et ne me prends pas pour un idiot. À trop attendre, on finit par tout perdre, je le tiens de Renart, expert en tromperie, qui a dit aussi : mieux vaut tenir que quérir. Il faudrait que je sois fou de naissance, pour te rendre ce qui m'appartient, et je le serais d'autant plus, en le faisant seulement pour tes belles paroles, alors que ça me tient tant à cœur. Bien fou qui prend autrui pour fou ! Si je remettais à demain ce que j'ai à portée de main, tu serais en droit de me prendre pour un fou avéré. Si je venais à abandonner ce bien qui est maintenant à moi, alors je me serais fait piéger comme un imbécile. Si je le laissais s'échapper de mes mains, je crois bien, par saint Jean, que je ne le reverrais plus de l'année. Tu ferais tout ton possible pour éviter de te trouver sur mon chemin. Tu m'aurais ainsi joué un sale tour, et comme on dit : pour bien fait, cou brisé, ou encore : pour un bon service, on est rendu en mal. Si je te croyais sur parole, tu aurais vite fait de la renier. Je me méfie de tous les paysans du monde, à cause de l'un d'eux dont je me souviens bien, comme on dit : chat échaudé craint l'eau froide. Je me suis vraiment bien fait avoir par une saleté de paysan de la pire espèce, qui n'a pas tenu sa parole cette année, sans jamais s'en repentir, ni me demander pardon, ou me faire amende honorable. C'était avant les vendanges, quand il a juré devant Dieu et tous ses anges, que s'il lui donnait la joie éternelle, il se rendrait directement chez moi, et que si Dieu lui donnait la santé, il me donnerait une grande quantité de ses rayons de miel, que j'aime le plus au monde, si je lui rendais ses deux chevaux, que je comptais manger le soir même. Je l'ai cru sur parole, ce qui est bien bête, car il n'y a pas de pire gage que celui d'un paysan. Je ne les aime pas beaucoup, car celui-là m'a bien menti. Je n'ai plus envie de leur faire confiance, aucun honnête homme ne devrait les avoir en estime. On ne peut ni diriger ni contraindre un paysan. Il se croit tiré d'affaire, quand on veut bien le croire sur parole, et ne fera même pas un effort pour demander pardon. Le paysan n'a que du mépris pour la parole donnée, il n'y accorde aucune valeur. Il faut vraiment être fou pour lui rendre justice, quand on peut le traiter autrement, car il se fiche de tout. Je ne conseille pas à un seigneur terrien, qui a pris et enfermé un de ces paysans à cause de la taille, ou pour un forfait, de le laisser partir libre sur sa seule parole, car rien n'est moins garanti. Je dis cela parce que j'en ai fait les frais. Le paysan n'est pas du tout troublé quand il s'agit de jurer sa foi. Aucun homme honnête ne doit s'y fier. Je ne sais comment croire que tu serais prêt à renoncer à Rougel ton bœuf, car, si je t'écoutais, je redoute déjà la tricherie et la mauvaise foi, que j'ai maintes fois trouvées chez tes semblables. — Seigneur Brun, c'est la pure vérité, lui répond le paysan en pleurant fort. Je le sais bien, que Dieu m'en soit témoin, il y a toutes sortes de gens en ce bas monde, certains qui sont exempts de tout péché, et beaucoup qui sont souillés de tous les péchés mortels. Nombreux sont les fourbes, il y en a plus que de saints, qui ne se troublent pas à l'idée de trahir leur parole pour un rien. Mais, d'autres, et ce n'est pas une fable, sont honnêtes et sincères, le cœur tourné vers dieu, qui ne voudraient à aucun prix ni pour aucune raison manquer à leur parole. Que Dieu ne me laisse jamais renier ma parole envers quiconque. Il faudrait que je sois vraiment en proie au péché, et que Dieu m'ait abandonné, pour que je manque à ma parole. Pour l'amour de Dieu, laissez-moi Rougel, il vous sera rendu sans-faute demain. Par la foi que je dois à Brunmatin ma femme, demain matin, ici même, je vous le ramènerai, et je ne vous ferai pas faux bond. » Brun l'ours lui dit : « D'accord, emmène-le, et donne-lui donc du foin et de l'avoine. Je voudrais qu'il soit plus gras, mais je sais que ça n'est pas possible, car il lui faudrait un long repos. Je comptais bien en faire mon dîner pour calmer ma faim, mais je l'apprécierai tout autant demain que maintenant. Je vais de ce pas chercher une autre proie. » | 16704 16708 16712 16716 16720 16724 16728 16732 16736 16740 16744 16748 16752 16756 16760 16764 16768 16772 16776 16780 16784 16788 16792 16796 16800 16804 16808 16812 16816 | Ne me tenez mie a estruit. Qui aise atent, aise li fuit : De Renart qui guiler ne fine Tien ge cest sens : mout vaut sesine. Se je rent ce dont sui saisiz, Dont seroie je fox naïs. Certes mout en seroie fol, Se ce que je tieng an mon col Rendoie par bele parole : Mout est cil fox qui fox afole. Se ge metoie hui a demain Ce que je tieng ore en ma main, Dont m'aroies tu bien trové Apertement por fol prové, S'en aventure me metoie De la chose qui or est moie, Bien seroie fox atapez. Se de mes mains ere eschapez, Je cuit et croi, par saint Johan, Ne revendroies mes ouan. A ton pooir te garderoies De metre toi en mi mes voies. Einssi m'avroies tu mal fet, Que l'en dit : de bien fet col fret. Mal por bien a l'en por servise. Se ta foi en avoie prise, Tost en mentiroies ta foi. Tot les vilains del mont mescroi Por .I. vilain dont me sovient, L'en dit : eschaudé eve crient ; Par foi bien eschaudé doi estre Por .I. fel vilain de put estre Qui ouan sa foi me menti, Ne onques ne s'en repenti, Ne respit ne m'en demanda, Ne vers moi ne s'en amenda. Ce fu ouan devant vendenges Que il jura Dieu et ses anges, Et que se Diex li donnast joie, Que vers moi iroit droite voie, Que se Diex li donnast santé, Il me donroit a grant plenté De ses breches et de son miel Que je aim plus que riens soz ciel, Se ses .II. chevax li rendoie Qu'essoir a mengier atendoie. J'en pris sa foi, n'en fui pas sages, Que ce est toz li pires gages Qui soit en l'ostel au vilain. Je ne sui pas cil qui trop l'ain, Qar il m'en a sa foi mentie. De foi n'ai je nule envie, Nus preudons ne la doit prisier. On ne puet mie justicier Vilain ne avoir en destroit. Bien li semble qu'eschapez soit Quant on le veut par sa foi croire. Ja puis ne fera .I. sol oirre Por querre de sa foi respit. Trop a vilain foi en despit, Que il ne l'ainme ne ne prise. Fox est qui par foi le justice, S'il le puet en autre maniere Justicier, quar il l'a pou chierre. Ne plest pas au seignor de terre, Se son vilain prant et enserre Por son forfet ou por sa taille, Que li vilain quite s'en aille Por sa fiance seulement ; Poi i a d'aseürement. Je di ce que j'ai essaié. Ne sont pas vilain esmaié, Puis que vient a foi afïer. Nus preudons ne s'i doit fïer. Je ne sai conment je te croie Que Rougiel ton buef te recroie, Car je dout mout, se le te croi, La tricherie et la nonfoi Que j'ai en mains autres trovee. — Sire Bruns, c'est verté provee, Ce dist li vilains qui fort pleure. Bien le sai, se Diex me seceure, De mainte guise a gent el monde Qui tout jors sont de pechié monde Et mout en i a d'entechiez De toz les criminaux pechiez. De desleax en i a mains ; Plus en i a qu'il n'a de sains, Qui ne se vont pas esmaiant De mentir lor foiz por noient ; Et de plusors, ce n'est pas fable, Qui sont preudons et veritable Et ont a Damedieu bon cuer, Et ne vodroient a nul fuer Por nule riens lor foiz mentir. Ja Diex ne m'i laist consentir Que ma foi mente a honme né : Trop m'aroit pechié sormonté Et Diex mis en grant oubliance, Se je mentoie ma fiance. Por Dieu Rougiel me recreez, Ja demain ne vos ert veez. Par la foi que doi Brunmatin, Ma moillier, demain bien matin Ci meïsmes le t'amenrai, Que ja vers vos n'en mesprandrai. » Brun li ors li dit : « Or l'en mainne, Si li donne fain et avainne. Je vodroie que il fust cras, Mes ce ne puet ore estre pas, Que sejor li covendroit grant. De lui me cuidai maintenant Digner et ma fain estanchier, Mes je l'avré autretant chier Demain con orendroit avroie. Mes g'irai tandis querre proie. » |
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