car tout reste à faire après ce qu'a pu imaginer le fou.  Tout comme il est fou d'avoir de folles espérances,  car le monde entier est plein de dangers.  La Fortune se joue des gens,  les uns viennent, les autres s'en vont,  elle rend l'un pauvre, et l'autre riche,  elle fait passer l'un, et met l'autre dans un piège.  Telle est la manière de la Fortune,  elle a de l'amour pour l'un, de la rancune pour l'autre.  Elle n'est pas l'amie de tous,  elle met l'un dessus, l'autre dessous.  Et à celui qu'elle place en haut,  qui a le plus de savoir et d'autorité,  elle fait faux-bond  un jour ou l'autre.  Messieurs, le monde nous est juste prêté,  l'un a peu, l'autre beaucoup,  et plus on a, plus on doit,  en cela les pauvres sont mieux lotis,  qui a perdu peu rend peu.  Chacun doit vivre honnêtement,  quiconque est puissant aujourd'hui,  n'aura, avant même que l'année soit passée,  plus qu'un maigre pouvoir,  sachez le bien, c'est la vérité,  je le jure sur ma tête, ce n'est pas pour rire.  On dit bien : « il est tombé de haut »,  pourtant même des tréfonds  on peut remonter au sommet.  Mais il est préférable que je n'en dise pas plus,  car on envie toujours le bien d'autrui.  Je pense qu'on ne vendrait aucun bien,  si on y regardait avec raison,  car, à celui qui agit avec bon sens,  il ne peut arriver que du bien.  Il est bien fou celui qui tient à donner  la chose qui lui est prêtée.  S'agissant du vêtement d'autrui, la coutume est  de l'emprunter froid, et de le rendre chaud.  Il est fou celui qui pense être assuré  de son bonheur dans ce monde.  Je vous le dis sans détour,  tant va la cruche à l'eau qu'elle se brise.  Tôt ou tard, de près ou de loin,  le fort a besoin du faible.  Je vous en ai montré l'exemple  avec Renart qui est si mauvais,  car il œuvre contre l'ordre des choses.  Il ne fait preuve d'aucune droiture,  il prend à tort ou à raison,  il n'y a pas de justice avec lui.  C'est étonnant qu'il n'ait pas déjà reçu  la mort pour avoir agi contre le droit.  Il ne s'en privera jamais  jusqu'à ce qu'il lui arrive du mal,  car il est possédé par le diable  qui le tient en son pouvoir.  Personne ne peut se défaire du démon,  tant qu'il ne vous a pas fait subir son jeu,  Renart peut résister quelque temps,  mais le démon le fera trébucher,  pendre aux fourches, noyer en mer,  brûler par le feu, ou le rendra aveugle.  Il n'est pas bon de servir un tel maître,  que rien ne fait revenir en arrière.  Assurément, celui qui sert un tel baron,  doit bien avoir sa récompense un jour.  Je ne dis pas que c'est pareil pour toute folie,  il serait injuste de l'affirmer,  mais selon le lieu et le moment,  on a besoin soit de folie soit de bon sens.  Messieurs, si vous voulez bien m'écouter,  je vous raconterai sans mentir, tout  sur la vie de Renart le goupil,  qui a fait tant de vilenies,  qui a trompé tant d'hommes,  soit par ruse, soit par la force,  qui a fait croire cent discours  dont aucun n'a une once de vérité.  Il n'y a personne qu'il n'ai pas berné.  Voilà ce qui est arrivé l'autre jour à Compiègne  après que Renart soit sorti de son gîte.  Il se dirige aussitôt par petits bonds  droit sur l'abbaye des moines noirs.  Il y a là une compagnie  de chapons gras et oisifs.  Renart va de ce côté  sans s'arrêter, puis directement  où se trouve le poulailler.  Un fois arrivé,  il se met alors à écouter  si les poules sont endormies.  Quand il voit qu'elles dorment toutes,  il tire vers lui la chevillette  qui est attachée à une petite corde,  et tient la claie fermée.  Il entre à l'intérieur  tout doucement mais sûrement.  Il prend sans faillir un chapon  qui vaut bien quatre sous et des poussières.  Il ne cherche ni nappe ni serviette,  et lui rompt aussitôt la tête.  Renart mange, il est à la fête !  À le voir se régaler, il ne semble pas  que le chapon lui soit bien cher,  au contraire il en est tout content.  Il fait payer cher sa colère au chapon  qui pourtant ne lui a rien fait de mal.  Mais vous savez bien qu'il en va ainsi,  il est arrivé maintes fois à la cour  que celui qui n'a point péché soit puni.  Les désirs de Renart sont comblés,  car il mange les bons morceaux  qui lui font grand bien au corps et au cœur,  et jette les plumes et les os dehors.  Renart laisse de gros restes,  et jure sur sa tête  que malgré les moinillons  il ne mangera que de bons morceaux.  Il déclare haut et fort son serment,  mais ne sait pas ce qui lui pend au nez. |            12548        12552        12556        12560        12564        12568        12572        12576        12580        12584        12588        12592        12596        12600        12604        12608        12612        12616        12620        12624        12628        12632        12636        12640        12644        12648        12652        12656        12660        12664     |        Mout remaint de ce que foux pense.  Foux est qui croit fole esperance,  Qar touz li monz est en balance.  Fortune se joue del mont :  Li .I. viennent, li autre vont,  L'un en fet povre et l'autre riche,  L'un met avant, l'autre en la briche.  Tele est maniere de Fortune :  L'un porte amor, l'autre rancune.  Ele n'est mie amie a touz :  L'un met desus, l'autre desouz.  Et celui qu'ele met plus haut  Et qui plus set et qui miex vaut  Fet ele .I. mauvés saut saillir  Ou a l'entrer ou a l'issir.   Seingnors, li mondes est prestez :  Li un a pou, li autre assez ;  Et qui plus a, tant doit il plus,  De ce sont li povre au desus ;  Qui petit a perdu poi rent.  Chascun doit vivre bonement ;  Tiex a ore grant poestez,  Ançois que li an soit passez,  Sera de mout povre pouoir,  Ice sachiez vos bien de voir.  Par mon chief, ce n'est mie a gas.  L'en dit bien : de si haut si bas ;  Et bien sovent de grant bacesse  Remonte l'en en grant hautesce.  Por ce est droiz que je m'en taise ;  D'autrui avoir a l'en grant aise.  Je cuit qu'aucun bien en vendroit,  Qui raison i regarderoit ;  Qar qui oevre selonc reson,  Ne l'en puet venir se bien non.  Mout est fox qui tient a donnee  La chose qui li est prestee.  Costume est d'autrui garnement,  Qui froit l'enprunte, chaut le rent.  Fox est qui por son grant eür  Cuide estre en cest siecle asseür ;  Et si vos di bien sanz faintise,  Tant va pot a l'eve qu'il brise.  Ou tost ou tart, ou pres ou loing,  A li fort du foible besoing.  Ceste essample vos ai mostré  Por Renart qui si est maufé  Que il oevre contre nature.  Ja de lui n'avra on droiture :  Il prent a tort, il prent a droit,  Ne ja de lui n'avra l'en droit.  C'est merveille qu'il ne reçoit  La mort, quant il ne fet a droit.  Mes ja mes ne s'en gardera  Jusqu'a tant qu'il l'en mescharra,  Que son deable le demainne,  Cui il est et en son demainne.  De lui ne se puet nus partir,  Tant qu'il li fet son gieu puïr,  Une piece puet il reignier,  Mes aprés le fet trebuchier :  Pendre as forche ou noier en mer,  Ardoir en feu ou essorber.  A tel seignor fet mal servir,  Qu'a noient le fet revertir.  Certes qui sert a tel baron,  Bien doit avoir son guerredon.  Je ne di pas par tout folie,  N'il n'est pas droiz que je la die ;  Mes selonc le lieu et le tans  A grant mestier folie et sans.   Seignors, se vos volez oïr,  Je vos diré tot sanz mentir  De Renart le gorpil la vie,  Qui tant a fait de lecherie,  Qui tant a homes deceüz,  Que par enging, que par vertuz,  .C. paroles a fait acroire,  Dont il n'i avoit nule voire :  Il n'est nului que il n'engingne.  Il avint l'autrier a Compingne  Que Renart fu de giste issuz.  Or s'en revint les sauz menuz  Tout droit a la noire abaïe.  La avoit une compaingnie  De chapons cras et sejornez ;  Cele part est Renart alez,  Ainz ne fina, si vint tot droit  La ou li geliniers estoit.  Et quant il vint au gelinier,  Si conmença a orillier  Se les gelines someilloient.  Et quant il vit qu'eles dormaient,  A soi sacha le chevillon  Qui fu lïé d'un hardeillon,  Dont li cloiax estoit fermez ;  A soi le tret, enz est entrez  Tout coiement et asseri ;  .I. chapon prist, n'a pas failli,  Qui bien valoit .VI. et maaille.  Onc n'i quist nape ne toaille,  Tot maintenant li ront la teste.  Renart menjue et fet grant feste,  Ne fet pas semblant au mengier  Que li chapon soient trop chier,  Mout par se contient lieement.  Au chapon vent son mautalent  Qui riens ne li avoit mesfet.  Mes bien savez que ainsi vet,  Et mainte foiz avient a cort  Que tel ne peche qui encort.  Mout a Renart de ses aviax,  Qu'il menjue les bons morsiax  Qui grant bien li font a son cuer,  La plume et les os gete puer.  Mout fet Renart riche relief,  Et si jure forment son chief  Que mau gré as simonïaux  Mengera il de bons morsiaux.  Mout afiche son sairement,  Mes ne set que a l'ueil li pent. |      
      
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