que Dieu lui prête longue vie et le comble de tous ses désirs, a mis son intelligence et toute son attention à composer une nouvelle branche de Renart, qui s'y connaît tant en ruse. C'est un bon conteur, pour sûr, il sait témoigner de l'authenticité d'une histoire, ainsi que je l'ai entendu raconter celle-ci, il surpasse tous les conteurs d'ici jusqu'aux Pouilles, qu'on se le dise. C'est pour cela qu'on doit encore plus croire que l'histoire qu'il nous raconte est vraie. C'est arrivé il y a fort longtemps, si le livre ne nous ment pas, mais nous raconte la vérité. Un paysan, qui a beaucoup de biens, un nanti aussi économe qu'avare, plus riche encore que Constant des Noues déjà considéré comme très aisé, attelle ses bœufs de bon matin, dans son nouvel essart près d'un grand bois, pour la grande récolte qui s'annonce. Il se dit qu'il est arrivé bien tard dans son essart, alors qu'il ne fait encore guère jour. La tranquillité, le confort, le repos, ou les distractions n'intéressent pas le paysan, pas plus qu'il n'aime rester au lit. Dès qu'il voit le jour apparaître, plutôt que de prendre ses aises, il préfère se mettre à l'ouvrage, car un paysan peut endurer beaucoup. Ce paysan, dont je me permets de vous conter l'incroyable aventure, a une charrue avec sept bœufs. On ne connaît pas dans les parages, de meilleurs bœufs que les siens, et il y en a un, meilleur que tous les autres, qui s'appelle Rougel. Mais, il l'a tant forcé à épandre partout son fumier, et à le faire trimer en toute saison, qu'il avance maintenant d'un pas lent, car il est devenu maigre et fatigué après tant de labeurs. Le paysan, cruel et violent, le trouve trop lent, alors il le pique, et lui dit en colère : « Rougel, vous êtes trop lent. Je me suis souvent opposé, pour vous, à mes voisins qui vous considèrent avec mépris. Ils me disent que si j'étais en manque d'argent, je n'obtiendrais même pas vingt-deux sous de seigneur Durant contre vous. Et je leur ai toujours répondu, c'est la vérité, honte à moi si je mens, que je n'en accepterais pas trente, ni même trente-cinq au marché. Mais, on dirait que vous avez le cou plus chargé qu'aucun des sept autres dans cet attelage. Vous n'avez encore guère tiré, pourtant, vous êtes déjà fatigué du matin. Avant même que la journée soit terminée, je souhaite que le méchant loup vous dévore, car vous me retardez à chaque sillon de terre qu'on laboure. À cause de vous, je vais devoir chercher un autre bœuf à la foire de mai. Que Dieu m'évite les ennuis ! Je préférerais qu'un ours ou un loup vous fasse la peau sans plus tarder, car je n'ai plus grand-chose à tirer de vous, vous portez la tête bien trop basse. Que le méchant loup vous attaque aujourd'hui même ! » | 16444 16448 16452 16456 16460 16464 16468 16472 16476 16480 16484 16488 16492 16496 16500 16504 16508 16512 16516 16520 | Qui Diex puist doner bone vie Et ce que plus li atalente, A mis son penser et s'entente A fere une novele branche De Renart qui tant set de guenche. Uns bons conterres, c'est la vraie, L'estoire nos tesmoingne a vraie — Car i l'oï conter el conte — Qui touz les conteors sormonte Qui soient de ci jusque en Puille, Mes que chascun oïr le voille. Et por ce la doit on miex croire Qu'il tesmoingne l'estoire a voire. Il avint ancïennement, Se l'escripture ne nos ment Qui aferme le conte a voir, C'un vilain qui mout ot d'avoir, Tenans, esparnables et chiches Plus que Costant des Noes riches C'on tenoit a riche et a plain, En son novel essart bien main Pres d'un grant bois ses bues lia Por le grant gaaing qu'il i a. Mes vis li est que il soit tart Venuz a tant en son essart, Si n'ert encor gueres de jor. Mes repos, aise ne sejor Ne deduit a vilain ne plest. N'a cure qu'en son lit arest ; Puis qu'il voit le jor aparoir, Ne puet vilain nule aise avoir, Ainz velt aler s'ovraingne fere, Qar mout par puet vilain mal trere. Cil vilains dont je vos conmanz A conter merveilleus romanz .VIII. bues en sa charrue avoit, En la contree on ne savoit Meillors bues qu'estoient li suen, Mes sor touz en i ot .I. buen Qui estoit apelez Rougieus. Mes tant l'avoit par les fors lieus A son fiens trere demené, Et toutes les saisons pené, Que lentement aloit le pas, Por ce que megres ert et las De granz travax, et auques megres. Li vilains qui fu fel et aigres, Por ce que trop le sent a lent Le point et dit par mautalent : « Rougieus, trop estes alenti. Por vos ai sovent desmenti Mes voisins qui vos despisoient Et por ce que il me disoient Que je n'aroie pas de vos, Tant fusse d'argent soufroitous, .XXII. sols de dant Durant. Et je disoie vraiement Por verité, que je n'en mente, Que je n'en prandroie pas .XXX., Non voir .XXXV. au marchié. Or avez plus le col charchié Des lïens que n'a nus des .VII., Si n'avez encor gueres tret ; Trop matin estes ja lassez. Ainz que cist jors soit trespassez, Vos puissent mal leus devorer, Qar trop me fetes demorer A arer .I. seillon de terre. En lieu de vos me covient querre .I. buef a la foire de mai. Se Diex me desfende d'anoi, Je vodroie que ors ou lous Vos eussent osté a rebors Cel peliçon sanz demorance, Que poi pris mes vostre puissance. Trop portez or basse la chierre. Max leus hui cest jor vos requiere ! » |
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