samedi 26 janvier 2013

Le paysan Bertout - Noiret s'échappe




Sur ces mots, Bertout quitte
A


icest mot si se depart
messire Renart,
tout en le recommandant à Dieu.
Renart, qui l'a bien eu,
prend le coq et s'en va
droit à Maupertuis, son repère.
Il s'imagine déjà entrain de lui grignoter l'échine
avec dame Hermeline,
sa femme qu'il aime tant.
Mais il ne sait pas encore
ce qui lui pend au nez.
Alors qu'il arrive sous un tilleul
sur le côté droit du chemin,
en contrebas d'une maison de campagne,
il entend puis regarde le coq qu'il emporte,
se lamenter fortement,
et pleurer abondamment des deux yeux.
Renart est pris d'une grande pitié,
il lui demande alors pourquoi il pleure :
« Pourquoi ? maudite soit l'heure
où je suis né, fait le coq !
Me voilà maintenant bien récompensé
pour les services que j'ai rendus
à ce sale paysan, ce misérable lépreux,
que j'ai longtemps servi !
Maudite soit l'heure où je l'ai rencontré,
car je sais bien que je vais trouver la mort !
— Par Dieu, fait Renart, tu as tort
de te lamenter pour ça.
Écoute-moi donc, pour l'âme de ton père :
n'est-il pas juste qu'en tout lieu
le seigneur fasse de droit
ce qu'il veut de son serviteur ?
Oui, foi de chrétien,
il doit se laisser mourir
pour préserver son seigneur
de la mort, s'il est dans le malheur.
Par ma tête, n'ayez donc pas peur,
il ne peut y avoir de plus grand honneur
que de mourir pour son seigneur.
Il aurait été malmené ou maltraité
s'il ne s'était pas racheté,
et seulement en t'offrant à moi.
À moins d'avoir réparation,
je l'aurais froidement occis.
N'aie pas peur, mais console-toi donc
car tu étais voué à mourir.
Aucun homme ne peut te protéger,
alors il vaut mieux mourir ainsi
qu'autrement, je te l'affirme,
car, quand tu mourras pour ton maître,
tu t'en iras avec les anges
tout là-haut en compagnie de Dieu,
où tu auras la vie éternelle.
— Seigneur, fait le coq, je le sais bien.
Je ne suis pas effrayé par la mort
que je dois subir, sachez cela.
Voilà ce qui m'attriste le plus :
les chapons et les poules,
que vous avez vus à côté des buissons d'épines,
seront mangés dans la plus grande joie,
et leurs âmes n'en seront que plus réjouies,
grâce aux divertissements et à la fête,
mais moi j'aurai la tête brisée.
Alors, vous me feriez le plus grand des plaisirs,
si vous me chantiez une chanson.
Il ne m'importerait plus de devoir mourir,
et je n'en serais que plus heureux,
assis là-haut en compagnie de Dieu. »
Alors Renart dit : « J'accepte.
Est-ce donc pour cela que tu pleurais ?
Et pourquoi ne me le disais-tu pas ?
Je ne ferais jamais grise mine pour ça,
foi que je dois à ma chère femme.
Je vais te la chanter bien volontiers,
et de la meilleure manière que je sache,
pour te réconforter sans plus attendre. »
Il se met alors à chanter
une chansonnette toute récente.
Quand l'autre, qui grâce à sa fable,
sent la gueule s'ouvrir,
il se met à battre des ailes,
et part en s'envolant
en haut d'un très grand orme
de l'autre côté du chemin.
Lorsque Renart s'en aperçoit,
il comprend qu'il a été roulé.
Il accourt sous l'orme,
et dit : « Seigneur, vous m'avez trompé.
— Renart, répond l'autre, vous avez donc compris,
pourtant tout à l'heure vous ne l'imaginiez même pas !
Par la foi que je dois à saint Thomas,
vous auriez mieux fait de vous taire.
Puisque vous vous êtes fait avoir
pour avoir trop chanté, alors taisez-vous
quand vous serez prêt à le faire
une autre fois, si on vous en prie.
Et allez donc quérir une autre proie,
car vous avez raté celle-ci. »
Renart se sent ridiculisé,
il ne sait que dire ni que faire.
Il voit bien qu'il aurait mieux fait de se taire,
plutôt que de chanter sous le coup de l'émotion.
« Noiret, fait-il, foi que je dois à sainte
Anne qui fut de bonne vie,
je vois bien que chanter ennuie
ou nuit, et quelquefois les deux ensemble.
Le paysan dit vrai, ce me semble,
qu'entre la bouche et la cuillère
se trouve souvent un gros obstacle.
J'en suis maintenant certain et convaincu.
Sachez que Caton fut bien inspiré
quand il enseigna à son jeune fils
de parler peu pendant le repas.
Mais je n'avais pas retenu la leçon,
je comprends donc qu'un tel malheur m'arrive
pour avoir trop parlé cette fois.
Je m'en vais donc, car il est plus raisonnable
pour moi d'aller chasser en d'autres lieux,
je n'ai plus rien à gagner ici.
— Ah ! sale race de rouquin puant,
allez-vous en ! réplique le coq.
Que Dieu et la Vertu se plaisent
à vous voir brûlé ou pendu
avant que le mois soit passé.
Car vous m'auriez déjà brisé les os,
et méchamment en plus, je le sais pour sûr,
si par ruse ou par sagesse
je ne m'étais pas extirpé de vous.
Allez-vous en, car, par la relique
de saint Marcel, si vous attendez davantage,
vous allez vous faire rapiécer la pelisse. »


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Bertoult de mesire Renart,
Si le conmande mout a Dé.
Et Renart, qui bien l'a gabé,
A pris le coc et si s'en vet
Droit a Malpertuis, son recet ;
Illec cuide rungier l'eschine
Entre lui et dame Hermeline,
Sa fame que il tant amot.
Mes encore ne sot il mot
De ce que il li pent a l'ueil.
Si con il vint desouz .I. tueil
Qui ert lez le chemin a destre
Desoz une vile champestre,
Garde et oï le coc qu'il porte
Qui durement se desconforte ;
Des eulz pleure mout durement,
A Renart grant pitié en prent,
Si li a dit por qoi il pleure :
« Por quoi ? Maleoite soit l'eure,
Fet li cos, que onques fui nez !
Mout m'est or bien guerredonnez
Le servise que je ai fait
A l'ort vilain, mesel desfet
Que je ai longuement servi !
Mal soit l'eure que je le vi,
Qar bien sai que j'avré la mort !
— Par Dieu, fet Renart, tu as tort
Quant por ce te vas dementant ;
Par l'ame ton pere, ore entent :
N'est il bien droiz en tote place
Que li sires par raison face
De son serjant sa volenté ?
Oïl, par ma crestïenté,
Il se doit bien lessier morir
Por le son seignor garantir
De mort, se il est a meschief.
Or n'aiez peor, par mon chief,
Ne puet avoir annor grenor
Con de morir por son seignor.
Malbailliz fust et mal menez,
Se il ne se fust rachetez
Envers moi de toi seulement ;
Si aie je amendement,
Je l'eüsse ocis tot froit mort.
N'aies peor, mes pren confort
Q'ausi avoies a morir ;
Nus hon ne t'en pooit garir,
Si te vient miex morir issi
Que autrement, je le t'afi,
Que quant por ton seingnor morras,
Ovec les anges en iras
La sus en la Dieu compaingnie
Ou avras pardurable vie.
 — Sire, fet li cos, bien le croi ;
Ne sui pas por mort en esfroi
Que je aie a avoir, ce sachiez.
Mes de ce sui plus corouciez
Que les chapons et les gelines
Que veïstes lez les espines
Seront a grant joie mengies,
S'en seront lor ames plus lies
Et du soulaz et de la feste,
Et j'avré croissue la teste.
Mes grant soulaz me feïssiez,
S'une chançon me chantissiez,
Ne me chausist quant je moreusse,
Bien sai que plus souef en fusse,
Assis en la Dieu compaingnie. »
Et dist Renart : « Et je l'otrie.
Est ce por ce que tu ploroies ?
Et por qoi ne le me disoies ?
Ja por ce ne fai laide chierre,
Foi que je doi ma fame chierre,
Mout volentiers la vos diré
Au meillor endroit que savré,
Sanz plus, por toi reconforter. »
Adonc conmença a chanter
Une chançonnete novele.
Et quant cil qui par sa favele
Senti la bouche aouvrir,
Des eles commence a ferir
Et a batre et vint volant
Desus .I. orme haut et grant
Qui de l'autre partie estoit.
Et quant Renart ce aparçoit,
Si sot qu'il estoit deceüz.
Desoz l'orme est acoruz
Si dist : « Sire, guilé m'avez.
— Renart, dist il, or le savez,
Devant ne le savïez pas.
Par la foi que doi saint Thomas,
Miex vos venist estre teüz ;
Se vos estes or deceüz
Par trop chanter, si vos tesiez ;
Qant vos en serez aaisiez
Une autre foiz, se vos en proie.
Et vos alez querre autre proie,
Qar a ceste avez failli. »
Renart se tient por escharni,
Ne set que dire ne que fere ;
Bien voit que miex le venist tere
Qu'avoir chanté a cele empainte.
« Noiret, fet il, foi que doi sainte
Anne qui fu de bonne vie,
Bien voi que biau chanter anuie
Et nuit aucune foiz ensemble.
Voir dit le vilain, ce me semble,
Qui dist qu'entre bouche et cuillier
Avient sovent grant encombrier.
Or en sui bien certains et fiz ;
Sachiez, Chaton fu bien recuiz
Qui ensaigna son filz petit
Q'a son mengier parlast petit.
Mes ne l'ai pas bien retenu,
Bien voi que mal m'est avenu
De trop parler a ceste foiz.
Or m'en iré, car il est droiz
En autre lieu moi porchacier ;
Ci ne puis je rien gaaingnier.
— Ha ! puant rous de pute estrace,
Alez vos ent, ja Diex ne place,
Fet soi li cos, ne ses vertuz,
Que ne soiez ars ou penduz
Ançois que li mois soit passez.
Ja m'eüssiez les os qassez
Mout putement, jel sai de voir,
Se par enging ou par savoir
Ne me fusse de vos estors.
Alez vos ent, quar par le cors
Saint Marcel, se plus atendez,
Vos peliçon ert amendez. »
Comment Nobles, Renart et Ysengrin partagèrent la proie Ci conmance si conme Nobles, Renart et Ysangrin partirent la proie (14)
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