et parlons plutôt du domestique qui se lève la nuit pour aller pisser, et entend Renart en train de ronger. Il est rudement surpris, et se dit aussitôt que ça doit être un goupil ou un blaireau qui est entré chez les chapons. Il va au poulailler sur-le-champ, et prend aussitôt la clavette, pour l'attacher tout aussi rapidement : voilà le goupil attrapé. Il retourne alors à la maison, et s'écrie à pleine voix : « Allez debout, barons, levez-vous vite et venez m'aider ! Le goupil s'est fait avoir, il lui faudra être vraiment très rusé pour s'échapper de cette prison. » Il faut voir les moines se lever et courir à qui mieux mieux, droit sur le poulailler pour secourir les poules, on n'a jamais vu de gens si pressés. Malheur à Renart qui réalise la tromperie, il va le payer très cher. Il n'y en a pas un qui ne porte pas de massue, avec lesquelles ils menacent de frapper Renart, quand ils pourront le tenir. Ils arrivent à la porte, l'ouvrent, tous disposés à bien cogner, et entrent ensemble. Renart frémit, tremble de peur, et se lamente fort, complètement effrayé, car il sait bien que, sans coup ni blessure, il ne pourra sortir du poulailler. « Ah ! fait-il, les moines sont trop cruels, et des gens de la pire espèce, ils ne feraient rien de bon pour une prière. Dieu, que vais-je faire ? S'il y avait un prêtre, je pourrais recevoir la communion, me confesser à lui, et lui dire tous mes péchés. Il ne pourrait m'arriver aucun malheur, car si je mourrais, alors je serais sauvé. Mais tout ce qui brille n'est pas en or, et qui cherche à nuire n'est pas là pour aider. Parce qu'ils sont vêtus de capes noires, je pourrais bien les appeler prêtres, mais ça serait absurde, je ferais mieux de les traiter de diables, car ce sont tous des diables ici, c'est plutôt ainsi qu'on doit les appeler. Il me faut donc maintenant les mettre à l'épreuve. » Sur ces mots, Renart se redresse vivement, retrousse ses vêtements, et se prépare à fuir. Il voit un moine venir vers lui, qui le frappe en travers des reins d'un grand coup de massue, à deux mains, et l'abat face contre terre. Renart est maté, vaincu, pourtant il se redresse en homme qui s'est tiré de maints périls. Quand il voit que chacun l'attaque, il fait un bond parmi eux, parvient à passer quatre moines, mais à quoi bon ? L'un cherche à le briser, un autre à le frapper, un autre encore à le tuer. Il se trouve en bien mauvaise compagnie, qui vaudra à son haubert et à son bouclier d'être l'un démaillé et l'autre brisé. Pour finir, ils le malmènent tellement, le battent et le font tant souffrir, qu'en plus de quatorze endroits il aura besoin de fil et d'aiguille. Beaucoup ont affabulé sur Renart, mais moi je ne dis que la vérité, sans détour ni retard, alors ne prenez pas tout ça pour mensonge. Quand Renart parvient à se délivrer, et à s'échapper des moines, sachez que tout lui semble beau. Il s'en va en fuyant par un vallon, passe ensuite à travers un bois, il a la peau du dos trempée de sueur. Il fuit à toute allure par un grand chemin, aussi longtemps qu'il peut tenir. Il ne dit pas : « Cul, suis-moi », mais : « Débrouille-toi comme tu veux ! » On dit qu'il aide toujours à contre-cœur celui qui laisse son cul derrière ; eh bien, si j'étais en sa compagnie, je ne compterais pas beaucoup sur son aide. Il court d'une traite, et ne s'arrête pas avant d'arriver sur les rives de l'Oise. Quand il parvient à la rivière, il regarde devant et derrière, et aperçoit au milieu d'un pré une meule de foin, qui a été laissée ici parce qu'elle n'est pas encore sèche. Le goupil y fait son lit, puis s'en éloigne juste un peu car il a besoin de se soulager avant d'aller se coucher. Il arque la queue et fait sept pets en rafale : « Le premier, fait-il, est pour mon père, et le suivant pour l'âme de ma mère. Le troisième est pour mes bienfaiteurs et pour tous mes ancêtres. Le quatrième est pour les poules dont j'ai mangé l'échine, et le cinquième pour le paysan qui a rassemblé ce foin ici. Le sixième est, par affection, pour dame Hersent, ma douce amie. Le septième est pour seigneur Ysengrin, que Jésus lui réserve une sale journée et une mauvaise rencontre au lever. Que la male mort lui crève le cœur ! Jamais Dieu n'a fait de créature que je haïsse à ce point, ou que j'abhorre autant que lui : qu'une mort violente l'emporte aujourd'hui même, puisse-t-il pendre à une maudite corde sans que personne ne puisse le défendre ! Si jamais je viens à manquer de ruse, qu'il finisse pendu pour son malheur ! » | 12668 12672 12676 12680 12684 12688 12692 12696 12700 12704 12708 12712 12716 12720 12724 12728 12732 12736 12740 12744 12748 12752 12756 12760 12764 12768 12772 12776 12780 12784 12788 12792 12796 | Et si vos diron d'un serjent Qui la nuit leva a pissier, Si a oï Renart rungier. Mout durement se merveilla, Et maintenant se porpensa Que c'estoit gorpil ou tessons Qui estoit venuz as chapons ; Au gelinier en vint errant, Le clavel prist tot maintenant, Si l'a mout tost pris et lïé : Es vos le gorpil atrapé. Et puis s'en retorne en meson, En haut s'escrie : « Or sus, baron, Levez tost sus et si m'aidiez ! Or est li gorpil engigniez ; Or savra il assez de frape, S'il de ceste prison eschape. » Qui donc veïst moines lever, Qui ainz ainz corre et aler Tot droitement au gelinier Por les gelines aïdier, Mout li membrast de gent isnele. Mar vit Renart ceste favele, El li sera mout chier vendue ; N'i a celui ne port maçue Dont mout menacent a ferir Renart, s'il le puent tenir. A l'uis viennent, si le desferment, Et tuit de bien ferir s'aesment, Enz entrerent trestuit ensemble. Renart fremist, de peor tremble, Mout se demente, mout s'esmaie, Bien set que, sanz coup ou sanz plaie, Ne puet issir du gelinier. « Ha ! fet il, moines sont trop fier Et gent de mout male maniere, Riens ne feroient por prïere, Diex, que feré ? Se prestre eüsse, Corpus domini receüsse Et a lui confés me feïsse Et touz mes pechiez li deïsse, Ne m'en peüst venir nus maus : Se moreusse, si fusse saus ; N'est pas tot or ice qui luist, Et tel ne puet aidier qui nuit. Por ce qu'il vestent chapes noires Bien les puis apeler provoires, Je feroie que forsenez ; Bien les puis apeler maufez : Maufez sont il trestot issi, Bien les puis apeler issi. Bien les puis issi apeler, Or les me covient esprover. » A cest mot saut Renart en place, Mout s'apareille et se rebrace, Mout s'apareille de fouir. Vers lui vit .I. moine venir Qui le feri par mi les rains D'une grant maçue a .II. mains, Qu'a terre l'abati tout plat. Or est Renart conclus et mat, Si se redresce come cil Qui est estors de maint peril. Quant il vit que chascun l'asaut, Par mi eus toz a fet .I. saut Que .IIII. des moines trespasse. Mes ce que vaut ? Li .I. le qasse, L'autre le fiert, l'autre le tue. Or est entrez en male rue Dont ses hauberz et ses escuz Sera desmailliez et rompuz. A la parfin l'ont tant mené, Tant batu et tant traveillié, Que en plus de .XIIII. lieus Li a mestier aguille et fieus, Maint honme ont de Renart fablé, Mais j'en diré la verité Tot maintenant sanz nule alonge ; Or nel tenez mie a mençonge. Quant Renart se fu delivrez, Et des moinnes fu eschapez, Or sachiez que mout li fu bel ; Fuiant s'en va par .I. vausel, Aprés si passa par .I. bos, Mout li sue la piau du dos. Fuiant s'en vet grant aleüre Le grant chemin tant con il dure. Il ne disoit pas : « Cul, sieu moi », Mes : « Se tu veus, pense de toi ! » A enviz aïdast autrui Cil qui son cul lesse aprés lui ; Se je fusse en sa compaingnie, Mout petit prisasse s'aïe. Ainz ne fina de corre a toise, Tant qu'il vint sor la rive d'Oise. Et quant il vint a la riviere, Garda avant, garda ariere, Si a choisi en mi .I. pré .I. mulon de fain aüné Qui illeques estoit lessié Por ce qu'il n'estoit pas sechié. Illec fist le gorpil son lit ; En sus se tret .I. seul petit, Que il se voloit alaschier Ançois que il s'alast couchier ; Si a mis la queue en l'arçon, .VII. pez a fet en .I. randon : « Li premier, fait il, soit mon pere Et l'autre por l'ame ma mere, Le tierz soit por mes bienfetors Et por trestoz mes ancessors. Li quatriesmes por les gelines Dont j'ai mengiees les eschines, Et li quint soit por le vilain Qui ci a aüné cest fain. Le sisieme, par druerie, Dame Hersent, ma douce amie. Le setiesme, dant Ysengrin, Qui Jhesu envoit mau matin Et mal encontre a son lever. Male mort le puist acorer ! Que Diex ne fist onc criature Que je tant hee a des mesure Conme je faz le cors de lui : La male mort le prangne hui, A male hart puisse il pendre ! Que nus ne l'en puisse desfendre ; Se j'onques soi point de barat, Penduz soit il a male hart ! » |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire