrer n'enterroit dedenz Nus hons qui ne soit de nostre ordre. Por alechier et por amordre Li donnai d'anguille .I. tronçon, Dont il delecha son grenon. Dist qu'il vodroit corone avoir, Et je li fis large por voir. Onques n'i oi rasoir ne force, Les pex li abati a force De plain .I. pot d'eve boutice. La coronne fu si faitice Que poil et cuir jus en ala Par la ou l'eve devala, Et teste et vis ot escorchié, Que il senbloit chat escorchié. Ysengrin mui ge ceste sause. Ce n'est mie parole fause, Ainz est de mainte genz seü Que maint preudonme ai deceü Et maint sage enbriconné, Si ai maint bon conseil donné. Par mon droit non ai non Renart. |
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