ce qu'il advient de Renart. Renart part à travers bois. Il a laissé Ysengrin en gage, pour la vielle qu'il emporte. Il s'en réjouit beaucoup, et en est très soulagé. Il s'en va donc avec sa vielle, sans plus entendre parler d'Ysengrin. Autant qu'il le peut, Renart apprend à bien jouer de la vielle. Il devient expérimenté et même fort habile, jamais telle duperie n'avait encore été faite. Il parcourt ainsi la contrée jusqu'à ce qu'il trouve sa femme. Elle habite maintenant avec un jouvenceau qu'elle veut prendre comme nouvel époux. C'est un cousin germain du blaireau. Renart le voit, et il s'arrête. Sachez bien qu'il les a reconnus dès qu'il les a repérés. Elle aurait déjà épousé Poncet si celui-ci avait trouvé un troubadour. Et elle n'aurait pas eu tort, puisque tous disent que Renart est mort. Tibert lui a dit, que Dieu le garde, qu'il a vu Renart hissé en haut du gibet, qu'il l'a vu pendre — et ainsi qu'il leur a fait comprendre — à de grandes et hautes fourches, les pieds et les poings liés : « Il ressemblait bien à Renart, je l'ai vu pendre à une corde. » La dame avait répondu brièvement : « Je veux bien vous croire, car je sais qu'il a fait tant de sales coups contre son seigneur, que si l'un des barons pouvait le prendre, il le ferait pendre sur-le-champ. » Il n'y avait pas à en dire plus. Ils se mettent à s'embrasser intimement, et après s'être bien bécotés, ils sont tout contents et joyeux. Renart ne peut se retenir davantage, il pousse alors un grand soupir, et dit à Poncet entre ses dents : « Tu vas bientôt en être désolé. » Il y a longtemps que Poncet aime Hermeline, mais seigneur Renart n'en savait rien. Ils s'aiment en effet depuis longtemps, — Renart l'apprendra plus tard —, tout comme font, à mon avis, certains avec certaines femmes de ce pays. La dame enlace son nouveau seigneur par le cou, et l'embrasse avec amour. Ils voient alors Renart venir à eux avec sa vielle autour du cou. Cela les réjouit beaucoup. Ils ne le reconnaissent pas, et le saluent comme il se doit : « Qui êtes-vous, font-il, cher frère ? — J'étais, fait-il, un bon jongleur. Je saurai dire beaucoup de bons chansons, que j'avais bien appris à Besançon, et je saurai faire aussi beaucoup de bons lais, car j'étais un très très bon jongleur, je serai aussi un bon et vaillant jongleur, je saurai aussi dire des chansons pour tous. Au nom de monseigneur saint Nicolas, il semble bien à moi que tu l'aimas, et elle, il semble à moi, aimer toi. Mais où voudras-vous donc aller ? » Seigneur Poncet décide de lui dire : « Nous allons dire la messe, nous allons tous à l'église où je vais épouser cette dame. Son seigneur est mort récemment, car le roi l'a tué par colère. Il l'a surpris maintes fois à causer du tort, il a donc fait de lui ce qu'il fallait. Il avait pour nom Renart, ce trompeur, c'était un traître et un fourbe. Il en a berné dans maintes maisons, mais a fini pendu par la gorge haut et court. Il laisse trois fort beaux garçons, qui sont de braves damoiseaux. Ils espèrent bien venger leur père avant les vendanges. Ils sont partis trouver de l'aide auprès de dame Once la reine. Elle tient tous les hommes dans sa main, les bois, les plaines, le monde entier. Il n'y a pas de bête, d'ici à la mer, qui soit aussi belle et forte, ni ours, ni lion, ni autre bête, qui oserait tourner la tête vers elle. Ils sont partis chercher des mercenaires. Ils laissent tout ce qu'ils ont à leur mère, qui est une dame vraiment très distinguée. Je vais bientôt la prendre pour femme. La chose est ainsi arrangée qu'avant la nuit prochaine je l'aurai mariée. » Renart répond entre ses dents : « Tu en souffriras encore plus. Tu tomberas dans un piège tel que tu n'en voudrais pas pour une tranche de lard. » | 8400 8404 8408 8412 8416 8420 8424 8428 8432 8436 8440 8444 8448 8452 8456 8460 8464 8468 8472 8476 8480 8484 8488 8492 8496 8500 | La contenance de Renart. Renart s'en vet par le boscage ; Ysengrin i ot lessié gage. Por la vïele qu'il emporte Mout s'esbaudist, mout se conforte. Vet s'en a toute la vïele, D'Ysengrin n'oï puis novele. Tant con Renart vesqui tout dis Bien fu de la vïele apris ; Sages fu et bien escolez, Onc tel barat ne fu trovez. Einssi s'en va par la contree Tant qu'il a sa fame trovee ; O lui menoit .I. jovencel Qu'el voloit prandre de novel, Cosin germain le tesson fu. Renart le vit, si s'arestut ; Sachiez bien les a conneüz, Si tost con il les a veüz, Ja eüst Poncet espousé, Se jougleor eüst trové, Mes ele pas tort n'en avoit : Tuit disoient que mort estoit. Tybert li dist, se Diex le saut, Qu'il vit Renart lever en haut As forches et qu'il le vit pendre — Ce lor a fet Tybert entendre — A unes forches granz et hautes, Les mains lïées et les paumes. « Il resembloit bien a Renart, Je le vi pendre a une hart. » La dame respondi briément : « Je ne vos en mescroi noient, Qar je sai qu'il avoit tant fet Vers son seignor maint mauvés plet, Se nul baron le peüst prandre, Tout maintenant le feïst pendre. » N'i ot plus tenu parlement, Besier se vont estroitement. Quant se furent entrebesié, Mout en furent joiant et lié. Renart ne se pot plus tenir, Ainz a geté .I. grant soupir, A Poncet dist entre ses denz : « Tu en seras encor dolenz. » Grant tens avoit que cil l'amoit, Mes dant Renart mot n'en savoit ; Entramé s'estoient lonc tens, Mes Renart le savra a tens, Q'autretel font, ce m'est avis, Tiex dames a en cest païs. La dame son novel seignor Bese et acole par amor. Renart voient a eus venir Et la vïele au col tenir ; Mout furent lié, pas nel connurent, Salué l'ont si con il durent : « Qui estes vos, font il, biau frere ? — Je fot, fet il, .I. bon juglere. Je savrai dit mout bon chançon : Je fou bien pris a Besençon, Et si savrai mout bon loi fere, Qar je fou mout tres bon joglere ; Si serai bon joglere et prouz, Si savrai dir chançon a touz. Et par mon seignor saint Colas, Moi semble bien que tu l'amas, Et li, moi semble, toi amer. Ou voudras vos ore aler ? » Sire Poincés li prist a dire : « Nos alomes la messe dire, Tuit alomes vers le mostier Par ceste dame noçoier. Ses sires est mort noviaument, Li rois l'ocist par mautalent, Mainte foiz l'a pris a forfet, Or a de lui son plaisir fet. Renart ot non li engingnierres, Mout fu traïtres et boisierres, Et mainte meson a il frete, En haut en a sa gorge trete. .III. filz en sont remés mout bel, Qui mout sont cointe damoisel ; Lor pere cuident bien vengier Ainz que l'en doie vendengier. Meü se sont por querre aïe A ma dame Once la roïne : Tout li siecles est en sa main Et tot le monde et bois et plain. Il n'i a beste jusque as pors Qui tant soit ne bele ne fors, Ors ne lion ne autre beste, Qui ost vers lui torner la teste. Por soudoiers sont meü querre. Tot quant qu'il ont lessent lor mere, Qui mout par est cortoise dame ; Je la prandré par tens a fame. Einssi est la chose atornee, Ainz demain nuit l'avré juree. » Renart respont entre ses dens : « Tu en seras encor dolens. Encor en charras en tel briche, Nel vodroies par une fliche. |
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