il se met à lui parler : « Renart, je ne parviens pas à me décider quelle mort je vais t'infliger pour en finir. Tu mérites d'être brûlé ou mangé, comme j'en ai le pouvoir, mais je veux faire durer tes derniers moments avant de te mettre à mort. » Pendant qu'il prononce ces paroles, il lui écrase la gorge du pied, et lui fait ouvrir la gueule, il va étrangler Renart. Mais il est pris d'une grande pitié, et se souvient de l'amitié qu'il y a toujours eue entre eux. Sa vue se trouble, il se met à pleurer et pousse de grands soupirs, puis s'accroupit au dessus de Renart. « Ah ! fait-il, je suis trahi, la colère m'a emporté, j'ai agi trop vilainement, désormais je n'ai plus goût à rien après avoir tué mon conseiller. » Renart l'entend, et s'étire un peu. Le loup dit alors : « Qu'est ce que je sens ? On dirait une veine qui bat, ou son cœur, pourtant je ne sens ni haleine ni chaleur. » Renart se redresse un peu sur ses pattes, et dit : « Seigneur, c'est un péché de m'avoir traité si méchamment. N'agissez pas avec tant de furie, je suis votre neveu, c'est ce qui compte, ne méprisez pas les faibles ainsi. » À ces mots, Renart regarde du côté de la plaine, et voit un paysan qui passe sur le chemin. Il est si chargé qu'il ploie sous le poids d'un jambon qu'il porte sur son cou depuis sa maison. Renart se met à sourire en le voyant, et dit à son oncle : « Mon oncle, écoutez cette nouvelle que vous allez trouvée bonne et belle : ce paysan porte un jambon, et nous allons mettre la main dessus. » Quand Ysengrin entend cela, il regarde, et voit le jambon que l'autre est en train de porter. Renart est toujours étendu entre les pattes de son oncle, il l'implore et lui dit : « Mon oncle, laissez-moi y aller, car vous serez bien mieux rassasié du gros jambon de ce paysan, jusqu'à dans la nuit et même demain, que vous ne le seriez de moi, je vous en donne ma parole. Si je ne vous le remets pas sur l'heure, je reviendrai quand même à vous, et vous pourrez faire ce qui vous plaira de moi. Mais vous aurez le jambon tout entier, et si vous ne voulez pas le manger, nous nous ferons marchands. À quoi bon s'attarder ici ? Courrons après lui ! Il n'y a rien d'autre à faire. Je sais bien vendre la viande sans que le client refuse. Faites comme vous l'entendez, mais je pourrais avoir le tiers, et vous qui êtes grand, les deux autres tiers. C'est la coutume chez les marchands qui se conduisent bien ensemble. » Ysengrin lui montre les dents, et lui répond : « Par saint Clair, je n'ai pas envie d'aller vers ce paysan. Je passais hier dans une rue, et l'un d'eux m'a frappé avec une massue si fort qu'il m'a étendu raide. Ça me fait trop honte quand on me bat. » Renart répond : « Soyez tranquille ! Mais il faut que je mette mon idée à l'épreuve, et si je ne parviens pas à vous livrer ce jambon, faites-moi pendre à une corde. Mon oncle, fait-il, restez donc là, et j'irai de ce pas si vous voulez bien. » Après l'avoir tant flatté et tant prié, Ysengrin lui donne le permission. | 11548 11552 11556 11560 11564 11568 11572 11576 11580 11584 11588 11592 11596 11600 11604 11608 11612 11616 11620 11624 11628 11632 | Si se conmence a desresnier : « Renart, ne me puis porpenser De quel mort te face finer, Dignes es que te doie ardoir Ou mengier, quant j'en ai pooir ; Mes je te voil longue fin fere, Ainz qu'a la mort te voille trere. » Que qu'il a lui issi parole, Des piez li mouse la chanole, Si con il la geule baoit, Et Renart estrangler vouloir. Si l'en est prise grant pitié, Remembre li de l'amistié Qu'il ont tot jors entre eus eüe ; Troublee li est la veüe, Si enconmença a plorer Et durement a soupirer ; Desus Renart s'est acroupiz. « Haï ! fait il, con sui traïz. Mon mautalent m'a sorporté, Trop ai vilainnement ovré ; Je n'ai mes cure de deport, Quant je mon conseillier ai mort. » Renart l'oï, .I. poi s'estent. Dist li leus : « Qu'est ce que je sent ? Au cuer li bat aucune vaine Et je n'i sent feu ne alainne. » Renart se drece seur ses piez Et dist : « Sire, ce est pechiez, Qui si malement me menez. Ne soiez pas si forsenez ; Vostre niez sui, ce est la some, Ja mar tendrez vil petit honme. » A cest mot garde lez .I. plain ; Renart s'a veü .I. vilain Qui s'en aloit toute la voie, Si ert chargiez que trestot ploie. Sor son col portoit .I. bacon ; Venuz estoit de sa meson. Renart le vit, si a souriz ; A son oncle dist, ce m'est vis : « Oncles, oez bonne novele Qui vos sera et bonne et bele ; .I. bacon porte cil vilains : Qar le meton entre nos mains. » Ysengrin l'ot, si regarda ; Le bacon vit que cil porta. Et Renart entre ses piez gist, Son oncle apele, si li dist : « Oncle, dist il, lessiez m'aler ; Car miex vos porrez saouler Del grant bacon a cel vilain, Enquenuit et ore et demain, Que vos ne ferïez de moi Et je vos en afi ma foi, Se orendroit ne le vos rent, Ci revendrai a vos present, Dont porrez fere vo plaisir, Et de mon cors tot vo desir. Le bacon avrez tout entier Et se vos nel voulez mengier, Nos en devendrons marcheant. Que alon nos ci delaiant ? Coron li sus ! Or n'i ait plus. Bien sai vendre char sanz refus. Ore en fetes a vostre esgart ; Je en avré la tierce part Et vos les .II. qui estes grans. C'est costume de marcheans Qu'il se deduisent liement. » Ysengrin li mostre la dent Et li respondi : « Par saint Cler, Vers vilain n'ai cure d'aler. Je passai hier par une rue, .I. m'en feri d'une maçue Si que il m'abati tout plat ; Grant honte me fet qui me bat. » Dist Renart : « Lessiez ce ester ; Or m'estuet mon sens esprover, Se le bacon ne vos puis rendre, A une hart me fetes pendre. Oncle, fait il, or demorez ; G'irai avant, se vos volez. » Tant l'a blandi, tant l'a proié, Qu'Isengrin li donne congié. |
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RépondreSupprimerCinquième vers : ... d'être brûlé
C'est corrigé, merci d'avoir signalé la faute.
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