dans le sentier d'une colline, sur le point d'annoncer à ses compagnons, que leur blé mériterait d'être fauché. Quand il s'aperçoit qu'il a déjà été foulé, couché, et arraché, et qu'il les voit tous allongés l'un à côté de l'autre en train de dormir, il est à la fois furieux, abattu et malheureux. Il dit tout bas entre ses dents : « Si je pensais pouvoir m'en tirer sans rien laisser d'autre que la peau des pattes, je tuerais ces goinfres pour m'avoir trahi. » Ysengrin lève la tête, et aperçoit Renart : « Welcome, bienvenu à vous, Renart, venez donc vous asseoir, je voulais justement vous voir. » Renart ne parvient à émettre aucun son, il se met à trembler de colère, puis finit par dire : « Je ne vous salue pas, seigneur Ysengrin, par saint Thomas, ni vous autres qui êtes ici, pour la honte et les torts que vous me faites. Vous avez failli à notre accord, vous avez transgressé votre engagement, fils de pute, traître de cocu. — Renart, il ne suffit pas de le dire pour que je sois cocu, répond Ysengrin. Je peux vous assurer que jamais vous n'avez eu de relation avec Hersent, ma douce amie. Vous vous en êtes vanté, mais sur ma tête, vous mentez, car sur cette terre, Dieu merci, il n'y a pas de dame plus loyale qu'elle, elle en est la preuve même. Mais si je vous ai causé du tort, allez plutôt chercher justice de ce pas, et au plus vite. Je ne suis pas sous vos ordres, et vous ne m'êtes pas cher au point de devoir vous faire réparation, ni de vous offrir mes excuses, par la foi que je dois à Noble le lion. Ni Maupertuis, ni maison forte ne vous protégeraient de moi, ni même la paix que le roi m'a fait promettre, si je ne pensais pas l'ennuyer avec ça, vous ne porteriez déjà plus votre pelisse. Malheur à vous pour m'avoir traité de parjure, fils de pute, saleté de rouquin. Vous êtes mon ennemi mortel, méfiez-vous toujours de moi. Foi que je dois à la noble Hersent, je vous ferai faire le grand saut avant qu'arrive le mois d'août. » Renart voit bien qu'Ysengrin est furieux, et prêt à lui faire du mal, il lui répond alors avec retenue : « Je vous invite, pour le dimanche de Laetare, cher seigneur et compère, à venir à la cour de l'empereur, vous et vos autres compagnons, pour qu'il tranche nos différends. » Ysengrin dit : « Maudit soit quiconque ne relèverait pas ce défi. Pour que le droit et la justice prévalent, je veux que chacun y soit. » Les autres le lui promettent. Renart part alors d'ici, et avance sans relâche, sans s'arrêter, la nuit comme le jour, jusqu'à la cour du roi. Il y retrouve, à ce que je crois, Ysengrin et sa compagnie qui se sont installés dehors. Il ne salue aucun d'eux, et rentre par un guichet. Il salue le roi à haute voix, à la façon de ceux qui savent exprimer leur propos avec sagesse : « Sire, ô mon roi, que le fils de Sainte Marie vous donne sa plus grande bénédiction, ainsi qu'à toute votre compagnie. » | 15964 15968 15972 15976 15980 15984 15988 15992 15996 16000 16004 16008 16012 16016 16020 16024 16028 16032 16036 16040 16044 16048 | Par mi la sente d'un pendant ; Ses compaingnons cuidoit noncier Quant lor blé feroit a soier. Quant il le vit si defolé Et abatu et estrepé, D'autre part veoit ceus gesir L'un delez l'autre fer dormir, Iriez en fu, maz et dolenz ; En bas a dit entre ses denz : « Se vif eschaper m'en cuidasse Et que du mien plus n'i lessasse Que de mes cuisses les breons, Je oceïsse ces gloutons Qui vers moi se sont parjuré. » Ysengrin a le chief levé Si a Renart aparceü : « Willecome, bien viegnes tu, Renart, quar vos venez seoir. Mout vos desirroie a veoir. » Renart ne pot .I. mot soner, De mautalent prist a trembler Et dist : « Je ne vos salu pas, Sire Ysengrin, par saint Thomas, Ne ces autres, qui ici sont, Qui donmage et honte me font ; Menti m'avez de covenance Et trespassé vostre fiance, Filz au putain, desloiaus cox. — Renart, ce n'est mie de vos, Dist Ysengrin, que je cous soie ; .I. serement vos en feroie Q'ains a Hersent, ma doce amie, N'eüstes part ne compaingnie. Si vos en estes vos vantez, Mes par mon chief vos i mentez Qu'en ceste terre, Dieu merci, N'a plus loial dame de li ; Ele en a bien le tesmoingnage. Mes se je vos ai fet donmage, Si en querez vostre droiture Isnelement grant aleüre. Je ne sui pas en vo dangier, Ne ne vos ai mie tant chier Que vos en port droit ne amende, Ne nul escondit vos en rende, Foi que doi Noble le lion ; Ne Malpertuis ne fort meson Vers moi ne vos garantiroit, Ne por la pes ne remaindroit Que li rois m'a fet fiancier ; Se ne li cuidasse anoier, Du pliçon n'en portissiez mie. Mar m'apelastes foimentie, Filz au putain, rous venimeus ; Mes anemis estes mortieus, Onques n'aiez vers moi fiance. Foi que je doi Hersent la franche, Je vos feré .I. saut saillir Ainz que voiez aoust venir. » Renart voit Ysengrin irié Et de mal fere encoragié, Si respondi assez par sen : « A Letare Jerusalem, Je vos envi, sire compere, Droit a la cort a l'emperere, Vos et voz autres compaingnons ; La nos departira raisons. » Ysengrin dist : « Mal dahez ait Cil qui cest enviail vos lait ; Por droit fere et por prandre droit Voil je bien que chascun i soit. » Einsi l'ont tuit acreanté. Es vos Renart d'iluec torné Ainz puis n'ot gueres de sejor, Ainz ne fina ne nuit ne jor, Tant qu'il vint a la cort le roi. La trova il, si con je croi, Ysengrin et sa compaingnie Qui la defors s'estoit logie ; Onques .I. sol n'en salua. Par .I. guichet laiens entra, Le roi salue hautement, Si conme cil qui sagement Savoit bien dire sa raison : « Sire rois, grant beneïçon Vos doint li filz sainte Marie Et toute vostre compaingnie. » |
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