dimanche 3 mai 2015

Le duel de Renart et d'Ysengrin - Renart s'explique




— Renart, tu peux toujours te vanter,
R


enart, de tant te puez vanter,
tu sais bien chanter la messe pour les sots,
c'est chose connue
que tu as trompé maintes bêtes.
Tu as une telle autorité en la matière
qu'il n'y a point de vérité en toi.
À force de conseils tu m'a convaincu
de monter dans un seau,
pour descendre dans un puits.
Je te souhaite la pire rage de dents !
Tu as déshonoré tant de monde
que personne ne saurait en faire le compte.
Tu m'as raconté qu'on pouvait y vivre,
que c'était le paradis terrestre,
qu'il y avait des fermes,
des bois, des plaines, des prairies,
et que personne ne pourrait rien demander
qu'on ne pourrait y trouver.
Celui qui voulait manger du poisson,
des brochets, des truites ou des saumons,
pouvait en avoir autant qu'il lui plairait.
On se servait à volonté
car l'endroit était fort bien garni.
Tu t'es bien moqué de moi,
je croyais que tu disais vrai,
mais j'aurais dû savoir.
Tu m'as bien trompé cette fois là,
je suis entré dans le seau sans plus attendre,
et la corde s'est déroulée.
Tu étais déjà dans l'autre seau,
mais comme je suis plus lourd que toi,
sale traître de trompeur,
je me suis mis à descendre, et toi tu montais.
Quand on s'est croisé au milieu du puits,
j'étais pâle de colère,
tu es vraiment plein de perfidie.
Je t'ai demandé ce que tu allais chercher,
tu m'as répondu que tu t'en allais,
car telle était la coutume,
quand l'un arrive, l'autre part.
Tu t'étais échappé de l'enfer,
et je m'y retrouvais prisonnier,
je restais là, et tu en sortais,
voilà comment tu m'as trahi.
J'ai souffert le martyre,
j'avais de quoi boire à souhait,
on m'a enfoncé la tête sous l'eau trois fois,
j'ai enduré les pires souffrances.
Les moines blancs m'ont tiré dehors,
mais ils m'ont tant battu sur tout le corps
à coup de béquilles et de bâtons,
que je me suis retrouvé à plat ventre.
Ils m'ont donné une telle quantité de coups,
qu'ils m'ont laissé pour mort
dans un fossé puant.
Ils m'ont jeté dedans par la queue,
avant de s'en retourner.
Il m'ont laissé croupir là-dedans,
j'aurais dû y crever de peur,
j'ai trop souffert à cause de toi.
Je m'en suis sorti à grand-peine,
j'étais à bout de souffle,
je le ressens encore dans tous les membres,
rien que d'y repenser ça me rend malheureux.
Tu m'a fait pêcher aussi,
je me suis retrouvé accroché dans l'eau,
j'avais la queue toute gelée
et prise dans la glace.
Je n'ai pas pu me dégager
sans y laisser la queue.
— Ysengrin, es-tu sérieux quand tu dis
que tu l'as perdue à cause de moi ?
Ma foi, tu parles à tort et à travers,
c'est la gourmandise qui t'y a poussé.
Tu étais si affamé
et si avide de poissons,
que tu croyais ne pas en avoir assez.
Comme le dit très bien le paysan,
qui tout convoite tout perd.
Je te le dis ouvertement,
quiconque s'imagine avoir tout pour lui,
finit par se retrouver sans rien,
honte à celui qui veut tout,
et qui perd ce qu'il a gagné ou acheté.
Quand tu as senti les poissons,
dis-moi, pourquoi ne t'es-tu pas contenté
de n'en retenir que deux ou trois ?
Mais tu croyais te faire rouler
si tu n'en prenais pas tout un chargement,
c'est ce qui t'as retardé.
Quand je t'ai incité à venir
tu as commencé à grogner,
et quand j'en ai eu marre d'attendre,
je t'ai laissé continuer à prendre des poissons.
Si un malheur t'est arrivé, alors pourquoi me blâmes-tu ?
d'ailleurs on n'en a mangé aucun de ces poissons.
— Renart, tu sais bien donner des explications,
et amuser les gents avec tes discours.
Mais la journée ne suffirait pas pour raconter
toutes les méchancetés que tu m'as dites ou faites,
car tu m'as toujours pris pour un demeuré.
Un jour où je mangeais du jambon,
et que j'avais très soif,
tu m'as bien eu encore,
en me disant qu'on t'avait nommé
intendant d'un grand chai.
Le vin était sous ta garde
tout le temps, du matin jusqu'au soir.
Tu m'a emmené là-bas, sale félon,
et tu m'as raconté des balivernes,
je t'ai suivi comme un sot,
et on m'y a bien battu le cou. »


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Bien sez a fox messe chanter ;
Ce est bien chose conneüe
Que mainte beste as deceüe.
Tu es de tel auctorité
Qu'en toi n'a point de verité.
Tant me conseillas en l'oreille,
Entrer me feïs en la seille
Et avaler el puis dedens,
La male goute aies es dens !
A toute riens as tu fait honte
N'est nus qui en sache le conte.
Tu deïs qu'ila porroit estre
Laiens en paradis terrestre,
Ou il avoit gaaingneries
Et bois et plains et praieries ;
Nus ne pooit riens demander
Qu'en ne peüst laiens trover,
Et qui voloit mengier poissons,
Ou luz ou troites ou saumons,
Tant en avoit con li plaisoit,
A sa volenté eslisoit ;
De toz biens ert li lieus garniz.
Issi fui par toi escharniz ;
Je cuidai que deïsses voir,
Mes je ne fis mie savoir.
Mout m'engingnas a icele heure ;
El seel entrai sanz demeure,
Et la corde se destoreille,
Tu eres ja en l'autre seille ;
Je fui pesanz et tu legiers,
Traïtres es et losengiers,
Je avalai et tu montas.
Quant en mi le puis m'encontras,
Dont fu mes cuers iriez et tains ;
Mout es de felonie plains.
Je demandai que tu queroies,
Tu me deïs tu t'en aloies,
C'est la costume qui avient
Quant li .I. va et l'autre vient ;
D'enfer estoies eschapez
Et je i remés atrapez,
Illec remés, tu t'en issis ;
De moi tel traïson feïs.
Illeques soufri ge mesaise ;
De boivre estoie a grant aise,
.III. foiz me reclot sor la teste,
Mout i endurai grant moleste.
Li blanc moine me trestrent fors,
Mes tant me batirent le cors
De potences et de bastons
Qu'il me mistrent a ventrillons.
De cox me firent tel aport,
Illec me lessierent por mort
En .I. fossé qui ert pulens ;
Par la queue me mistrent ens
Et enprés s'en furent torné.
En ort leu m'orent ostelé,
De peor dui estre crevez ;
Mout ai par toi esté grevez.
D'ilec me parti a grant painne,
A poi que ne perdi l'alainne
Encor m'en duelent tuit li membre ;
Mout sui dolenz, quant il m'en membre.
Tu me feïs aler peschier
Et en l'eve tant acrochier,
Tote la queue i oi gelee
Et a la glace seielee ;
Ne m'en peüsse departir
Sanz la queue perdre au partir.
 — Isengrin, dis le tu a certes
Q'aies par moi eües pertes ?
Par foi tu paroles a force,
Ta lecherie t'en fist force ;
Tu estoies si besoingneus
Et de poisson si convoiteus,
Tu n'en cuidoies preu avoir.
Bien dit li vilain et savoir
Que qui tot covoite tout pert ;
Ce os je dire en apert,
Tiex cuide avoir tot a sa part
Qui du tot se desoivre et part ;
Mout est honniz qui tout covoite,
Qar son gaaing pert et s'enploite.
Des que tu les poissons sentis,
Di moi por qoi tu t'alentis
Que .II. ou .III. en retenisses ?
Mes por engingnié te tenisses,
Se tu n'en fusses tot chargiez
Et por itant fus atargiez.
Quant de venir t'alai semondre,
Tu conmenças .I. poi a grondre ;
Quant je fui anuiez d'atendre,
Si te lessai les poissons prandre ;
Se mal t'en vint, por coi m'en blasmes ?
Onques des poissons ne menjasmes.
 — Renart, bien te ses escuser
Et gent par parole amuser.
Ne porroie hui avoir retraiz
Les max que tu m'as dis et faiz ;
Tout jors m'as tenu por bricon.
Le jor que mangai le bacon,
Quant talent avoie de boivre,
Lors me seüs tu bien deçoivre ;
Tu me deïs que cenelier
T'avoir on fet d'un grant celier ;
En ta garde estoient li vin
Tout tens au soir et au matin.
La me menas, dant fel cuivers,
Tu m'as chanté de maint fax vers ;
La me menas tu conme fol,
Assez i oi batu le col. »
La bataille de Renart et d'Ysengrin C'est la bataille de Renart et de Ysangrin (26)
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