vendredi 2 novembre 2012

Renart jongleur - Le chagrin d'Hersent




Quand ils ont mangé tout à loisir,
Q


uant ont mengié a grant loisir,
ils décident d'aller se coucher.
Sachez pourtant qu'ils vont se dire
bien des choses avant d'être au lit.
Ysengrin retarde longuement le moment,
et se résigne finalement à se coucher.
Hersent la louve, allongée face à lui,
se rapproche, et le prend dans ses bras.
Celui-ci commence par reculer,
et à s'éloigner vivement,
mais cela importe peu, comme je le crois.
En fait, il va entendre des choses cette nuit là,
dont il se serait bien passé,
pour ne pas s'être occupé de sa bien-aimée.
Hersent le serre dans ses bras, mais il se retire,
il n'a que faire de ses avances.
« Qu'y a-t-il donc, mon seigneur, fait-elle ?
Êtes-vous en colère contre moi ?
— Madame, fait-il, que me voulez-vous ?
— Faites ce dont vous avez l'habitude.
— Je n'en ai pas envie maintenant,
dormez donc, et puis taisez-vous. »
Hersent répond : « Je ne puis me taire,
il vous faut d'abord faire la chose.
— Faire quoi ? non ! — Ce qui doit arriver,
et qu'il convient de faire à une femme.
— Laissez-moi, fait-il, je n'en ferai rien.
Vous devriez être endormie,
et avoir dit votre prière,
car c'est la vigile du saint apôtre.
— Seigneur, fait-elle, par saint Gilles,
il n'y a aucun besoin de faire la vigile.
Si vous voulez avoir mon amour,
mettez-y tout ce qui est en votre pouvoir. »
Dame Hersent s'impatiente beaucoup
alors qu'il se retourne. Elle tâte alors
là où ses couilles devraient
être, en toute raison et à bon droit.
Mais elle ne trouve pas la moindre andouille.
« Misérable, fait-elle, où est votre verge,
qui devrait pendre ici même ?
Il vous faut tout remettre en place.
— Madame, fait-il, je les ai prêtées.
— À qui ? — À une nonne voilée
qui m'a fait prendre dans son courtil,
mais a bien consenti à me les rendre. »
Hersent répond aussitôt :
« Seigneur, ça n'est pas acceptable,
car vous n'avez d'elle aucune promesse,
ni donation, ni gage, ni accord,
aussi vrai que vous lui avez laissé votre caution.
Mais partez donc, et ne vous arrêtez pas de courir,
puis dites à cette nonne
qu'elle se prend pour la fille du comte Conan,
et qu'elle ne tarde, ni attende davantage,
mais qu'elle vous rende vite votre verge,
car une fois qu'elle l'aura sentie,
elle aura vite fait de renier sa foi,
plutôt que de vous la rendre un jour.
Ce serait d'ailleurs justice qu'on vous pende
puisque vous la lui avez donnée.
Je vois que vous ne vous rendez pas compte,
vous m'avez trop maltraitée, vous m'avez tuée.
Maintenant qu'elle l'a en sa possession,
vous m'avez mise dans un grand effroi.
Demain, je m'en plaindrai au roi.
— Vieille pute, dit Ysengrin,
qu'une mort affreuse vous emporte demain !
Taisez-vous donc, et cessez cela,
que le malheur vous tombe dessus ! »
Alors Hersent saute du lit :
« Gardez-vous bien d'en dire plus,
fils de pute, sale traître,
vous n'en serez jamais quitte pour autant.
Si je ne me retenais pas un peu,
je vous tirerais à jamais hors de ce lit,
aussi vrai que Dieu m'accorde de vivre demain ! »
Puis, elle va s'asseoir à la porte,
et se met à soupirer de douleur,
s'arracher les cheveux,
déchirer ses vêtements, et se tordre les mains.
Plus de cent fois elle supplie la mort,
plus de cent fois elle manque de s'évanouir,
elle se maudit longtemps, et se consume de chagrin :
« Que vais-je faire ? pauvre malheureuse que je suis !
Tout me pèse, comme d'être vivante,
car maintenant j'ai perdu ma joie
et la chose que j'aimais le plus,
jamais je n'ai eu de si grande peine.
N'aurais-je donc plus jamais de plaisir avec lui ?
Je deviens folle quand je me couche avec lui,
allongée sous lui, soumise, comme une souche.
Mais je ne désire plus coucher avec lui,
je ne veux plus qu'il m'approche.
Puisqu'il ne peut plus faire la chose,
qu'ai-je à faire de lui désormais ?
Qu'il aille donc se faire ermite
au milieu d'un bois pour y servir Dieu.
Car je sais bien qu'il est déshonoré à jamais,
puisqu'il a été privé de ses couilles.
Il a perdu joie et entrain,
hardiesse, barbe et couleur. »
Alors qu'elle manifeste sa douleur,
la lueur du jour remplit la cour.
Hersent rentre dans la maison,
et va vers le lit comme une folle :
« Debout maintenant, fait-elle, misérable seigneur,
allez-vous en à vos putains !
Je ne sais pas où on vous a attrapé,
mais elles ont bel et bien pris leur gage.
Voilà comment on doit traiter celui
qui a une femme, et prend celle d'autrui. »
Le malheureux ne sait quoi répondre,
et n'ose même pas gronder contre elle.
Dame Hersent est noble et fière,
elle a toujours été dispose,
brave, et pleine d'orgueil,
elle met ses quatre pattes sur le seuil,
puis tourne son cul au vent :
« Je vous recommande à Dieu, fait-elle. »
Elle lève la patte, se signe,
puis s'en va aussitôt, quoi qu'il advienne.


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Si parolent d'aler gesir ;
Lors i ot, tres bien le sachiez,
Paroles, ainz qu'il fust couchiez ;
Mout longuement i arestut
Et neporquant couchier l'estut.
Hersent la love face a face
Jut joste lui et si l'embrace ;
Cil se conmence a reüser
Et durement a reculer,
Mes ne li chaut, si con je cuit.
Encore orra tel chose anuit
Dont il n'eüst ja nule envie,
Qar n'eüst cure de s'amie.
Hersent l'embrace et il se trait
En sus, n'a soing de son atrait.
« Et que est ce, fet el, biau sire ?
Avez me vos coilli en ire ?
— Dame, fet il, que me volez ?
— Fetes ice que vos solez.
— Je n'en sui pas ore aaisiez,
Dormez vos et si vos tesiez. »
Dist Hersent : « Je ne m'en puis tere,
Ainz vos covient la chose fere.
— Que feré ? nai ! — Ce que avient
Et que il a fame covient.
— Lessiez, fet il, n'en feré mie.
Vos deüssiez estre endormie
Et avoir dist la patenostre,
Qar il est vigile d'apostre.
— Sire, fet ele, par saint Gile,
Ja n'i avra mestier vegile.
Se vos volez m'amor avoir,
Metez i tout vostre pouoir. »
Dame Hersent forment se haste
Et cil se torne et ele taste
Illuec ou la coille soloit
Estre par reson et par droit :
Ne trova mie de l'andoille.
« Chaitis, fet ele, ou est ta coille
Qui ici endroit soloit pendre ?
Toute la te covient a rendre.
— Dame, fet il, ge l'ai prestee.
— A cui ? — Une nonne velee,
Qui en son cortil me fist prandre,
Mes bien la m'ostroia a rendre. »
Hersent respont tot maintenant :
« Sire, ce n'est pas avenant ;
Si n'en avez nule fiance,
Don ne pleges ne aliance,
Se lessiez les pIeges encorre.
Mes alez, ne finez de corre,
Et si dites a la nonnain
Qu'ele est fille au conte Conain,
Que tost ne demeurt ne atende,
Que tost vostre coille vos rende ;
Qar s'une foiz l'avoit sentie,
Tost en aroit sa foi mentie,
Ainz que ja mes la vos rendist ;
Si seroit droit c'on vos pendist,
Quant vos baillie li avez.
Bien voi que gueres ne savez,
Mout m'avez morte et maubaillie :
Quant ele l'a en sa baillie,
Mise m'avez en grant esfroi ;
Demain m'en clamerai au roi.
— Pute vielle, dist Ysengrin,
Demain vos prangne male fin !
Qar vos tesiez, si vos finez,
Que mal jor vos soit ajornez ! »
A tant saut Hersent du lit sus :
« Gardez bien que n'en parlez plus,
Filz au putain, mauvés traïtres,
Ja par itant n'en serez quites.
Se ne m'estoit par .I. petit,
Ja vos traisisse hors du lit,
Se Diex me doint demain veoir ! »
Puis s'en vet a l'uis aseoir ;
De duel conmence a soupirer
Et ses chevex a detirer,
Ses dras deront, ses poins detort,
Plus de .C. foiz s'ore la mort ;
.C. foiz se pasme en mout poi d'eure,
Mout se maudit, mout se deveure :
« Que feré ge, lasse chaitive ?
Mout me poise que je sui vive,
Qar or ai perdue ma joie
Et la riens que je plus amoie ;
Onques mes n'oi si grant anui.
Aise n'avré ja mes de lui ?
Fole sui quant me couche o lui,
Con une çouche gis soz lui.
Je ne quier mes o lui couchier,
Ne je nel voil mes aprochier.
Puis qu'il ne puet la chose fere,
Que a l'en mes de lui a fere ?
Mes voist hermites devenir
En mi .I. bois por Dieu servir ;
Qar bien sai qu'il est conchïez,
Quant de la coille est desrochiez.
Il a perdu joie et baudor,
Hardement et barbe et coulor. »
A icest duel qu'ele demainne,
Du jor fu toute la cort plaine.
En la meson en est entree,
Au lit en vient conme desvee :
« Or sus, fet ele, danz vilains,
Alez vos ent a vos putains !
Ne sai ou fustes entrepris,
Mes bien en ont lor gage pris.
Ainssi doit on fere de lui
Qui a sa fame et tient l'autrui. »
Ne set .I. mot le las respondre,
Ne envers lui n'en ose gondre.
 Dame Hersent est noble et fiere,
Et toz jors a esté legiere,
Cointe et plainne de grant orgoil.
Les .IIII. piez a mis au sueil
Et a torné le cul au vent :
« A Dieu, fet ele, vos conmant. »
Drece la poe, si se saingne,
Vet s'en tantost, conment qu'il praigne.
Comment Renart fut jongleur Si conme Renart fut jugleeur (12)
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