lundi 18 avril 2016

Le paysan Liétart - Les lamentations du paysan




Brun accepte donc la promesse du paysan,
B


run si prist la foi au vilain
et se met aussitôt en route.
Il entre dans le bois, puis dans une lande touffue,
en quête de nourriture.
Sur ces faits, le paysan
plein de rage et de désespoir, décide
de détacher ses bœufs pour les laisser paître.
Il n'a plus cœur à rien.
Il les libère rapidement,
tellement sa colère est vive.
Il n'a plus envie de labourer.
Puis, il se met à se plaindre à Rougel
à voix haute :
« Je n'ai plus envie de chanter.
Ah ! Rougel, mon très cher bœuf,
je suis malheureux à cause de vous,
mais j'ai le sort que je mérite,
maintenant que je vous ai perdu.
Mes propos aussi insensés que méchants,
vont être la cause de vos misères.
Je vous ai livré dans de bien sales mains.
Brun l'ours, qui est sans pitié,
veut se régaler de vous demain.
Ce repas va me coûter cher.
Il a eu bien raison celui qui a dit :
tant gratte chèvre, qu'elle sera mal couchée.
Je ne connaissais pas ma chance ce matin,
quand j'ai dû vous remettre en d'autres mains
à cause d'une promesse hasardeuse.
Si ma belle Brunmatin, pleine de bon sens,
me blâme et me réprimande
pour cette perte à cause de ma bêtise,
il ne faudra pas que je m'en étonne.
Moi qui ai l'habitude de conseiller
tous mes voisins, même les plus sages,
j'ai bien cherché les ennuis.
Malheureux ! Dieu m'a donc pris en haine,
pour que je me trahisse moi-même de la sorte.
Maudite soit ma langue !
Mais, un malheur n'arrive jamais seul.
Ce que je redoute le plus,
c'est que je perde tous mes biens,
et que la malchance s'acharne tellement sur moi
que mes avoirs ne valent plus rien.
Je suis bien mal loti,
et ça n'est que le premier jour de la semaine.
Je ne pourrai plus être marchand.
Pourtant, parti de rien,
je me suis fait une situation en dix ans,
car j'ai pu mettre de l'argent de côté,
cent livres ou plus,
sans compter le reste.
J'ai trois vignes, des bœufs et des vaches,
du froment et du vin, du lard et du fromage.
J'en ai plus, Dieu merci,
que n'importe quel paysan du coin.
J'ai bien peur que tout cela ne soit réduit à néant,
je crois sans aucun doute
que je suis sur une mauvaise pente.
Hier matin, je croyais à tort avoir
trop de mes huit bœufs pour tirer ma charrue.
Quiconque, portant une bure, ou une massue
grosse et lourde sur ses épaules,
serait en fait bien moins idiot
de le faire, que je ne le suis moi-même.
Il est bien normal que je subisse
les ennuis que j'ai cherchés.
Je vais devoir boire la coupe de la folie jusqu'à la lie.
Personne, que je connaisse,
ne voudra me plaindre pour mon malheur.
J'ai cherché les ennuis,
je les ai trouvés,
et je mérite de les garder. »


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Et se mist maintenant au plain.
El bois, en une espesse lande,
Entra por querre sa viande.
Entre ces choses li vilains
Qui d'ire et d'angoisse fu plains,
Si deslia ses bues por pestre.
Ne puet ses cuers a ese estre.
Por ce les deslia si tost,
Que mautalent avoit mout fort.
De gaaingnier n'avoit talent.
A Rougeoil se prist en alant
A haute voiz a dementer :
« N'ai or pas talent de chanter.
Ahi ! Rougieus, biax bues et granz,
Por vos ai esté mout dolenz.
Si sui je si con estre doi,
Quant je vos ai tolu a moi.
Ma parole fole mauvese
Vos metra demain en malese.
En males mains vos ai jeté.
Brun li ors qui est sanz pité
Demain de vos se gostera,
Cest goster trop me costera.
Voirement dist voir qui le dist :
Tant grate chievre que mal gist.
J'estoie trop aise hui main,
Quant vos metoie en autrui main
Par pramesse la moie chose.
S'or m'en blame et si m'en chose
Brunmatin, la bele, l'aperte,
De ma folie et de ma perte,
Ne me doi mie merveillier.
Je qui soloie conseillier
Toz mes voisins, nis les plus sages,
Or ai porchacié mes domages.
Las ! or m'a Diex trop enhaï,
Quant j'ai moi meïsmes trahi.
Dahez ait hui toute ma geule !
Qui avient une, n'avient seule :
C'est ce que je crien et redout
Que je ne perde le mien tout,
Que si sovent ne me meschie
Que mes avoirs a noient chie,
Qar donnee m'est male estraine
Au premier jor de la semainne.
Or ne seré mes marcheant.
J'estoie de si grant noient
Venuz en auques en .X. anz
Que deniers avoie gisanz,
Bien entor .C. livres ou plus,
Sanz autre chose le sorplus ;
.III. vingnes ai et bues et vaches,
Formenz et vins, lars et fromaches
Avoie plus, la Dieu merci,
Que vilain qui soit pres de ci.
Or crien tant que a noient n'aille,
Et cuit et croi sanz nule faille
Entrez sui de perdre en la voie.
Hier main m'ert avis que j'avoie
Trop en .VIII. bues en ma charue.
Tel porte burel ou maçue
Grosse pesant desor son col,
Qu'en devroit tenir a mains fol
En touz endroiz que je ne sui.
Il est bien reson que l'anui
Que je m'ai porchacié reçoive.
Droiz est que ma folie boive.
Certes ja mes hons que je sache
Ne me plaindra de mon domage,
Que je l'ai quis et porchacié,
Si l'ai conme je l'ai tracié,
Si est bien raison que je l'aie. »
L'ours, Renart et le paysan Liétart C'est de l'ours et du Renard et du villain Lietard (28)
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