samedi 26 avril 2014

Ysengrin dans le puits - Feu Renart




Pendant qu'Ysengrin se lamente,
Q


ue qu'Isengrin se dementoit,
Renart reste coi.
Après l'avoir bien laissé hurler,
il se met à l'appeler :
« Qui est-ce, mon Dieu, qui parle donc ?
je reçois là bien des remontrances.
— Et toi, qui es-tu ? » dit Ysengrin.
« Eh bien, je suis votre bon voisin,
qui fut jadis votre compère,
que vous aimiez plus que votre frère.
On m'appelle maintenant feu Renart,
qui s'y connaissait tant en ruse et en malice,
car maintenant, je suis mort, Dieu merci,
et je fais ici ma pénitence. »
Ysengrin dit : « Voilà qui me réconforte.
Renart, dis-moi, es-tu vraiment mort ? »
L'autre lui répond : « Oui, depuis l'autre jour.
Personne ne doit s'en étonner
si je suis mort, car mourront aussi
tous ceux qui sont en vie.
Il leur faudra bien passer par la mort,
le jour où Dieu le voudra.
Mon âme appartient maintenant à Notre-Seigneur,
qui m'a tiré de ce martyre,
et de la puanteur de ce monde où je vivais.
Et que Dieu vous guide aussi jusqu'à la mort,
mon cher compère, je vous prie d'ailleurs
de me pardonner d'avoir causé le courroux
que vous aviez envers moi l'autre jour. »
Ysengrin répond : « Je vous l'accorde.
Que tout vous soit donc pardonné,
cher compère, ici et devant Dieu,
mais votre mort me rend triste. »
Renart dit : « Et moi j'en suis joyeux.
— Joyeux, mon ami ? — Vraiment, ma foi !
— Cher compère, dis-moi pourquoi.
— Alors que mon corps gît en bière
chez Hermeline dans sa tanière,
mon âme se trouve au paradis,
et sied aux pieds de Jésus.
Sache, compère, que je le veux ainsi,
et je n'ai jamais fait preuve d'orgueil.
Si toi, tu es dans le royaume terrestre,
moi, je suis dans le paradis céleste.
Il y a là des terres cultivées,
des bois, des plaines et des prairies
riches de volaille,
on peut y trouver du bétail en abondance,
plein de brebis et de chèvres,
on y voit nombre de lièvres,
de bœufs, de vaches, de moutons,
d'éperviers, d'autours et de faucons. »
L'autre jure par saint Sylvestre,
qu'il voudrait bien y être.
Renart dit : « Oubliez cela,
vous ne pouvez y entrer,
le paradis est pour ceux du ciel,
et ne convient pas à tout public.
Tu as toujours triché,
et été perfide, traître et fourbe.
Tu ne m'a pas cru à propos de ta femme.
Par Dieu et par sa toute puissance,
jamais je ne lui ai fait de misère,
jamais je ne l'ai baisée.
Tu dis que j'ai traité tes fils de bâtards,
alors que je n'y ai jamais pensé.
Au nom du Seigneur qui m'a fait naître,
je ne te dis que la vérité.
Je t'en fais même le serment
bien que je ne te le doive pas. »
Ysengrin dit : « Je vous crois volontiers,
soyez pardonné cette fois,
et faites-moi entrer ici. »
Renart répond : « Laissez tomber,
nous n'avons pas besoin d'ennui ici,
d'ailleurs regardez donc cette balance »,
il lui montre le seau du doigt,
et vous allez maintenant en entendre une bonne.


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Et Renart trestouz coiz estoit ;
Qant assez l'ot lessié uller
Puis si l'a pris a apeler :
« Qui est ce, Diex, qui la parole ?
Ja tieng je ça dedenz escole.
— Qui es tu, va ? » dist Ysengrin.
« Ja sui je vostre bon voisin,
Qui fu jadis vostre compere,
Plus m'amïez que vostre frere ;
Mes l'en m'apele feu Renart
Qui tant savoit d'engin et d'art.
Mes or sui mort, la Dieu merci,
Ma penitance faz ici. »
Dist Ysengrin : « C'est mes conforz.
Renart, respont, es tu dont morz ? »
Cil li dist : « Oïl, des l'autre hier.
Nus hons ne s'en doit merveillier
Se je sui mort : aussi morront
Trestuit cil qui en vie sont ;
Par mi la mort les covendra
Passer au jor que Diex voudra.
Or atent m'ame nostre Sire
Qui m'a jeté de cest martire,
De cest puant siecle ou j'estoie.
Mes que Diex a la mort vos voie,
Je vos pri, biau compere douz,
Que me pardonnez les courouz
Que l'autrier eustes envers moi. »
Dist Ysengrin : « Et je l'otroi :
Or vos soient tuit pardonné,
Compere, ci et devant Dé ;
Mes de vostre mort sui dolenz. »
Dist Renart : « Et j'en sui joianz.
— Joianz, amis ? — Voire, par foi !
— Biau compere, di moi por qoi.
— Que le mien cors gist en la biere
Chiés Hermeline en sa tesniere,
Et m'ame est en paradis mise,
Devant les piez Jhesu assise.
Sez, compere, por quoi jel voil ;
Je n'oi onques cure d'orgoil.
Se tu es el regne terrestre,
Je sui el paradis celestre.
Ceanz sont les gaaneries,
Les bois, les plains, les praeries ;
Ceanz a riche pocinaille,
Ceanz puez veoir mainte aumaille
Et mainte oeille et mainte chievre ;
Ceanz puez tu veoir maint lievre
Et bues et vaches et moutons,
Espreviers, ostors et faucons. »
Puis a juré par saint Sevestre
Que il voudroit la dedenz estre.
Renart dist : « Lessiez ce ester,
Ceanz ne pouez vos entrer :
Paradis est celestiaus,
Mes n'est mie a toz conmunaus.
Mout as esté toz jors trichierres,
Fel et traïtres et boisierres.
De ta fame m'as mescreü :
Par Dieu et par sa grant vertu,
Onc ne li fis descovenue,
N'onques par moi ne fu foutue.
Tu dis que tes filz avoutrai :
Onques, certes, ne le pensai.
Par cel Seignor qui me fist né
Que je t'en di la verité.
Serement en as toutevoie,
Sanz ce que point ne t'en devoie. »
Dist Ysengrin : « Bien vos en croi,
Sel vos pardon a ceste foiz.
Mes fetes moi laiens entrer. »
Renart respont : « Lessiez ester,
Ceanz n'avon cure de noise :
La pouez veoir cele boise. »
Au doi li a mostré la seille :
Ore escoutez une merveille.
Comment Renart fit descendre Ysengrin dans le puits Si conme Renart fist avaler Ysangrin dedenz le puis (23)
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