messire Noble, lui montre qu'au lieu de rester aux aguets, Renart s'amuse là-bas en aval. Il le dit non pas par bienveillance mais par méchanceté, car il n'a jamais pu le souffrir. Il a beau déclarer que c'est son ami, mais au fond du cœur il ne l'aimera jamais. Il fera peut-être semblant, pourtant il préférerait qu'il se fasse larder. « Sire, dit-il, regardez donc comme Renart est un faux frère ! Il nous prend maintenant pour ses cousins, à nous faire attendre là tapis si longtemps. Puisse le diable l'engloutir pour nous maltraiter ainsi ! Il ne semble pas vraiment vouloir revenir. Il ferait un bon messager pour aller chercher la Mort, car on ne le reverrait pas de sitôt. Allons donc par là-bas, nous saurons alors pourquoi il ne vient pas, et quelle raison le retient. Je le vois maintenant, me semble-t-il, à côté d'un fossé, tête baissée, où il s'amuse, court et saute. Il se soucie bien peu de notre cas. Il a peut-être trouvé de la nourriture pour son seul profit, et n'a plus rien à faire de nous après s'être bien rassasié. Allons donc voir, si vous le voulez bien, nous saurons alors ce qu'il fait et pourquoi il est resté. — Je suis d'accord, lui répond Noble, vous avez raison. Foi que je dois à saint Julien, je lui ferai payer cher de nous avoir laissé ici faire le pied de grue. S'il l'a fait avec un quelconque mépris, il n'y aura plus de répit pour lui. Personne ne saura le protéger, s'il n'a pas de bonnes raisons. » Sur ce, ils se lèvent, et partent de son côté avec empressement, plein de rage et de colère. Le paysan, quant à lui, se débat dans l'eau pendant que Renart le harcèle. Il n'a jamais été aussi désemparé, tellement seigneur Renart le maltraite. Il n'a plus ni force ni courage, et par deux fois il va par le fond. Renart, qui n'a aucun cœur et ne jure que par la ruse et la tromperie, se dit que tout cela est très ennuyeux, et que l'autre le retarde inutilement ici. Il regarde autour de lui, puis court ramasser des mottes de terre, et s'en remplit les poches. Ensuite, il lui en jette de toute part, sur le dos et dans les côtes. Le paysan ne pourrait être en pire compagnie, et se faire traiter aussi durement. Que dire de plus ? Renart lui lance tant de mottes et de pierres, qu'à la troisième fois l'autre coule au fond. Que l'on s'en plaigne ou non, il est bien mort, il peut donc s'en vanter. Personne ne l'entendra plus chanter de vilaine chanson dorénavant. Renart, que Dieu fasse qu'il crève, s'en est donc débarrassé à sa manière. À présent, ils peuvent faire leur partage des proies sans inquiétude. Ils peuvent être sûr de cela car l'autre ne leur fera aucun mal, ni leur interdira quoique ce soit. | 9896 9900 9904 9908 9912 9916 9920 9924 9928 9932 9936 9940 9944 9948 9952 9956 9960 9964 9968 | A mesire Noble mostré Que il n'i avoit demoré, C'on se delite la a val, Non pas por bien, mes por le mal, Qar onques ne le pot amer ; Son ami le pot il clamer, Mes ja de cuer ne l'amera. Biau semblant espoir li fera, Si vodroit il qu'il fust lardez. « Sire, dist il, ore esgardez De Renart con est mal voisins ! Bien nos tient or por ses cosins, Qui tant nos fet ci acorber. Deables le puist asorber, Quant il nos fet tant de mal trere ! Que il ne vient ne ne repere ; En lui avon bon mesagier Por querre la mort et cerchier, Qar il revendroit mout a tart. Qar alon ore cele part, Si savron por qoi il ne vient Et quele essoine le detient : Je le voi la, ce m'est avis, Lez le fossé tout ademis Ou il se gieue et cort et saut ; Mout petitet de nos li chaut. Il a espoir trové pasture A son eus, si n'a de nos cure, Puis que il est bien saoulez. Alon cele part, se voulez, Si savron qu'il fet et por qoi Il est remés. — Et je l'otroi, Fait soi Noble, vos dites bien. Foi que je doi saint Julïen, Je li feré comperer chier Ce que nos fet ici jouchier ; Se il le fait por nul despit, Ja n'en avra point de respit, Ne nus ne l'en sera garant, Se il n'i a cause aparant. » A tant se sont d'ilec torné, Cele part s'en vont abrivé Toz plains d'ire et de mautalent. Et li vilain qui va balant En l'eve, que Renart destraint, Avoit ja le cuer si ataint : Tant l'avoit dant Renart batu, Que n'avoit force ne vertu ; Il ot .II. foiz au fons esté. Et Renart qui ainz n'ot bonté Se barat non et tricherie, Se pense que mout li anuie Que tant le fet illuec atendre, Lors garde entor lui, si cort prandre Des motes tot plain son giron, Si les giete tout environ Et desus le dos et encoste. Li vilain a en lui mal oste Qui si durement li mesfet. Que vos diroie ? Tant a fet Renart, et tant li a geté Motes et pierres a plenté Que tierce foiz au fonz afonde, Qui que soit bel ne qui que gronde ; Or est mort, bien se puet vanter. N'en orra mes nus hons chanter Male chançon d'ore en avant. Renart qui le cors Dieu cravent S'en est delivrez en tel guise. Or pueent fere lor devise De la proie tout sanz peür ; De cestui sont il asseür Que ja mes mal ne lor fera Ne riens ne lor contredira. |
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