qui puisse vous faire rire, car je sais bien, c'est la pure vérité, que vous n'avez cure de sermons ou d'entendre parler de la vie des saints. Vous n'avez aucune envie de cela, mais plutôt d'histoires qui vous plaisent, alors que chacun garde le silence maintenant, car je suis prêt à vous en raconter une bonne, que Dieu me guide. Si vous prenez soin de m'écouter, vous pourrez même apprendre des choses que vous feriez bien de retenir. On a coutume de me prendre pour un fou, j'ai pourtant entendu dire à l'école que du fou vient la parole de la sagesse. Mais il est inutile de faire un long prologue, je vais raconter maintenant, plutôt que de me taire, une branche et un tour unique de celui qui sait tant de ruses, il s'agit de Renart, vous le savez bien, dont vous avez déjà beaucoup entendu parler. Personne n'arrive à la cheville de Renart, Renart fait tourner le monde en bourrique, Renart séduit, Renart donne l'accolade, Renart est de la mauvaise école. On ne peut rien tirer de lui, on n'est jamais vraiment son ami. Il est très habile et très rusé ce Renart, et ne fait pas de bruit, pourtant il n'est personne en ce bas monde de si sage qui n'ait pas fait parfois quelques folies. Je vais maintenant vous dire quel malheur et quelle peine va subir Renart. Il s'en va un jour chercher de la nourriture en d'autres terres, car il est en grand manque de vivres, il est accablé. Il passe dans un champ labouré, et entre dans un pré, puis va droit dans un fourré, tout malheureux, et très fâché de ne pouvoir trouver quelque chose qu'il puisse manger pour le souper, il ne voit rien à se mettre sous la dent. Alors il repart à l'amble, et arrive à l'orée du bois. Il s'y arrête par nécessité, il est tout maigre et tout chétif, car il y a une grande famine dans son pays. Il s'allonge de temps à autre, tandis que son ventre et ses boyaux à l'intérieur, se demandent ce que peuvent bien faire ses pattes et ses dents. Il geint d'angoisse, de détresse, et de la faim qui le fait tant souffrir. Il se dit alors qu'il n'est pas bon d'attendre dans un lieu où l'on ne peut rien prendre. À ces mots, par un sentier, il court un arpent entier sans jamais ralentir le pas, jusqu'à ce qu'il arrive sur un chemin de traverse, le cou baissé. Il trouve alors un enclos, un champ d'avoine à côté, une abbaye de moines blancs, et une grange tout près où Renart aimerait passer à l'offensive. La grange est bien plantée, les murs sont de pierres grisâtres, très solides, je ne vous mens point, entourés tout le long d'un fossé dont les bords sont hauts. Aucune âme qui vive ne pourrait y enlever quoi que ce soit par la simple force, puisque la grange est ainsi fortifiée et close. Il y a là plein de nourriture, car elle est située dans une belle pâture. C'est vraiment une bonne grange mais elle est impénétrable pour la plupart. Il y a beaucoup de chair fraîche dont Renart le goupil raffole, des poules et des chapons de plus d'un an. Renart part dans cette direction, et fait un bond à travers le chemin, tout empressé de faire un assaut. Il ne retient nullement son allure jusqu'à arriver aux chapons. Sur le fossé, il se prépare, paré pour le butin, à assaillir les poules, pourtant il ne parvient pas à s'en approcher. Il court et recourt autour de la grange, mais ne trouve ni pont, ni planche, ni trou, il est complètement découragé. Il regarde alors du côté de la porte et voit le guichet ouvert, puis les aperçoit à découvert. Il y va et se lance à travers. Renart est maintenant en grand péril, car si on peut s'apercevoir qu'il essaye de les tromper, les moines retiendront un gage ou lui-même en otage, car ce sont de grands félons. Mais qu'importe ? c'est l'aventure. | 11996 12000 12004 12008 12012 12016 12020 12024 12028 12032 12036 12040 12044 12048 12052 12056 12060 12064 12068 12072 12076 12080 12084 12088 12092 12096 | Dont je vos puisse faire rire ; Qar je sai bien, ce est la pure, Que de sarmon n'avez vos cure Ne d'un corsaint oïr la vie. De ce ne vos prant nule envie, Mes de tel chose qui vos plaise. Or gart bien chascun qu'il se taise ; Qar de bien dire sui en voie Et bien garniz, se Dex me voie. Se vos me volïez entendre, Tel chose porrïez aprendre Qui bien feroit a retenir. Si me seut l'en por fol tenir, Mes j'ai oï dire en escole : D'aucun fol hons sage parole. Lonc prologues n'est preuz a fere ; Or dirai, ne me voil plus tere, Une branche et .I. sol gabet De celui qui tant set d'abet : C'est de Renart, bien le savez Et bien oï dire l'avez. De Renart ne va nus a destre ; Renart fet tout le monde pestre, Renart atret, Renart acole, Renart est de mout male escole. De lui n'a nul corroies ointes, Ja ne sera si ses acointes. Mout par est sages et voiseus Renart, et si n'est pas noiseus ; Mes en cest monde n'a si sage Qui a la foiz n'aut au folage. Or vos dirai quel mesestance Avint Renart et quel pesance. L'autrier estoit alez porquerre Sa garison en autre terre Con cil qui avoit grant soufraite De guarison, qui mout deshaite. Si con il vint en une aree, Si s'en entra en une pree, Puis s'en vint droit a une broce Mout dolent, et mout se corouce Que il ne puet chose trover Qu'il puist mengier a son souper ; Il n'i voit riens de la pasture. Puis se remet en l'ambleüre Hors du bois et vint a l'oraille. Puis si s'est arestez sanz faille, Maigres estoit et mout chaitis. Grant fain avoit en son païs ; D'eures en autres s'estendeille Et son ventre si se merveille, Et si bouel qui sont dedenz, Que font ses poes et ses denz. D'angoisse gient et de destrece Et de la fain qui mout le blece ; Lors dit qu'il fet malvez entendre En leu ou l'en ne puet riens prandre. A icest mot par .I. sentier S'en corut .I. arpent entier. Onques ne volt aler le pas Tant que il vint a .I. trespas. Si con il ot le col bessié, Si a trouvé en .I. plessié, Par encoste unes avaines, Une abaïe de blans moines Et une granche par dejoste Ou Renart velt fere une joste. La granche fu mout bien asise ; Li mur furent de roche bise, Mout fort, ne vos en mentiron, Et furent clos tout environ D'un fossé dont haute est la rive, Si que ne lor puet riens qui vive Tolir par force nule chose, Puis que la granche est ferme et close. Plenté i a de norreture, Qar ele est en bone pasture. Mout par estoit bone la granche, Mes a plusors estoit estrange. Assez i a de tel viande Con Renart le gorpil demande : Gelines, chapons soranez. Renart est cele part alez ; Par mi la voie a fait .I. saut, Tout abrivé de fere .I. saut. Onques ne fu son frain tenuz Tant qu'il est as chapons venuz. Sor la fosse s'est aprestez, De guaaignier touz aprestez Et des gelines assaillir, Mes a eus ne pot avenir ; Cort et recort entor la granche, Ne trove mes ne pont ne planche Ne pertuis : mout s'en desconforte. Lors regarda devers la porte Et vit le guichet aouvert Et si le vit a descovert : Cele part vint, outre se lance. Or est Renart en grant balance ; Car se on puet aparcevoir Que il les voille decevoir, Li moine retendront son gage Ou lui meïsme en ostage, Qar felon sont a desmesure. Qui chaut ? tout est en aventure. |
Les moines blancs sont les moines de l'ordre de Cîteaux ou moines cisterciens (v. 12058).
RépondreSupprimerAu v. 12014, il faut écrire: "dont vous avez déjà beaucoup entendu parler", infinitif.
RépondreSupprimerLa faute est corrigée, merci de l'avoir signalée.
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