dans son palais à Maupertuis. Il a renoncé à guerroyer, et ne veut plus vivre de la manière dont il a toujours vécu. Il a tant profité du bien d'autrui à tort et sans raison, que plus d'hommes qu'il n'y a de fêtes dans l'année, le haïssent à mort, et je crois, tout autant de bêtes. Il se trouve alors par un vendredi matin, que Renart sort de sa tanière, et s'élance à travers la bruyère. Mais il ne court pas aussi vite qu'à l'habitude, et se sent très las. « Ah ! misérable de moi, dit-il, je ne dois plus faire le mal ni pécher. À cause de mon assurance et de mes pattes, j'ai commis de très gros péchés. J'avais l'habitude de courir si vite qu'aucun cheval de combat n'aurait pu me rattraper dans la journée, si je venais à faire un détour. Il n'y a pas un mâtin dans ce pays qui aurait pu m'arracher un poulet une fois dans ma gueule. Ah ! Dieu, j'en ai tant dérobés de si bons, tant de chapons et tant de poules, et je n'ai jamais eu besoin d'assaisonnement, ni de sauce verte, ni d'ail, ni de poivre, ni de bière, ni de vin. J'ai toujours été un voyou. J'allais de préférence là où je connaissais les points de passage des gros chapons et des poulets. Ils venaient presque m'épouiller et me picorer entre les pattes. Quand je pouvais tenir une poule, il lui fallait venir avec moi, il ne lui servait à rien de crier, et elle devait lutter à mort. J'en ai tellement occis de cette manière ! L'une d'elles s'est retrouvée dans une bière en présence de Noble le lion. Je l'avais tuée en traître. mais on me l'avait soutirée, et j'ai failli être pendu haut et court pour ça. Je n'ai jamais rien eu à moi à part le bien d'autrui, même pour la valeur d'une aile de pinson. Si je le peux encore, alors je m'en repens, mon seigneur, Dieu tout puissant, ayez pitié du misérable que je suis, à qui il pèse tant d'avoir vécu ainsi. » Alors que Renart se lamente, voici un paysan qui arrive à pied à travers la lande, le capuchon bien enfoncé. Renart le voit venir tout seul, et va à sa rencontre au lieu de fuir : « Renart, dit le paysan, viens donc ici ! — N'emmènes-tu pas de chien avec toi ? — Non, il ne faut pas avoir peur. Renart, qu'as-tu donc à pleurer ? — Ce que j'ai ? dit Renart, ne le sais-tu pas ? Il n'y a pas un jeune ou un vieux dans ce pays qui ne sache pas que je n'ai jamais été nulle part où je ne pouvais pas faire de mal, et d'où j'aurais voulu partir. Mais je veux renoncer à tout cela, car j'ai entendu dire au sermon que lors d'une vraie confession, celui qui demande pitié obtient le pardon. — Renart, veux-tu donc te confesser ? — Oui, si seulement je pouvais trouver quelqu'un qui m'impose une pénitence... — Renart, dit le paysan, cesse de geindre ! tu sais trop de ruse et de tromperie, je sais bien que tu me prends pour idiot. — Pas du tout, dit Renart, par ma foi, je n'ai aucune mauvaise intention contre toi. Mais je vous prie et vous implore, au nom de Dieu, de m'amener dans une église où je peux trouver un prêtre, car je veux enfin me confesser. » Le paysan répond : « Il y en a un ici dans ce bois, allons-y. — Je te suis. » Le paysan sait en effet très bien qu'il y a là un bon chrétien. Après avoir longtemps marché à travers le bois, ils arrivent à l'ermitage. Ils trouvent le marteau qui pend sur la porte de devant, et le paysan le frappe fortement. L'ermite vient aussitôt, et ôte le verrou de la gâche. Il est très étonné de voir Renart : « Nomini dame, dit le prêtre, Renart, que viens-tu chercher ici ? Dieu sait que depuis ton dernier passage cet endroit ne s'en est pas remis. — Ah ! seigneur, dit Renart, pitié ! quoi que j'ai pu faire, maintenant je suis là, et pour tout le mal que je vous ai fait ainsi qu'à tous mes ennemis, je vous demande grâce et pardon. » | 13412 13416 13420 13424 13428 13432 13436 13440 13444 13448 13452 13456 13460 13464 13468 13472 13476 13480 13484 13488 13492 13496 13500 13504 13508 13512 | A Malpertuis en son palés. Lessié avoit le guerroier : Ne voloit mes de tel mestier Vivre con il avoit vescu. Tant avoit de l'autrui eü Par male raison et a tort Que tuit le haoient de mort, Plus d'omes qu'il n'a en l'an festes Et autretant, ce cuit, de bestes. Or avint il jadis issi, Par .I. matin d'un vendredi Issi Renart de sa tesniere, Si s'eslessa par la bruiere ; Ne coroit pas si tost d'asez Con il souloit, mout fu lassez. « Ha ! las, dist il, n'ai mes mestier De mal fere ne de pechier. Par la fiance de mes piez Ai ge fet de mout granz pechiez. Je soloie corre si tost Que trestoz les chevaus d'un ost Ne m'atainsissent en .I. jor Por que vosisse fere .I. tor. En ceste terre n'a mastin Qui me rescousist .I. poucin Por que je l'eüsse engoulé. Hé ! Diex, tant bon en ai emblé, Tant chapon et tante geline ; Onc n'i oi savor de cuisine Ne vert sauce ne ail ne poivre Ne cervoise ne vin a boivre. J'ai touz jors esté pautonniers Et aloie mout volentiers La ou je savoie les huis Des cras chapons et des poucins. Il me venoient pooillier Et entre les jambes bechier ; Quant une en pouoie tenir, A moi la covenoit venir, Ne li avoit crïer mestier, A la mort l'estovoit luitier. Mainte en ocis en tel maniere : Une en fis ge gesir en biere De devant Noble le lion, Que je ocis en traïson ; Mes icele me fu tolue, S'en dut ma geule estre pendue. Onc vaillant l'ele d'un pinçon N'oi je voir, se de l'autrui non. Se je peüsse, or m'en repent ; Biax sire Diex omnipotent, Aiez merci de cest chaitif, Ce poise moi que je tant vif. » Si con Renart se dementoit, Es vos .I. vilain qui venoit Par mi la lande tout a pié ; Son chaperon ot enbrunchié. Renart le voit tout sol venir ; Encontre va, ne volt fouir : « Renart, dist li vilain, ça vien ! — Mainne tu avec toi nul chien ? — Nenil, ne t'en estuet douter. Renart, que as tu a plorer ? — Que j'ai ? dist Renart, ne sez tu ? Ja n'a il jone ne chanu En ceste terre qui nel sache C'onques ne fui en cele place Ou je poïsse nul mal fere, C'onques m'en vosisse retrere. Mes or le voil du tot lessier, Que j'oï dire au sarmonnier Que por voire confession, Qui merci crie, il a pardon. — Renart, veus tu donc confesser ? — Oïl, se peüsse trouver Qui la penitance m'enjoingne. — Renart, dist li vilain, ne hoingne ! Tu sez trop de guile et de fart ; Bien sai tu me tiens por musart. — Non faz, dist Renart, par ma foi, Que je n'ai mal pensé vers toi. Mes je vos pri por Dieu et quier Que me menez a .I. mostier Ou je puisse prestre trover ; Car enfin me voil confesser. » Dist li vilain : « Ça en cest bois En a .I., vien i. — Ge i vois. » Et li vilain mout bien savoit C'uns bons crestïens i avoit. Tant sont alé par le boscage Qu'il sont venuz a l'ermitage. Le maillet troverent pendant A la porte par de devant. Li vilain hurte durement Et l'ermite vint erroment ; Le veroil oste de la reille. Quant vit Renart, si se merveille : « Nomini dame, dist li prestre, Renart, que quiers tu en cest estre ? Diex le set, que puis n'i fus tu Qu'a cest estre de miex n'en fu. — Ha ! sire, dist Renart, merci ! Que que j'aie fet, or sui ci ; De ce que j'ai vers vos mespris Et vers mes autres anemis Vos cri ge merci et pardon. » |
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