je me souviens très bien, tu avais tellement bu que tu étais ivre. Puis tu t'es vanté que même sans livre, tu saurais chanter un motet. Alors, tu t'es mis à faire un tel boucan, que tous ceux du village ont rappliqué croyant à un miracle. Que pouvais-je faire d'autre que m'enfuir quand j'ai entendu leurs hurlements ? Je me suis mis aussitôt au galop, car j'avais grand-peur de mourir, j'ai même failli me faire attraper, mais je m'en suis tiré du mieux que j'ai pu. Ils auraient dû nous prendre tous les deux, car il nous ont bien surpris. Si tu t'es fait battre, qu'y puis-je ? qui mal cherche, mal trouve. — Renart, Renart, tu t'y connais en tromperie, tu t'es tiré de maintes embrouilles. Renart, fait-il, sale engeance, tu m'as pris pour un sot aussi, quand tu m'as fait la tonsure comme à personne avec de l'eau chaude, une si grande et si large, que j'en ai la tête encore toute pelée, il ne me reste même plus de poils sur les joues. Puis tu t'en es allé en faisant tes grimaces, alors que tu devais faire de moi un moine. Tu as vraiment une sale nature, à cause de toi j'ai la chair meurtrie. J'ai été bien fou de te croire une autre fois, quand tu m'as donné un morceau d'anguille, que tu avais soi-disant gagnée par la ruse, pour m'allécher et me tenter. Tu m'as fait trébucher tant de fois ! Je t'ai demandé où tu les avais trouvées, et pour me tromper, tu as inventé que des charretiers en transportaient tellement qu'ils ont bien failli en jeter, et que j'avais trop tardé à venir alors qu'ils s'en allaient si bien chargés. Il y avait tant d'anguilles que les chevaux s'arrêtaient souvent, tellement ils peinaient à tirer une si lourde charrette. Je t'ai demandé de quelle manière je pourrais me remplir la panse, tu m'as répondu qu'après t'avoir trouvé, ils t'ont jeté dans la charrette, et t'ont prié, après t'avoir bien laissé manger, de surveiller le reste. Tu m'as tellement incité que j'ai fini par aller au-devant, et fait semblant d'être mort. Mais ils m'ont battu à grands coups de barres et de bâtons, j'en ai encore mal au derrière. Il n'est pas étonnant que je sois si contrarié de n'avoir pu me venger de toi. Le jour le plus long de l'été ne suffirait pas pour raconter tous les maux et les ennuis que tu m'as faits. Mais l'affaire a pris une telle ampleur que nous nous retrouvons à la cour maintenant, et si nous nous en tenons au droit, j'aurai bientôt vengeance de toi, car j'ai toute confiance en Dieu. Je t'ai toujours traité avec loyauté, et tu as toujours été déloyal avec moi. Pour t'en sortir, quoi qu'on en dise, ta renardie te sera peu utile. » Renart répond avec assurance : « Seigneur Ysengrin, vous avez tort, je ne sais pas de quoi vous m'accusez. D'ailleurs tous les barons restent muets, continue Renart, parce que vous en dites trop au point de passer pour un sot. Vos intentions sont évidentes, car vous avez menti ouvertement, et à trop mentir, on perd son âme. — Ah ! Renart, je n'ai que trop souffert de tous les ennuis et tout le mal que tu m'as fait, mais si le roi m'en donne la permission, tu auras la guerre, ça te pend au nez. » Renart répond : « Je ne demande que ça. » | 14840 14844 14848 14852 14856 14860 14864 14868 14872 14876 14880 14884 14888 14892 14896 14900 14904 14908 14912 14916 14920 | De ce sui bien en mon recort Que tant beüs que tu fus yvres, Si te vantas que tu sanz livres Chanteroies bien .I. conduit. Lors conmenças a si grant bruit Que tuit cil de la vile vindrent, Qui a grant merveilles le tindrent. Qu'en poi je, se je m'en foui, Quant j'oï venir si grant hui ? Je me mis tantost au grant cor, Qar de morir ai grant peor ; Retenuz i fui a par poi, Mes je m'en ving au miex que poi. Avoir nos durent entrepris, Qar il nos avoient soupris ; Se fus batuz, a moi qu'en tient ? Qui mal chace, mal li avient. — Renart, Renart, mout ses de boule, Tu t'ez jetez de mainte foule. Renart, fait il, de pute part, Ja me tenis tu por musart, Quant tu me feïs grant coronne D'eve chaude, conme a personne, Si grant, si ample et si lee ; La teste en ai toute pelee, Ne me remest poil sor les joes. Tu t'en alas faisant tes moes ; De moi devoies moine fere. Certes mout es de pute afere, Par toi est ma char afoiblie. Aillors te crui, si fis folie ; .I. tronçon me donnas d'anguille Qu'eüs conquise par ta guille, Por moi fere plus alechier ; En maint lieu m'as fet trebuchier. Je demandai ou les trovas ; Por moi deçoivre controuvas Que charretier tant en portoient, A bien petit ne les gitoient ; A poi n'avoie trop targié, Il s'en aloient bien chargié. Des anguilles i avoit tant ; Sovent s'aloient arestant Li cheval, traiéent a painne La charrete, tant estoit plainne. Je demandai par quel semblance J'en porroie emplir ma pance ; Tu me deïs, quant te troverent, Qu'en lor charrete te geterent Et proierent q'assez menjasses Et que le remanant gardasses. Tant m'en alas amonestant Que je m'en reving au devant Et je fis semblant d'estre mors ; La fui je batuz a esfors Et de leviers et de bastons, Encor m'en dolent li crepons. N'est merveilles se j'oi anui, Quant de toi vengiez ne me sui. En .I. des plus lons jors d'esté N'aroie je pas raconté Les max, les anuiz que m'as fez. Mes or est tant meüz li plez Qu'a la cort en sonmes venu ; Se a droit en sonmes tenu, De toi avré encor venjance, Bien en ai en Dieu ma fiance. Je t'ai menee loiauté Et tu moi grant desloiauté ; Quant m'estordras, que que nus die, Petit savras de renardie. » Renart respont par reconfort : « Sire Ysengrin, vos avez tort ; Vos m'encusez ne sai de quoi, Cil autre baron sont tuit coi, Dist Renart, por ce que dis trop Tel i a qui vos tient por sot. Vostre reson est descoverte Que mençonge avez dite aperte, Et cil qui trop ment s'ame pert. — Haï ! Renart, trop ai soufert Ton grant anui et ton desroi ; Mes se j'en ai congié du roi, Ja avras la bataille a l'ueil. » Renart respont : « Riens tant ne voil. » |
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