jeudi 20 juin 2013

Tibert et les deux prêtres - Le chapeau en poils de chat




Tibert le chat, dont j'ai déjà parlé,
T


ybert le chat dom je ai dit
redoute peu Renart,
lui non plus ne cherche ni trêve ni paix.
Voici qu'arrivent deux prêtres pressés,
en route vers le saint synode.
L'un a une vieille jument balzane,
et l'autre a sous lui
un palefroi amblant tranquillement.
Celui sur la jument aperçoit Tibert :
« Compagnon, dit-il, arrêtez ici.
Quelle est cette bête que je vois là ?
— Bon sang, dit l'autre, halte.
C'est un magnifique chat sauvage.
Ah ! Dieu, je serais le roi
si je pouvais le tenir entre mes mains
et couvrir ma tête avec sa fourrure contre le froid.
Il a un superbe pelage,
il ferait un grand et beau chapeau.
J'en ai vraiment besoin,
d'ailleurs Dieu nous a amenés sur cette route
car il le savait bien.
Je m'en ferai donc faire
un chapeau, avec votre accord.
Et pour l'arranger encore mieux,
je me dis,
si vous pensez aussi que c'est bien,
que je vais laisser la queue
afin d'agrandir le chapeau
pour me couvrir derrière le cou.
Voyez comme elle est grande et bien fournie. »
L'autre répond : « J'entends là un beau discours.
Mais, pour l'amour de Dieu, qu'ai-je fait de mal ?
En quoi ai-je mal agi
pour ne pas avoir ma part ? »
L'autre lui dit : « Vous n'avez rien fait,
messire Turgis, mais vous ne pouvez imaginer
à quel point j'en ai besoin.
C'est pourquoi vous devez me la laisser.
— Vous la laisser, fait-il, mais pour quelle utilité ?
Quels bons traitements ai-je eu de votre part ?
Pour quelle raison, pour quel mérite,
devrais-je vous l'abandonner ? dites-le-moi.
— Malheureux, lui dit Rufrengiers,
vous êtes toujours aussi intraitable,
on n'obtiendra jamais rien de vous.
Enfin, partageons, je veux bien,
mais je me demande
comment on va pouvoir faire.
— Ma foi, je le sais,
ne vous inquiétez donc pas pour ça.
Comme vous voulez en faire un chapeau,
nous ferons estimer la peau,
et vous me devrez
la moitié de sa valeur. »
Rufrengiers dit : « Faisons cela,
car je veux le chat pour moi tout seul.
Comme nous allons à Sens ensemble,
j'imagine que nous allons devoir manger,
il nous faudra donc
payer l'addition comme il se doit,
je réglerai alors pour moi et pour vous,
et je serai quitte pour tout ce que je vous dois.
Mais vous me promettez sincèrement
que vous n'agirez pas autrement
qu'en me laissant toute la peau,
et en ne me réclamant jamais rien d'autre.
— Honte à quiconque refuserait cela, dit Turgis.
Tope là ! je vous le promets, seigneur,
je vous l'assure en toute loyauté.
— C'est parfait, dit Rufrengiers,
mais lequel de nous deux le prendra ? »
Turgis lui répond : « Celui à qui il sera.
Je n'en attends rien et je ne m'en plains pas,
je ne compte pas du tout m'en occuper,
vous n'aurez aucune aide de moi.
— Cela se fera quand même,
dit Rufrengiers, car il est à moi.
— Soyez en donc satisfait. »
Rufrengiers approche de la croix,
car rien ne lui tient plus à cœur
que d'attraper Tibert le chat.
Mais son palefroi est trop petit,
et il ne peut l'atteindre en étant assis,
alors il monte debout sur la selle.


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Doute Renart assez petit,
Ne quiert avoir treves ne pes.
Es vos .II. prestres a eslés
Qui en aloient au saint sane :
Li uns ot une viez balçane
Et li autres ot desouz soi
.I. souef anblant palefroi.
Cil a l'egue a Tybert choisi :
« Compains, dist il, estez ici.
Quel beste est ce que je voi la ?
— Cuivert, dist li autres, esta.
C'est .I. merveilleus chaz putois.
Ha ! Diex, con je seroie rois,
Se le pouoie as poins tenir
A mon chief por le froit covrir ;
Por ce que il bonne pel a,
Bon chapel et grant i avra.
Certes grant mestier en aroie ;
Diex nos amena ceste voie,
Qui bien savoit le grant mestier,
Or en feré apareillier
Tout a vostre los .I. chapel
Et por agencier le plus bel
Me sui porpensez d'une rien,
Se vos loez que ce soit bien ;
Que je voil la queue lessier
Por le chapel agrandoier
Et par mon col covrir deriere :
Veez con est grant et pleniere. »
Dist li autres : « Or oi bon plet.
Por amor Dieu, q'ai je mesfet ?
Ai mesfet en nule baillie
Que doie perdre ma partie ? »
Ce dist li autres : « Non avez ;
Mesire Turgis, ne savez
Con je en ai mout grant mestier ;
Por ce sel me devez lessier.
— Lessier, fet il, por quel servise ?
Quel bonté ai ge de vos prise ?
Por quel chose, par quel merite
La vos leroie, ce me dites.
— En mal eür, ce dist Frangiers,
Tout jorz estes vos maneviers ;
Ja mar du vostre i avra rien.
Or soit partie, je voil bien ;
Mes d'itant sui je malbailliz
Conment il doit estre partiz.
— Je le sai mout bien, par ma foi,
Ja mar en serez en esfroi,
Que se fere en voulez chapel,
Nos en feron prisier la pel
Et de la moitié le vaillant
Ferez en aprés mon creant. »
Dist Rufrengiers : « Feson le bien :
Le chat voil je tot quite mien.
Et nos alons a Sens ensemble,
Et si mengerons, ce me semble,
Que ce ne poons nos veer
Que ne nos coviengne escoter.
Por moi et por vos paierai,
Par tout vos en aquiterai.
Et vos m'afïez loiaument
Que vos nel ferez autrement,
Mes la pel quite me lairez
Ne ja mes riens n'i clamerez.
— Honte ait qui vee, dit Turgis ;
Tenez, sire, je vos plevis
Et loiaument le vos afi.
— Bien est, dit Rufrengiers, issi,
Mes liquiex de nos la prandra ? »
Ce dist Turgis : « Qui il sera.
Je n'i claim riens ne riens n'i ai,
Ne ja ne m'en entremetrai,
Ne par moi n'i avrez aïe.
— Por ce ne remaindra il mie,
Dist Rufrengiers, que il est mien.
— Or vos en coviengne dont bien. »
Rufrengiers de la croiz aproche,
Que riens plus au cuer ne li toche
Que Tybert le chat trere a soi.
Mes trop ot petit palefroi,
Si n'i pot avaindre en seant ;
Sor la sele en monte erroment.
Tibert le chat et les deux prêtres C'est de Tybert le chat et des .II. prestres (15)
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