dimanche 11 septembre 2011

Le jugement de Renart - Froment l'âne est convaincu




Quand Hersent a terminé son propos
Q


uant Hersent ot sa reson dite
et qu'elle s'est ainsi justifiée,
Froment l'âne, qui l'a bien écoutée,
se réjouit du fond du cœur,
car il croit très résolument
qu'Ysengrin n'est pas cocu.
« Ah ! fait-il, noble dame,
si seulement mon ânesse était aussi loyale,
ainsi que les chiens, les loups, les autres bêtes,
et toutes les femmes, comme vous l'êtes !
Car, que Dieu me pardonne,
et qu'il me donne de trouver des chardons
qui soient tendres dans ma pâture,
vous ne vous êtes jamais souciée
de Renart, ni de ses divertissements,
ni de son amour, ainsi que je le crois.
Mais le monde est si mauvais,
si médisant et si puant,
que l'on témoigne de ce qu'on ne voit point,
et blâme ce qu'on doit louer.
Ah ! forcené de Renart,
quel malheur que vous soyez né,
qu'on vous ait conçu et engendré,
car vous ne serez jamais cru !
La nouvelle s'est donc répandue
que vous avez baisé Hersent,
pourtant, elle souhaite passer l'épreuve
car elle n'a jamais été sollicitée par vous.
Ah ! roi noble et bienveillant,
rétablissez donc la paix dans cette affaire,
et ayez pitié de Renart.
Laissez-moi, par votre grâce,
le conduire ici en toute sécurité.
Pour tout ce dont Ysengrin l'a accusé,
il fera réparation telle
que votre cour en décidera.
Et s'il a vraiment agi par dépit,
il devra, pour la hardiesse et le mépris
de ne pas être venu, à tort,
faire amende honorable avant de s'en retourner.
— Sire, répond la corneille,
que saint Gilles n'ait jamais à vous venir en aide,
si cela vous plaît et si vous le commandez,
si jamais Renart est convoqué ici
aujourd'hui ou demain, et s'il n'est toujours pas venu
après demain, ou même s'en dispense,
faites-le donc bannir,
puis recevoir un traitement tel
qu'il s'en rappellera encore après. »
Noble répond ceci : « Vous avez tort,
à vouloir juger Renart ainsi,
vous pourriez bien avoir à manger un tel os.
Si l'un de vous fait preuve d'arrogance envers moi,
la même chose lui pend au nez.
Je ne hais pas assez Renart,
pour les choses qu'on lui met sur le dos,
au point de vouloir aussi le couvrir de honte,
si lui, veut m'obéir.
Ysengrin, acceptez l'arrangement
que votre femme vous a proposé,
si vous ne voulez pas laisser tomber.
— Moi, accepter cela ? Sire, arrêtez là !
Si Hersent subit l'épreuve
et qu'elle est brûlée et consumée,
alors ceux qui ne savent rien maintenant, l'apprendront,
et ceux qui me haïssent, en seront réjouis.
Alors, ils diront tous sans hésiter :
“Voyez là le cocu et le jaloux !”
Je préfère, en regard de cela,
souffrir de la honte qu'il m'a faite
jusqu'à ce que je puisse me venger.
Mais d'ici à la saison des vendanges,
je compte faire une telle guerre à Renart
que jamais rien ne le protégera, ni sœur, ni frère,
ni mur, ni fossé de défense.
— Allez donc au diable, dit seigneur Noble !
Pour l'amour de Dieu, messire Ysengrin,
votre guerre ne prendra-t-elle jamais fin ?
Croyez-vous vraiment y gagner quelque chose,
ou pouvoir tromper ou mater Renart ?
Par la foi que je dois à saint Léonard,
je connais suffisamment le savoir-faire de Renart,
il peut vous causer des ennuis,
de la honte et des dommages plus vite que vous.
D'autre part, la paix a été jurée,
et le pays est maintenant tranquille.
Celui qui l'enfreindra, s'il est pris,
sera très mal reçu. »
Quand Ysengrin entend que le roi
prend la paix avec un tel sérieux,
il est très déçu et ne sait que faire,
il ne sait plus à quel saint se vouer.
Il s'assied par terre entre deux bancs
la queue entre les jambes.
Renart s'en tire donc bien,
comme si Dieu avait pris soin de lui,
au point que le roi a invoqué
la paix malgré tous ceux qui sont en colère.
Et la guerre aurait pris fin
entre Renart et Ysengrin,
sans l'intervention de Chantecler et Pinte,
qui arrivent à cinq à la cour.
En effet, seigneur Chantecler le coq,
Pinte qui pond les gros œufs,
Noire, Blanche et la Roussette,
amènent une charrette
qui est entourée d'une tenture.
Il y a une poule allongée à l'intérieur,
que l'on transporte dans une litière
arrangée tout comme un cercueil.
Renart l'a si malmenée
et tellement esquintée avec ses dents,
qu'il lui a ouvert la cuisse,
et arraché l'âme du corps.


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Et ele se fu escondite,
Fromont li asnes, qui l'oï,
Dedenz son cuer mout s'esjoï,
Qar il cuida bien a estrous
Que Ysengrin ne fust pas cous.
« Haï !, fist il, gentil barnesse,
Car fust or si loiax m'anesse,
Et chien et leu et autres bestes,
Et toutes fames con vos estes !
Qar, si me face Diex pardon,
Et il me dont trover chardon
Qui soit tendres en la pasture,
Que vos n'eüstes onques cure
De Renart ne de son deduit
Ne de s'amor, si con je cuit.
Mes li siecles est si mauvés,
Si mesdisant et si pugnés,
Qu'il tesmoingne ce qu'il ne voit
Et blasme ce que loer doit.
Ahi ! Renart li forsenez,
De male eure fussiez vos nez
Et engendrez et conceüz,
Quant vos ja ne serez creüz !
Or estoit la novele issue
Que Hersent avïez foutue ;
Ele en velt ci fere .I. juïse
C'onques par vos ne fu requise.
Ha ! gentil sire debonnere,
Car metez pes en ceste afere,
Et s'aiez de Renart merci.
Lessiez le moi, vostre merci,
Aconduire a sauveté.
De qanqu'Isengrin l'a reté,
Tele amendise li fera
Con vostre cort esgardera ;
Et se il l'a fait en despit,
Le hardement et le despit
Que il n'est pas venuz a tort
Amendera ainz qu'il s'en tort.
— Sire, ce respont la cornille,
Onques ne vos aït saint Gile,
S'il vos plest et vos conmandez,
Se ja Renart i est mandez
Hui ne demain, se il n'i vient
Aprés demain, se il s'en tient,
Mes fetes li abandonner,
Et puis tel livroison donner
Dont il en aprés se recort. »
Ce dist Nobles : « Vos avez tort,
Quant Renart volez si jugier ;
Itel oz pouez bien mengier.
S'aucun de vos me mene orgueil,
Ce meïsmes li pent a l'ueil.
Renart ne hé ge mie tant,
Por riens qu'en li vet sus metant,
Que je le voille encor honnir,
S'il se velt a moi obeïr.
Ysengrin, prenez ceste mise
Que vostre fame vos devise,
Se vos laschier ne l'en volez.
— Jel prendroie ? Sire, estez !
Se Hersent porsiut le juïse
Et ele soit arse et esprise,
Lors le savra qui or nel set,
Liez en sera qui or me het ;
Lors diront il tot a estrous :
“Vez ci le coux et le jalous !”
Miex me plet il, selonc cest fet,
Soffrir la honte qu'il m'a fet
Tant que je m'en puisse vengier,
Mes ainz c'on doie vendengier,
Cuit je Renart movoir tel guerre
Ja nel garra ne suer ne frere,
Ne mur ne fossé desfensable.
— Or, dist dant Nobles, au deable !
Por le cuer bieu, sire Ysengrin,
Prendra ja vostre guerre fin ?
Cuidiez i vos rien gaaingnier,
Renart mater ne engingnier ?
Foi que je doi saint Lienart,
Je connois tant les arz Renart,
Plus tost vos puet il fere anui,
Honte et domage que vos lui.
D'autre part est la pes juree,
Dont la terre est asseüree ;
Qui l'enfraindra, s'il est tenuz,
Mout mal li sera avenuz. »
Qant Ysengrin oï le roi
Qui de la pes prenoit conroi,
Mout fu dolenz, n'en set que fere,
Ne s'en set mes a quel chief trere.
A la terre entre .II. eschemes
S'asiet sa queue entre ses jambes.
Or est Renart bien avenu
Se Diex li eüst porveü,
Qu'en tel point avoit pris le roi
L'acorde mau gré as irois,
Que ja preïst la guerre fin
Entre Renart et Ysengrin,
Se ne fust Chantecler et Pinte,
Qui a la cort venoit soi quinte.
Qar sire Chantecler li cos
Et Pinte qui pont les oes gros,
Et Noire et Blanche et la Rousete
Amenoient une charrete
Qui enclose ert d'une cortine.
Dedenz gisoit une geline
Que l'en amenoit en litiere
Fete autresi conme une biere.
Renart l'avoit si mal menee
Et as dens si desordenee
Que la cuisse li avoit frete,
L'ame del cors li avoit trete.
Comment Renart trompa Brun l'ours avec le miel Si conme Renart conchia Brun li ours du miel (10)
Notes de traduction (afficher)

2 commentaires:

  1. 5851: "qui l'a bien écoutée", l' = Hersent. 5883: "réparation telle". 5890: "n'ait", subjonctif. 5897: "s'en rappeler" est un barbarisme, mieux vaudrait "qu'il s'en souviendra" ou "qu'il se le rappellera". 5910 et 5916: pas de trait d'union entre le verbe et "là" qui est un adverbe, non un COD: "arrêtez là", "voyez là" ("voyez ici" lèverait l'équivoque). 5918: "la honte qu'il m'a faite". 5941: "escheme" étant généralement traduit par "escabeau", "bancs" peut convenir, mais pas "bans", à moins d'imaginer une erreur du scribe qui aurait copié "eschemes" pour "eschieles" (souvent écrit "escheles") = "bataillons", mais c'est peu probable: on est à la Cour, pas sur le champ de bataille. Qu'en pensez-vous ? 5944: "avait pris soin de lui", le "y" ne peut pas désigner un être vivant en français moderne (et "li" désigne bien Renart)

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    1. Merci beaucoup d'avoir signalé ces fautes qui sont maintenant corrigées.
      « s'en rappeler » serait plutôt un solécisme qu'un barbarisme. L'emploi est toutefois attesté dans le TLFi, voir la définition de « rappeler ». De plus, le pronom « en » ne remet pas en cause la transitivité de « se rappeler » puisque ce pronom s'utilise indifféremment avec des verbes transitifs ou intransitifs, eg « en voir » (voir les choses) ou « s'en souvenir » (se souvenir d'une chose). La tournure est donc conservée.
      « escheme » ou « eschame » signifie « banc, banquette, escabeau », « banc » est donc conservé, la faute est toutefois corrigée.

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