messire Renart, tout en le recommandant à Dieu. Renart, qui l'a bien eu, prend le coq et s'en va droit à Maupertuis, son repère. Il s'imagine déjà entrain de lui grignoter l'échine avec dame Hermeline, sa femme qu'il aime tant. Mais il ne sait pas encore ce qui lui pend au nez. Alors qu'il arrive sous un tilleul sur le côté droit du chemin, en contrebas d'une maison de campagne, il entend puis regarde le coq qu'il emporte, se lamenter fortement, et pleurer abondamment des deux yeux. Renart est pris d'une grande pitié, il lui demande alors pourquoi il pleure : « Pourquoi ? maudite soit l'heure où je suis né, fait le coq ! Me voilà maintenant bien récompensé pour les services que j'ai rendus à ce sale paysan, ce misérable lépreux, que j'ai longtemps servi ! Maudite soit l'heure où je l'ai rencontré, car je sais bien que je vais trouver la mort ! — Par Dieu, fait Renart, tu as tort de te lamenter pour ça. Écoute-moi donc, pour l'âme de ton père : n'est-il pas juste qu'en tout lieu le seigneur fasse de droit ce qu'il veut de son serviteur ? Oui, foi de chrétien, il doit se laisser mourir pour préserver son seigneur de la mort, s'il est dans le malheur. Par ma tête, n'ayez donc pas peur, il ne peut y avoir de plus grand honneur que de mourir pour son seigneur. Il aurait été malmené ou maltraité s'il ne s'était pas racheté, et seulement en t'offrant à moi. À moins d'avoir réparation, je l'aurais froidement occis. N'aie pas peur, mais console-toi donc car tu étais voué à mourir. Aucun homme ne peut te protéger, alors il vaut mieux mourir ainsi qu'autrement, je te l'affirme, car, quand tu mourras pour ton maître, tu t'en iras avec les anges tout là-haut en compagnie de Dieu, où tu auras la vie éternelle. — Seigneur, fait le coq, je le sais bien. Je ne suis pas effrayé par la mort que je dois subir, sachez cela. Voilà ce qui m'attriste le plus : les chapons et les poules, que vous avez vus à côté des buissons d'épines, seront mangés dans la plus grande joie, et leurs âmes n'en seront que plus réjouies, grâce aux divertissements et à la fête, mais moi j'aurai la tête brisée. Alors, vous me feriez le plus grand des plaisirs, si vous me chantiez une chanson. Il ne m'importerait plus de devoir mourir, et je n'en serais que plus heureux, assis là-haut en compagnie de Dieu. » Alors Renart dit : « J'accepte. Est-ce donc pour cela que tu pleurais ? Et pourquoi ne me le disais-tu pas ? Je ne ferais jamais grise mine pour ça, foi que je dois à ma chère femme. Je vais te la chanter bien volontiers, et de la meilleure manière que je sache, pour te réconforter sans plus attendre. » Il se met alors à chanter une chansonnette toute récente. Quand l'autre, qui grâce à sa fable, sent la gueule s'ouvrir, il se met à battre des ailes, et part en s'envolant en haut d'un très grand orme de l'autre côté du chemin. Lorsque Renart s'en aperçoit, il comprend qu'il a été roulé. Il accourt sous l'orme, et dit : « Seigneur, vous m'avez trompé. — Renart, répond l'autre, vous avez donc compris, pourtant tout à l'heure vous ne l'imaginiez même pas ! Par la foi que je dois à saint Thomas, vous auriez mieux fait de vous taire. Puisque vous vous êtes fait avoir pour avoir trop chanté, alors taisez-vous quand vous serez prêt à le faire une autre fois, si on vous en prie. Et allez donc quérir une autre proie, car vous avez raté celle-ci. » Renart se sent ridiculisé, il ne sait que dire ni que faire. Il voit bien qu'il aurait mieux fait de se taire, plutôt que de chanter sous le coup de l'émotion. « Noiret, fait-il, foi que je dois à sainte Anne qui fut de bonne vie, je vois bien que chanter ennuie ou nuit, et quelquefois les deux ensemble. Le paysan dit vrai, ce me semble, qu'entre la bouche et la cuillère se trouve souvent un gros obstacle. J'en suis maintenant certain et convaincu. Sachez que Caton fut bien inspiré quand il enseigna à son jeune fils de parler peu pendant le repas. Mais je n'avais pas retenu la leçon, je comprends donc qu'un tel malheur m'arrive pour avoir trop parlé cette fois. Je m'en vais donc, car il est plus raisonnable pour moi d'aller chasser en d'autres lieux, je n'ai plus rien à gagner ici. — Ah ! sale race de rouquin puant, allez-vous en ! réplique le coq. Que Dieu et la Vertu se plaisent à vous voir brûlé ou pendu avant que le mois soit passé. Car vous m'auriez déjà brisé les os, et méchamment en plus, je le sais pour sûr, si par ruse ou par sagesse je ne m'étais pas extirpé de vous. Allez-vous en, car, par la relique de saint Marcel, si vous attendez davantage, vous allez vous faire rapiécer la pelisse. » | 9380 9384 9388 9392 9396 9400 9404 9408 9412 9416 9420 9424 9428 9432 9436 9440 9444 9448 9452 9456 9460 9464 9468 9472 9476 9480 9484 9488 9492 9496 9500 9504 9508 | Bertoult de mesire Renart, Si le conmande mout a Dé. Et Renart, qui bien l'a gabé, A pris le coc et si s'en vet Droit a Malpertuis, son recet ; Illec cuide rungier l'eschine Entre lui et dame Hermeline, Sa fame que il tant amot. Mes encore ne sot il mot De ce que il li pent a l'ueil. Si con il vint desouz .I. tueil Qui ert lez le chemin a destre Desoz une vile champestre, Garde et oï le coc qu'il porte Qui durement se desconforte ; Des eulz pleure mout durement, A Renart grant pitié en prent, Si li a dit por qoi il pleure : « Por quoi ? Maleoite soit l'eure, Fet li cos, que onques fui nez ! Mout m'est or bien guerredonnez Le servise que je ai fait A l'ort vilain, mesel desfet Que je ai longuement servi ! Mal soit l'eure que je le vi, Qar bien sai que j'avré la mort ! — Par Dieu, fet Renart, tu as tort Quant por ce te vas dementant ; Par l'ame ton pere, ore entent : N'est il bien droiz en tote place Que li sires par raison face De son serjant sa volenté ? Oïl, par ma crestïenté, Il se doit bien lessier morir Por le son seignor garantir De mort, se il est a meschief. Or n'aiez peor, par mon chief, Ne puet avoir annor grenor Con de morir por son seignor. Malbailliz fust et mal menez, Se il ne se fust rachetez Envers moi de toi seulement ; Si aie je amendement, Je l'eüsse ocis tot froit mort. N'aies peor, mes pren confort Q'ausi avoies a morir ; Nus hon ne t'en pooit garir, Si te vient miex morir issi Que autrement, je le t'afi, Que quant por ton seingnor morras, Ovec les anges en iras La sus en la Dieu compaingnie Ou avras pardurable vie. — Sire, fet li cos, bien le croi ; Ne sui pas por mort en esfroi Que je aie a avoir, ce sachiez. Mes de ce sui plus corouciez Que les chapons et les gelines Que veïstes lez les espines Seront a grant joie mengies, S'en seront lor ames plus lies Et du soulaz et de la feste, Et j'avré croissue la teste. Mes grant soulaz me feïssiez, S'une chançon me chantissiez, Ne me chausist quant je moreusse, Bien sai que plus souef en fusse, Assis en la Dieu compaingnie. » Et dist Renart : « Et je l'otrie. Est ce por ce que tu ploroies ? Et por qoi ne le me disoies ? Ja por ce ne fai laide chierre, Foi que je doi ma fame chierre, Mout volentiers la vos diré Au meillor endroit que savré, Sanz plus, por toi reconforter. » Adonc conmença a chanter Une chançonnete novele. Et quant cil qui par sa favele Senti la bouche aouvrir, Des eles commence a ferir Et a batre et vint volant Desus .I. orme haut et grant Qui de l'autre partie estoit. Et quant Renart ce aparçoit, Si sot qu'il estoit deceüz. Desoz l'orme est acoruz Si dist : « Sire, guilé m'avez. — Renart, dist il, or le savez, Devant ne le savïez pas. Par la foi que doi saint Thomas, Miex vos venist estre teüz ; Se vos estes or deceüz Par trop chanter, si vos tesiez ; Qant vos en serez aaisiez Une autre foiz, se vos en proie. Et vos alez querre autre proie, Qar a ceste avez failli. » Renart se tient por escharni, Ne set que dire ne que fere ; Bien voit que miex le venist tere Qu'avoir chanté a cele empainte. « Noiret, fet il, foi que doi sainte Anne qui fu de bonne vie, Bien voi que biau chanter anuie Et nuit aucune foiz ensemble. Voir dit le vilain, ce me semble, Qui dist qu'entre bouche et cuillier Avient sovent grant encombrier. Or en sui bien certains et fiz ; Sachiez, Chaton fu bien recuiz Qui ensaigna son filz petit Q'a son mengier parlast petit. Mes ne l'ai pas bien retenu, Bien voi que mal m'est avenu De trop parler a ceste foiz. Or m'en iré, car il est droiz En autre lieu moi porchacier ; Ci ne puis je rien gaaingnier. — Ha ! puant rous de pute estrace, Alez vos ent, ja Diex ne place, Fet soi li cos, ne ses vertuz, Que ne soiez ars ou penduz Ançois que li mois soit passez. Ja m'eüssiez les os qassez Mout putement, jel sai de voir, Se par enging ou par savoir Ne me fusse de vos estors. Alez vos ent, quar par le cors Saint Marcel, se plus atendez, Vos peliçon ert amendez. » |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire