pour preuve, il lui laisse entendre que les seaux qui sont là pendant à la poulie, sont la balance du bien et du mal. Par Dieu le père céleste, seigneur Renart, qui parvient toujours à tricher, n'aspire qu'à le tromper, alors il lui explique avec beaucoup d'égard, que lorsque l'âme se sépare du corps, que cela plaise ou non, on doit s'asseoir sur la balance : « et le pouvoir de Dieu est tel, que si l'homme s'est bien repenti, il descend directement en bas, et le mal reste tout en haut. Mais l'homme qui n'a pas fait sa confession, ne pourra en aucune manière descendre ici, je te le dis. » Ysengrin répond : « Mais, dis-moi, puisque le Saint-Esprit t'as mis là, as-tu vraiment confessé tes péchés ? — Oui, fait-il, à un vieux lièvre et à une chèvre barbue, de mon mieux, et très saintement. Mon âme ne connaîtra jamais la damnation, pour tout ce que j'ai pu faire, pourchasser ou fomenter en ce bas monde. Si vous voulez descendre ici, vous devez aussi vous confesser, et vous repentir de vos péchés, car personne ne peut venir sans que la confession ne l'y emmène. — Compagnon, alors rien ne me retient d'aller vous rejoindre en bas. Voici ce qui m'est arrivé aujourd'hui, sans mentir : j'ai rencontré en route, alors que je venais ce matin même, seigneur Hubert le milan en train de voler. J'ai couru me confesser à lui, car je ne pouvais attendre davantage, je voulais recevoir de lui ma pénitence, qu'il me donna volontiers. Puis il m'a pardonné de tous mes péchés, ce qui m'a rempli d'une grande joie. — Cher compère, si je dois croire que vous me dîtes la vérité, et que vous êtes quitte de vos péchés, alors je prierai le roi céleste de vous laisser entrer ici où vous pourrez vivre dans l'allégresse. — Compère, allez, vite, faites-moi entrer là-dedans ! j'ai trop envie d'y aller, car foi que je dois à saint Appétit, je vous ai dit la vérité. Au nom de Dieu, veuillez faire un effort pour moi. » Renart se met à lui crier : « Il vous faut donc prier Dieu maintenant, et le remercier le plus saintement possible, pour qu'il vous accorde un franc pardon, et la rémission de vos péchés, alors vous pourrez entrer. » Ysengrin ne tient plus en place, il tourne son cul vers l'orient et sa tête vers l'occident, se met à jouer de la voix, puis à hurler de plus en plus. Renart, qui fait tant de prodiges, est en bas dans l'autre seau, qui était descendu dans le puits pour son plus grand malheur, quand il s'était mis dedans. C'est Ysengrin qui va bientôt être furieux. Ysengrin dit : « J'ai prié Dieu. — Et moi, dit Renart, je l'ai remercié, vous allez venir en bas sans tarder. » Il fait nuit en cette heure, les étoiles brillent clairement, et luisent dans l'eau du puits. Renart, à qui il tarde de sortir, va lui faire une supercherie : « Ysengrin, vois-tu ces merveilles ? ces chandelles qui brûlent devant moi ? Jésus t'offrira un vrai pardon et une entière rémission. » Que la maladie le frappe à la tête ! Il n'y a ni feu ni lumière, mais beaucoup de saleté, d'obscurité, et un grand outrage. Ysengrin, qui n'a jamais su grand-chose, s'imagine qu'il lui dit la vérité. Alors il se démène, s'efforçant de ramener le seau sur la margelle, puis saute dedans à pieds joints. Comme Ysengrin est le plus lourd, il dévale aussitôt en bas. Écoutez donc leur échange quand ils se croisent dans le puits. Ysengrin l'interpelle : « Compère, pourquoi t'en vas-tu ? » Renart lui répond : « Ne faites pas cette mine dépitée ! Je vais vous expliquer la coutume ici : quand l'un vient, l'autre s'en va, c'est ce qui se passe d'habitude. Je monte au paradis, et tu descends en enfer. Te voilà livré à ta plus grande honte, et moi je suis dehors, sache le bien. Par Dieu le père céleste, c'est le diable qui habite en bas. » Dès que Renart met le pied à terre, il se réjouit beaucoup de son coup. Ysengrin est tombé dans un sale piège, s'il avait été pris à Alep, il n'aurait pas été plus affligé que de descendre dans ce puits. | 12320 12324 12328 12332 12336 12340 12344 12348 12352 12356 12360 12364 12368 12372 12376 12380 12384 12388 12392 12396 12400 12404 12408 12412 12416 12420 12424 12428 12432 12436 | Por voir li a il fet entendre Que les seilles qui la estoient, Qui a la polie pendoient, Poises sont de bien et de mal. Par Dieu le pere esperital, Dant Renart, qui tot set trichier, Qui le baoit a engingnier, Li a dit par itel esgart Que quant l'ame du cors se part, Ou bon li sache ou mout le griet, En une boise bien s'asiet : « Et Diex par est issi puissanz, Se li hons est bien repentanz, Il s'en devale ci de jus Et li max remaint toz la sus. Mes hons qui n'a confesse prise Ne porroit pas en nule guise Ci avaler, je le te di. » Ysengrin respont : « Or me di ; Einssi t'i mist sains Esperiz, As tu tes pechiez regehiz ? — Oïl, fet il, a .I. viez lievre Et a une barbue chievre Mout tres bien et mout saintement. N'avra mes m'ame dampnement Por chose que au siecle ai fete, Ne porchacie ne portrete. Se vos volez ci avaler, Aussi vos covient confesser De voz pechiez et repentir ; Qar nus ne puet çaienz venir, Se confesse ne li amainne. — Compains, ja por ce ne remainne Que je la a val a vos n'aille. Savez qu'il m'avint hui sanz faille, J'encontrai hui en mi ma voie, Einssi con hui matin venoie, Dant Hubert l'escofle volant. A lui me confessai courant Que onques n'i voil plus atendre ; De li voil penitance prandre Et volentiers la me donna ; Touz mes pechiez me pardonna Dont je cuidai avoir grant joie. — Biau compere, se je cuidoie Que ce fust voirs que vos me dites, Que de voz pechiez soiez quites, Au roi proieroie celestre Que il vos dont ceanz vostre estre Ou vos serïez liement. — Compere, or tost hastivement Me fetes la dedenz entrer ! Qar mout i desir a aler ; Qar foi que doi sainte Apetite, La verité vos en ai dite. Por Dieu, pensez de moi tenser. » Renart li conmence a crïer : « Or vos estuet dont Dieu proier Et mout saintement gracïer Que il vos face vrai pardon, De vos pechiez remission : Issi i porrïez entrer. » Ysengrin ne volt plus ester ; Son cul torna vers oriant Et sa teste vers occidant, Et conmença a orguener Et mout doucement a uller. Renart qui fet mainte merveille Estoit a val en l'autre seille Qui el puis estoit avalee. C'estoit la pute destinee Que Renart s'est dedenz couchiez ; Ysengrin ert par tens iriez. Dist Ysengrin : « J'ai Dieu proié. — Et je, dist Renart, gracïé : Vos vendrez a val sanz demeure. » Il estoit nuit a icele heure, Et les estoiles cler paroient Et en l'eve del puis luisoient. Renart qui tart estoit l'issue Li avoit fait une treslue : « Ysengrin, voiz tu ces merveilles Que devant moi ardent chandoiles ? Jhesu te fera vrai pardon Et mout bone remission. » Passion le fiere en la chierre ; N'i avoit ne feu ne lumiere, Ainz i avoit assez ordure Et oscurté et grant laidure. Ysengrin qui onc n'ot savoir, Cuide que il li die voir. Adonc s'esforce, adonc estrive Au seel abatre de rive ; Il joint les piez, si saut dedenz. Ysengrin fu li plus pesanz, Si se devale contre val. Ore escoutez le batestal : El puis se sont entrencontré ; Ysengrin l'a araisonné : « Compere, por qoi t'en vas tu ? » Et Renart li a respondu : « N'en fetes ja chierre ne frume ; Bien vos en diré la costume : Quant li un va, li autres vient, C'est la costume qu'il avient. Je vois en paradis la sus, Et tu vas en enfer la jus ; Mout es a grant honte livrez, Et j'en sui hors, bien le sachiez. Par Dieu le pere esperitable, La jus conversent li deable. » Des que Renart vint a la terre, Mout s'esbaudist de cele guere. Ysengrin est en male trape ; Se il fust pris devant Halape, Ne fust il pas si adolez Que quant el puis fu avalez. |
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