dimanche 2 janvier 2011

À la cour du roi Noble - Le cerf, l'ours et le sanglier parlementent




Quand les barons l'ont entendu,
Q


uant li baron l'orent oï,
il y en a certains qui sont réjouis,
et d'autres qui en sont irrités.
Le lion dresse la tête :
« Allez, fait-il, vous qui êtes ici,
les plus vaillantes et les plus grandes des bêtes,
jugez donc cette plainte :
si celui qui est sous l'emprise de l'amour
doit être inculpé pour ça,
parce qu'il a trompé son compagnon. »
À ces paroles, ils se lèvent,
et s'éloignent de la tente royale
pour délibérer à l'écart.
Plus d'un millier se déplacent.
Seigneur Brichemer le cerf y va aussi,
il s'est mis en colère
pour Ysengrin qui s'est fait tromper,
et Brun l'ours affirme
qu'il veut accabler Renart très fort.
Ils font venir avec eux deux,
Baucent le sanglier, qui ne voudrait
en aucun cas se détourner de la loi,
et ils parlementent ensemble.
Le cerf parle le premier,
il est d'accord avec Baucent :
« Seigneurs, fait-il, écoutez donc.
Vous avez entendu d'Ysengrin,
notre ami et notre voisin,
comment il a accusé Renart.
Mais nous avons pour usage à la cour,
quand l'on se plaint de forfaiture
et que l'on veut en avoir justice,
de devoir le prouver par une tierce personne.
Car certains pourraient du jour au lendemain
faire une réclamation selon leur bon vouloir,
dont un autre pourrait légitimement se plaindre.
Nous affirmons concernant sa femme,
qu'Ysengrin l'a sous son emprise,
tout ce qu'il veut dire ou taire,
il peut le lui faire faire à son bon plaisir,
et même mentir sciemment.
Ils ne sont point médecins,
de tels témoins sont à mettre à l'épreuve,
il conviendrait d'en trouver d'autres.
— Pardieu, seigneurs, leur dit Brun,
je suis l'un des juges
puisque nous sommes ici ensemble,
je vais dire ce qu'il me semble.
Seigneur Ysengrin est connétable,
en bons termes avec la cour, et crédible.
Si c'était un trompeur,
un faux jeton, un traître ou un voleur,
sa femme ne pourrait pas
se porter témoin ou garante.
Mais Ysengrin est d'une telle renommée
que même s'il n'y avait que lui,
on pourrait très bien le croire.
— Ma foi, seigneur, dit Baucent, c'est vrai.
Mais il y a encore autre chose,
dites-nous donc maintenant, en votre conscience,
qui est le pire ou le meilleur.
Chacun veut s'associer avec les bons.
Si vous dites qu'Ysengrin
est le meilleur de ses voisins,
Renart voudra le contredire
qu'il n'est ni moins loyal ni pire;
chacun se considère ainsi comme probe.
Pour cela, je vous dis qu'en somme
ça ne peut être comme vous le dites,
vous n'en serez pas quitte ainsi.
Chacun pourrait porter une telle plainte,
prendre sa femme comme témoin,
et dire : “vous me devez cent sous”,
et nuire à beaucoup d'hommes.
Ça ne se passera pas ainsi, là où je suis.
Vous faites fausse route.
Je m'en tiens à votre avis, seigneur Brichemer.
Il n'y a aucun homme jusqu'à la mer,
qui ait parlé plus sagement,
avec loyauté et raison.
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Tiex i a qui sont esjoï,
Et tiex qui en sont coroucié.
Li lyon a le chief drecié :
« Alez, fet il, vos qui ci estes,
Les plus vaillans, les graignors bestes,
Si jugiez de ceste clamor
Se cil qui est sorpris d'amor
Doit estre de ce encoupez
Que ses compains est acoupez. »
A ces paroles lievent sus,
Du tref roial s'en vont en sus
A une part por conseillier.
Plus en i ala d'un millier.
Dant Brichemers le cerf i va
Qui de mautalent s'aïra
Por Ysengrin qui est trichiez,
Et Bruns li ors s'est afichiez
Qu'il vodra mout Renart grever.
Avec els .II. ont fet lever
Baucent le sengler qui de droit
En nul sens guenchir ne vodroit,
Ensemble sont a parlement.
Li cers parla premierement
Qui s'est sor Baucent acordez :
« Seignors, fait il, ore escoutez.
Vos avez oï d'Ysengrin,
Nostre ami et nostre voisin,
Con il a Renart acusé.
Mes nos avons en cort usé,
Quant l'en se plaint de forfeture
Et l'en en velt avoir droiture,
Prover l'estuet par tierce main,
Que tiex porroit d'ui a demain
Fere clamor a son voloir
Dont autre se porroit doloir.
De sa fame vos rediron :
Celui a il en sa prison
Quant que il velt dire et taisir,
Tot li puet fere a son plaisir,
Et bien mentir a escïent.
Ne sont mie fuisicïent
Itel tesmoing a esprover,
Autre li covendra trover.
— Par Dieu, seignors, ce a dit Bruns,
Des jugeors sui ge li uns,
Puis que nos somes ci ensemble,
Je diré ce que il me semble.
Dant Ysengrin est connoistables
Et bien de la cort et creables.
Mes se il fust .I. bareteres,
Ou faus ou traïtres ou lerres,
Sa fame ne li peüst mie
Porter tesmoing ne garantie.
Mes Ysengrin est de tel non
Que s'il n'i avoit se lui non,
Si le porroit on tres bien croire.
— Par foi, sire, dist Baucent, voire.
Mes autre chose i a encore :
En vostre foi, car dites ore
Qui est li pires ne li mieudres.
Chascun se velt as bons acueudre.
Se vos dites que Ysengrins
Est li mieudres de ses voisins,
Renart li voudra contredire
Que il n'est mains loiax ne pire ;
Chascun si se tient a preudome.
Por ce vos di a la parsome,
Ce ne puet estre que vos dites,
Dont ne serïez vos pas quites.
Chascun porroit tel clamor fere,
Por sa fame a garant trere,
Et dire : “cent sols me devez”,
Dont maint home seroit grevez.
Ce n'ert pas fait la ou je soie.
Issuz estes fors de la voie.
A vos me tieng, dant Brichemer,
Il n'a home jusqu'a la mer
Qui en deïst plus sagement
Ne loiauté ne jugement.
Comment Ysengrin alla se plaindre de Renart à la cour du roi Si conme Ysangrin s'ala plaindre de Renart a la cort le roi (9)
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