mercredi 28 mai 2014

Ysengrin dans le puits - Ysengrin est laissé pour mort




Messieurs, écoutez maintenant
S


eingnors, or oez des renduz
comment les moines vont perdre leur courage.
Leurs fèves sont très salées,
ils mangent trop lourd,
et boivent beaucoup ce soir là,
alors ils dorment comme des loirs toute la nuit.
Et comme leurs domestiques sont paresseux,
ils viennent à manquer d'eau.
Il se trouve que le cuisinier,
qui a la garde du manger,
a retrouvé ses forces.
Il va au puits dans la matinée,
et emmène un âne espagnol,
en compagnie de trois autres.
Ils arrivent au puits au petit trot,
tous les quatre ensemble.
Ils attachent l'âne à la poulie,
qui s'emploie aussitôt à tirer.
Les moines se mettent à le frapper,
car bien que l'âne tire fort,
il ne peut ni avancer ni reculer,
malgré la vigueur des coups.
Un moine s'appuie alors
sur le puits, et se penche
pour regarder dedans,
il aperçoit Ysengrin.
Il dit aux autres : « Que faites-vous donc ?
par Dieu le Père glorieux,
c'est un loup que vous êtes en train de tirer. »
Les voilà tous pris de frayeur,
alors ils se précipitent vers la maison
plus vite qu'au trot,
après avoir attaché la poulie.
Ysengrin vit un grand supplice,
car les frères appellent leurs domestiques,
ceux-là mêmes qui vont lui faire des misères.
L'abbé prend un gourdin
énorme avec des pointes,
et le prieur un chandelier.
Il ne reste pas un moine dans l'église,
qui n'emporte pas un bâton ou un épieu.
Tous sortent du bâtiment,
et se mettent en marche vers le puits,
bien décidés à frapper.
Ils font tirer l'âne, qui était resté là,
puis l'aide de toutes leurs forces,
jusqu'à ce que le seau arrive au bord.
Ysengrin, qui ne s'attend à aucune trêve,
fait un bond plutôt réussi.
Mais les mâtins se mettent à sa poursuite,
et lui déchirent la pelisse,
dont les touffes de poils volent en l'air.
Les moines l'attrapent,
et le battent durement,
l'un d'eux le frappe en plein dans les reins.
Ysengrin est dans de sales mains,
il s'évanouit quatre fois,
il est aussi fâché que souffrant,
alors il se couche sur la margelle,
et fait le mort.
Voici qu'arrive le prieur,
que Dieu le couvre du plus grand déshonneur !
Il prend son couteau à la main,
comme s'il voulait lui faire la peau.
Il est sur le point de lui transpercer le cœur,
quand l'abbé dit : « Laissez tomber,
sa peau est en lambeaux,
il a souffert un cruel supplice.
Il ne fera plus la guerre à personne,
le pays en est délivré.
Il est bien mort, laissez-le donc tranquille !
il n'a plus envie de partir. »
Chaque moine reprend son épieu,
et regagne ses pénates.
Ysengrin voit qu'il n'y a plus personne,
alors, après avoir endurer de tels tourments,
il s'en va en souffrant le martyre,
car il a la cuisse brisée.
Il parvient à un buisson,
mais il s'est tellement fait battre la croupe,
qu'il ne peut plus se remuer.
Il voit son fils arriver devant lui,
qui lui demande aussitôt :
« Cher père, qui vous a fait ça ?
— Mon fils, c'est Renart le coupable,
il m'a fait tomber dans un puits.
Je ne sais à quel saint me vouer,
je ne pourrai plus jamais me défendre. »
Quand il entend ça, il se met très en colère,
et jure par Dieu qui souffrit le calvaire,
que s'il peut le tenir entre ses mains,
il lui fera sentir ses coups :
« Si je le tiens, je vous promets,
qu'il ne s'en sortira pas vivant,
lui qui a baisé ma mère devant moi,
et qui a pissé sur moi et mon frère.
Je lui rendrai la monnaie de sa pièce,
il n'aura rien d'autre que la mort. »
Ysengrin retourne alors dans ses terres,
et fait chercher des médecins
pour s'occuper de lui.
Ses amis sont avec lui,
et lui donne des remèdes,
grâce auxquels il retrouve ses forces.
Ysengrin est de nouveau grand et fort,
si seigneur Renart passe la frontière,
et qu'il lui tombe dessus,
sachez qu'il lui fera du mal.


12440



12444



12448



12452



12456



12460



12464



12468



12472



12476



12480



12484



12488



12492



12496



12500



12504



12508



12512



12516



12520



12524



12528



12532



12536



12540



12544
Con il perdirent lor vertuz :
Lor feves furent trop salees
Que il orent mengié gravees ;
Si orent trop beü le soir,
La nuit dormirent conme loir.
Li serjant furent pereceus,
Qui d'eve furent soufroiteus.
Mes il avint du cuisinier,
Celui qui gardoit le mengier,
Qu'il ot sa force recovree.
Au puis en vint la matinee,
Si menoit .I. asne espanois
Et compingne desi a trois ;
Au puis en viegnent li troton
Trestuit li .IIII. compaingnon.
L'asne acouplent a la polie,
Qui de trere pas ne s'oublie :
Li rendu le vont mout ferant
Et li asnes forment tirant,
Que il ne pot avant n'ariere
Ne por force que l'en le fiere.
Quant .I. rendu s'est apuiez,
Qui delez le puis s'est couchiez,
Si prent dedenz a regarder
Et Ysengrin a aviser.
As autres dist : « Que fetes vos ?
Par Dieu le pere glorious,
Ce est le leu que vos traiez. »
Estes les vos toz esmaiez,
Si s'en tornent tuit vers meson
Plus que le pas ne le troton ;
Mes la poulie ont atachie.
Ysengrin sueffre grant haschie,
Li frere apelent lor serjanz,
Par ceuz ert Ysengrin dolanz.
Li abes prent une maçue
Qui mout estoit grant et cornue,
Et li prieur .I. chandelier ;
Il ne remest moine el mostier
Qui ne portast baston ou pel.
Tuit sont issu de lor ostel ;
Au puis en pranent a venir,
Et bien s'aprestent de ferir.
L'asne font trere qui la fu,
Si li aiderent par vertu
Tant que la seille vint a rive.
Ysengrin n'atent mie trive,
.I. saut a fet mout avenant ;
Et li gaignon le vont suiant,
Descirent li son peliçon ;
A mont en volent li flocon,
Et li rendu l'ont atrapé,
Qui l'ont mout durement frapé :
Li .I. le fiert par mi les rains.
Ysengrin est en males mains ;
Illuec s'est .IIII. foiz pasmez,
Mout par est grains et adoulez :
Il s'est couchiez desus le bort,
Illeques fet semblant de mort.
A tant estes vos le prior,
Qui Diex otroit grant desenor !
Il mist sa main a son coutel,
Si en voloit prendre la pel ;
Touz estoit prez de l'acorer,
Quant l'abé dist : « Lessiez ester ;
Assez a sa pel despechie
Et soufert a mortel hachie.
Ne fera mes a nului guerre ;
Abessie en est ceste terre.
Touz morz est, sel lessiez ester !
Il ne s'en a talent d'aler. »
Chascun rendu a pris son pel,
Si retornent a lor ostel.
Ysengrin voit n'i a nului,
Qui a soufert si grant anui ;
Vet s'en et sueffre grant hachie,
Qar il a la cuisse bruisie.
A .I. buisson en est venuz,
Mes tant est son crepon batuz
Que il ne se puet remuer.
Devant lui voit son filz aler,
Qui li demanda entresait :
« Biau pere, qui vos a ce fait ?
— Biau filz, Renart qui est murtrier.
En .I. puis me fist trebuchier ;
Ne me sai a cui conseillier,
Ne me porré ja mes aidier. »
Quant cil l'oï, mout s'en aïre ;
Dieu jure, qui soufri martire,
Se il as poins le puet tenir,
Il li fera ses jeus puïr :
« Se je le tien, je vos plevis,
Que il n'estordra mie vis,
Que devant moi fouti ma mere,
Et compissa moi et mon frere ;
Mes je l'en rendrai guerredon,
Ja n'en avra se la mort non. »
 A itant reva en sa terre
Ysengrin et fet mires querre,
Qui de lui se sont entremis.
Avec lui furent ses amis
Qui li ont mecine donnee,
Par quoi sa force a recovree.
Ysengrin est et grans et forz :
Se dant Renart passe les pors,
Et il le tient dedenz sa marche,
Sachiez qu'il li fera domage.
Comment Renart fit descendre Ysengrin dans le puits Si conme Renart fist avaler Ysangrin dedenz le puis (23)
Notes de traduction (afficher)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire