dimanche 23 mars 2014

Le songe de Renart - Le grillon maître clerc




Renart s'en va, poursuivant son chemin,
V


a s'en Renart son grant chemin ;
bien décidé à jouer un tour à Ysengrin,
car il a la ferme intention de lui faire payer le jambon,
dont il n'a pas voulu lui donner sa part.
C'est bien là l'habitude du goupil.
Il découvre une maison devant lui,
et s'y dirige, c'est la vérité.
Il arrive dans le courtil d'un prêtre,
où il trouve des rats à profusion.
« Dieu, dit Renart, je n'ai pas marché pour rien,
car j'ai extrêmement faim,
et Dieu me donne là une belle occasion. »
Il se donne du mal pour avoir des rats par la ruse,
et finit par s'arrêter après beaucoup de peine,
quand il aperçoit un grillon.
Renart est pris d'un grand frisson,
car il a peur qu'il trahisse sa présence.
Il descend en musardant tout en bas du courtil,
puis écoute le chanteur
qui est près du four.
Le grillon, qui le reconnaît bien,
se tient tranquille et ne dit plus rien.
Renart incline la tête :
« Les clercs savent bien chanter en latin,
je vous donnerai un bon salaire,
maître clerc, si vous dites votre office. »
Le grillon cherche à comprendre
comment Renart va agir,
car il voit bien qu'il le guette.
Quand Renart se rend compte que l'autre l'observe
pour découvrir ses intentions,
il incline un peu plus la tête,
et se met à lui dire :
« Maître clerc, est-ce vraiment le moment d'écrire ?
Si vous vouliez plutôt recommencer
votre psautier, au nom de mon père,
je vous en saurais fort gré,
et vous seriez bien payé,
j'en fais ici le vœu. »
Le grillon répond avec toute sa fierté :
« Taisez-vous, traître invétéré,
ce n'est pas un berger que vous avez trouvé ici,
et vous me regardez d'un sale œil.
Par saint Denis, j'aimerais bien savoir
de quel pied vous clochez, fait-il. »
Il s'approche de Renart
car il veut l'observer de près.
Mais Renart veut le châtier,
car il se méfie de sa curiosité,
alors il tire une massue de sa manche,
et vise pour le frapper.
Le grillon ne veut pas fuir,
et préfère pousser un cri.
Renart, qui s'y connaît tant en sales coups,
lui jette la massue :
« Frobert, fait-il, c'est terminé maintenant,
comprends bien que si je te laissais vivre,
tu pourrais me causer des ennuis aujourd'hui. »
Il se demande alors ce qu'il va faire
et comment il se vengera de lui.
Il ouvre la gueule et montre les dents,
car il veut engloutir Frobert.
Le grillon lui dit : « Renart,
comme tu es de vile engeance,
que la fièvre maudite te frappe,
tu es de la pire espèce !
Le diable a là un pèlerin
qui finira toujours par mordre les gens.
Si tu m'avais pris dans ta gueule,
tu m'aurais écrasé et tué.
J'ai été bien près de mourir,
mais Dieu m'a préservé par sa volonté.
Je vais rentrer dans mon enclos,
quant à toi, reste dehors. »
Renart lui répond : « J'ai été troublé,
je croyais que c'était ton livre,
et pour sûr, si je l'avais mangé,
je saurais maintenant toutes tes chansons.
Je suis frappé d'une grave maladie,
car j'ai fait de nombreux pèlerinages,
et comme vous pouvez l'imaginer
je ne vois plus très clair.
À quoi bon, si je ne peux plus voir avec mes yeux ?
Vraiment, je souffre terriblement
car je suis complètement miné par la maladie.
C'est à cause de tous ces pèlerinages,
qui ont trop usé mon corps,
qu'un tel mal a couvé en moi,
et que je vais devoir en mourir,
je vois bien que je n'en ai plus pour longtemps.
C'est sûr, je suis un pauvre hère,
faites-moi faire la confession,
car il n'y a aucun prêtre ici,
et vous connaissez bien ces choses là,
puisque vous êtes clerc, bon et sage.
Pour tous mes pèlerinages,
je vous prendrai avec moi, que Dieu me guide,
car je sais bien que si je cherchais
dans tout le pays,
je ne trouverais pas de plus honnête homme. »
Le grillon se met à rire,
et n'a soin de pousser sa chanson.
Il connaît bien les faits et gestes de Renart,
alors il lui répond : « Que Dieu me garde,
Renart, ne vous inquiétez pas
pour vous confesser, car sous peu
vous aurez des prêtres à profusion,
et vous pourrez leur dire vos volontés. »
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Or velt engingnier Ysengrin,
Bien li cuide le bacon vendre,
Dont il ne li volt sa part rendre,
Bien a la costume au gorpil.
Devant lui trouva .I. mesnil ;
La s'en torna, ce est la voire,
Et vint au cortil au provoire ;
Raz i trova a grant plenté.
« Diex, dist Renart, bien ai erré.
Qar fain avoie a desmesure,
Diex m'a donné bele aventure. »
Des raz engingnier mout se painne ;
Arestez est a mout grant painne,
Si aparçut .I. gresillon.
Renart en fu en grant friçon,
Qar peor a qu'il ne l'encuse,
Tout contre val le cortil muse ;
Si escoute le chanteor
Qui el cortil est pres del for ;
Le gresillon le connut bien,
Tout coiz se tint qu'il ne dist rien.
Renart en tint le chief enclin :
« Clerc sevent bien chanter latin,
Je vos donroie bon louer,
Dant clerc, dites vostre mestier. »
Le gresillon prist a garder
Conment Renart vodra ovrer ;
Bien s'aparçut qu'il le gaitoit.
Quant Renart vit qu'il le gaitoit
Et qu'il voloit savoir sa fin,
Si en ot le chief plus enclin.
Lors li a conmencié a dire :
« Dant clerc, volez vos ci escrire ?
Se voliez reconmencier
Por mon pere vostre sautier,
Je vos en savroie bon gré,
Si en serïez bien loué,
Et je issi fere le voil. »
Le gresillon dist grant orgoil :
« Tesiez vos, traïtres provez,
N'avez pas ci bergiers trovez,
Trop me regardez de put oil.
Par saint Denis, enquerre voil
De quel pié, fet il, vos clochiez. »
Envers Renart s'est aprouchiez,
Qar il le velt de pres gaitier ;
Et Renart qui se velt vengier,
Qui a peor de son aguet,
De son braz une mace tret,
Si l'en a esmé a ferir.
Le gresillon ne volt fouir,
Ançois avoit jeté .I. bret.
Et Renart qui tant set d'aguet,
A la mace jetee jus :
« Frobert, fet il, or n'i a plus ;
Bien voi, se je te lesse vivre,
Tu me porras encui bien nuire. »
Lors se porpense qu'il fera
Et conment il s'en vengera ;
Bee la geule et muet les dens,
Qu'il volt Frobert englotir ens.
Le gresillon li dist : « Renart,
Con tu es or de pute part ;
La male passion te fiere,
Mout es de mauvese maniere.
Or ont deable .I. pelerin
Qui la gent mordra en la fin ;
Se tu m'eüsses engoulé,
Mort m'eüsses et afolé ;
Mout ai esté pres de morir,
Diex m'a gari par son plaisir ;
Je me rendré dedens enclos
Et tu te tiengnes par defors. »
Et dist Renart : « Je estoie yvres,
Je cuidoie ce fust tes livres ;
Certes, se je mengié l'eüsse,
Trestotes tes chançons seüsse.
Mout sui sorpris de grant malage,
Que j'ai fet maint pelerinage ;
Si puez bien savoir et penser
Que je ne voi mie bien cler.
Que vaut nel puis choisir a l'uel ?
Certes mout durement me duel ;
Car trop sui plain de grant malage.
Je ai fet maint pelerinage
Qui mon cors ont mout fort pené ;
Tel mal ai dedenz moi cové,
Par qoi me covendra finer,
Bien voi ne puis longues durer.
Certes je sui .I. chaitis hon ;
Mes fetes moi confession,
Qar il n'a ci illuec nul prestre
Et vos savez bien tot cest estre ;
Qar clers estes et bons et sages.
En trestoz mes pelerinages
Vos recevré, se Diex me voie,
Qar je sai bien, se je cerchoie
Tout cest païs ci environ,
Ne troverroie plus preudon. »
Li gresillon conmence a rire,
N'avoit soing de sa chançon dire ;
Bien connoissoit les fez Renart,
Si li a dit : « Se Diex me gart,
Renart, ne soiez en esfroi
De confesser, que jusqu'a poi
Avrez prestres a grant plenté,
Dire porrez vo volenté. »
Le songe de Renart où Ysengrin le battit C'est le songe Renart si conme Ysangrin le bati (22)
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