et entrent dans un grand bois où ils trouvent quantité de cerfs, de biches et de daims, mais ils en font peu de cas. Ils errent la journée entière à travers la forêt, mais n'y trouvent ni village, ni maison, ni où séjourner. « Seigneur, dit Belin, qu'allons-nous faire pour l'hébergement car il se fait tard ? — C'est vrai », dit seigneur Bernard. Renart répond : « Chers compagnons, quel gîte devrions-nous chercher si ce n'est la belle herbe sous cet arbre, je préfère cela à un palais de marbre. — Ma foi, dit Belin le mouton, j'aime mieux coucher dans une maison. Trois ou quatre loups auront vite fait de nous tomber dessus, il y en a assez dans ce bois, pour nous faire des misères sur-le-champ. » Renart leur répond simplement : « Seigneurs, vos désirs seront les miens. Il y a à côté d'ici la demeure de Primaut mon compagnon, qui ne nous laissera pas tomber. Allons-y ! c'est comme si on y était, je sais parfaitement qu'il nous hébergera. » Ils y arrivent après avoir bien marché, mais ils vont être fort contrariés avant d'en repartir, si Renart ne les tire pas de là par la ruse. Le loup est allé dans la lande avec Hersent en quête de nourriture. Les pèlerins prennent possession des lieux, et trouvent du pain, avec entre autres, de la viande salée, du froment, du lait, et comme il se doit pour tout pèlerin, de la bonne bière. Belin boit tellement qu'il en devient joyeux, et se met à chanter, pendant que l'archiprêtre joue de sa voix grave, et seigneur Renart chante en fausset. Ils auraient été à leur affaire s'ils étaient restés tranquilles. Mais le loup revient avec son chargement qu'il tient dans la gueule, tandis qu'Hersent, qui n'est pas rassasiée, est folle furieuse. Quand ils entendent les cris des pèlerins à l'intérieur, ils marquent un temps d'arrêt, et le loup dit : « J'entends des gens là-dedans. — Je vais jeter un œil », lui répond Hersent. Elle pose à terre le chargement qu'elle portait, regarde par un trou, et voit les pèlerins autour du feu. Alors elle se retourne vers son mari le loup : « Seigneur, tu ne devineras jamais la chance qui nous arrive, c'est Renart, Belin et l'âne, que nous avons maintenant sous notre protection ». Ils frappent la porte avec fureur, mais la trouvent bien fermée : « Ouvrez, dit-il, ouvrez, ouvrez ! — Silence, dit Renart, cessez de bavarder ! — Renart, inutile de vous taire, vous devez ouvrir cette porte. Sale traître, sale renégat, j'ai perdu un pied à cause vous, vous êtes tous condamnés à mort, vous avez échoué ici pour votre malheur, vous, l'âne et le mouton. — Ah ! malheureux, dit Belin, qu'allons-nous faire ? nous allons tous mourir sans autre échappatoire. » Alors Renart dit : « N'ayez pas peur, nous allons nous sortir de ce mauvais pas, si vous voulez bien suivre mes conseils. — Nous le ferons volontiers, dit l'archiprêtre. Tu t'es déjà montré un excellent meneur, Renart, en nous amenant dans ce lieu. — Alors, Bernard toi qui a les reins solides, va t'appuyer contre la porte, puis entrouvre-la un petit peu, pour permettre au loup d'entrer. Laisse lui juste passer la tête, puis referme la porte de toutes tes forces, alors notre bête à cornes pourra jouter avec lui. » Bernard s'appuie contre la porte, et l'entrebâille un peu, le loup pousse sa tête en avant, mais la porte est aussitôt refermée, il aurait préféré être en prison. Vous verriez alors le mouton arriver à toute allure après avoir reculé pour mieux frapper. Renart l'appelle et l'exhorte : « Belin, éclate lui la cervelle ! prends garde qu'il n'en ressorte vivant. » Jamais personne, même aux portes des villes, n'a vu d'assaut aussi terrible que celui que seigneur Belin inflige à Primaut. Il frappe et cogne tellement qu'il finit par briser la tête du loup. Hersent, qui est restée dehors, ne peut rien faire pour le secourir, alors elle s'en va en hurlant à travers le bois pour ameuter les autres loups. | 13684 13688 13692 13696 13700 13704 13708 13712 13716 13720 13724 13728 13732 13736 13740 13744 13748 13752 13756 13760 13764 13768 13772 13776 13780 13784 13788 | En .I. grant bois en sont entré Ou troverent a grant plenté De cers, de biches et de dains ; Mes de ce pristrent il le mains. Tout le jor ajorné errerent Par la forez, ainz n'i troverent Vile ne sejor ne meson. « Seingnor, dist Belin, que feron De herbergier ? quar il est tart. — Voirs est », ce dit sire Bernart. Renart respont : « Biau compaingnon, Et nos quel ostel querrion Fors la bele herbe soz cel arbre : Miex l'aim que .I. palés de marbre. — Par foi, dist Belin le mouton, J'aim miex a gesir en meson. Tost se porroient ci enbatre Ci entre nos .III. leus ou .IIII., Dont il a assez en cest bois, Si seron honiz demanois. » Renart lor respont sanz orgoil : « Seignors, ce que volez je voil. Ci delez est l'ostel Primaut, Mon compaignon qui ne nos faut. Alons i ! nos serons ja la, Bien sai qu'il nos herbergera. » Tant ont fet que la sont venu ; Mes il seront mout irascu, Ainz qu'il s'en partent, se Renart Ne les en giete par son art. Li leus est alez en la lande Et Hersent por querre viande. Li pelerin pristrent l'ostel, Assez i trovent pein et el, Char salee, froment et let Et quant q'a pelerin estuet, Et si trovent bone cervoise. Tant but Belin que il s'envoise ; Lors a conmencié a chanter, Et l'arceprestre a orguener, Et dant Renart chante en fauset ; Ja eüssent fet leur feret, S'il se fussent tenu em pes. Mes li leu vient a tot son fes Qu'il aporte dedenz sa goule, Que Hersent n'estoit pas saoule, Dont elle estoit tote desvee. Quant il oïrent la crïee Des pelerins qui laienz erent, .I. petitet s'en aresterent, Et dist li leus : « J'oi laienz gent. — G'irai veoir », ce dist Hersent. Son fes qu'ele porte a jus mis, Si regarde par .I. pertuis, Si vit les pelerins au feu Et puis si revint a son leu : « Sire Ysengrin, dont ne sez tu Con il nos est bien avenu ? Ce est Renart, Belin et l'asne : Ceus avon nos en nostre garde ». Par grant aïr ont l'uis hurté, Mes il le trovent bien fremé : « Ovrez, dist il, ovrez, ovrez ! — Tessiez, dist Renart, ne jenglez ! — Renart, n'i a mestier taisir ; Il vos covient cest huis ovrir. Fel traïtre, fel renoié, Par vos ai je perdu le pié, Vos estes tuit livrez a mort ; Mar arivastes a cest port, Et vos et l'asne et le mouton. — Ha ! las, dist Belin, que feron ? Tuit sonmes mort sanz nul retor. » Et dist Renart : « N'aiez peor : Car bien itron de cest touel, Se volez croire mon conseil. — Si feron nos, dist l'arceprestre. Renart, ja es tu si bon mestre Que en cest leu nos amenas. — Or dont, Bernart, qui fors rains as, Va, si t'acule a cel huisset, Et si l'entroue .I. petitet, Tant que li leus i puist entrer ; Si li lai la teste bouter, Puis reclo l'uis par grant vertu : A lui jostera cest cornu. » Bernart s'est a l'uis aculez, .I. petitet l'a esbaez ; Li leus boute la teste avant, Et cil clot l'uis de maintenant : Assez fu miex que en prison. Qui adonc veïst le mouton Con il venoit par grant aïr Et reculoit por miex ferir. Renart le semont et apele : « Belin, espant li la cervele ! Garde que vif ne s'en estorde. » Onques nus hons a nule porte Ne vit .I. aussi grant assaut Con dant Belin fet a Primaut : Tant a feru, tant a bouté Que le leu a escervelé. Hersent qui par defors estoit, Qui aïdier ne li pouoit, Par mi le bois s'en vet hullant Et les autres leus amassant. |
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