la plainte porte aussi sur d'autres choses, car messire Ysengrin demande instamment réparation pour sa nourriture que Renart a pris dans sa maison par force et sans bonne raison, et parce qu'il a pissé sans aucune considération sur ses enfants avec tout son mépris, puis les a battus, leur a arraché les poils, et les a traités de bâtards. Il faut une sérieuse compensation à tout cela. Si seigneur Renart ne le dédommage pas, et s'il peut en réchapper ainsi, il voudra à nouveau y goûter. » Alors, Brun dit : « C'est la vérité. Qu'il soit honni et déshonoré celui qui consentira à ce que Renart vilipende un homme honnête, lui enlève son bien, et que ce dernier ne puisse avoir justice; Renart aurait donc trouvé le filon. Ce serait une véritable folie si le roi ne vengeait pas ses barons que Renart bafoue et outrage. Mais à tel morceau telle saveur, un chat sait bien quelles moustaches il lèche. Je ne pense pas, sauf le respect que je lui dois, que messire le roi y trouve son honneur, quand il s'est mis à rire tantôt, puis à contrarier Ysengrin au profit d'un goujat et d'un trompeur. Que Dieu me permette de me venger de lui ! Par Dieu, fait-il, que cela ne vous porte pas préjudice, mais je vais vous raconter une brève histoire sur ce traître, félon et criminel, et comment il s'est joué de moi-même. Renart, qui est fort détesté, avait épié à côté d'un enclos une ferme prospère construite récemment. Il y avait un manoir près du bois, où un paysan demeurait, il avait beaucoup de coqs et de poules. Renart fit un tel massacre, qu'il en mangea bien plus de trente. Il y avait mis toute son attention. Le paysan fit alors guetter Renart, et dresser ses chiens. Le bois n'avait ni sente ni croisement, où il n'avait tendu une embûche ou un piège, un trébuchet ou un collet, ou déployé un filet ou un réseau. Il empêcha Renart autant qu'il pu, si bien que celui-ci ne pouvait plus aller à la ferme. Ce diable s'imagina donc comme j'étais grand et bien visible, et lui petit et menu, que je serais d'abord saisi. Que ce soit dans un bois ou dans une plaine, on mettrait la main sur moi plus vite; où que nous soyons tous les deux, on se dirigerait plutôt vers moi que lui, je serais plus facilement attrapé, et lui s'échapperait plus rapidement. Il sait bien que j'aime le miel plus que tout autre chose sous nos cieux. Il est venu chez moi cette été, avant la fête de la Saint-Jean. “Hé, dit-il, cher seigneur Brun, je connais un sacré pot de miel ! — Et où est-il ? — Chez Constant des Noues. — Est-ce que je pourrais y mettre la patte dessus ? — Oui, j'ai tout bien observé.” Les blés étaient en épis, nous avons trouvé le portillon ouvert, alors nous sommes entrés à l'intérieur, à côté d'une grange dans un verger. Nous avons dû séjourner là et nous allonger tout tranquille jusqu'au soir, au milieu des choux. À la tombée de la nuit, nous devions briser le pot, récupérer le miel et le manger. Mais ce glouton n'a pas pu se retenir quand il a vu les poules dans le pailler, il a commencé à bâiller d'envie. Puis il les a attaquées, et elles ont crié. Alors, les paysans qui étaient à l'intérieur ont donné l'alarme à travers la ferme. Il y en avait plus de deux mille en tout. Ils arrivaient en courant vers le jardin, en criant violemment après Renart, ils étaient plus de quarante sur la route. Il ne faut pas s'étonner si j'ai eu peur; je m'en suis retourné au grand galop. Renart s'était vite éloigné, car il connaissait tous les passages dont les plus étroits. Toute cette agitation se retourna alors contre moi. | 4576 4580 4584 4588 4592 4596 4600 4604 4608 4612 4616 4620 4624 4628 4632 4636 4640 4644 4648 4652 4656 4660 4664 4668 4672 | D'autre chose est ore li clains, Que mesire Ysengrin demande Estroitement de sa viande Que Renart prist en sa meson A force par male raison, Et qu'il pissa par mal respit Sor ses enfanz en son despit, Si les bati et chevela, Et avoutres les apela ; Et a ce afiert grant amende. Se dant Renart ne li amende, Et il s'em puet a tant estordre, Encor s'i voudra il amordre. » Et lors dist Bruns : « C'est veritez. Honniz soit et deshennorez Qui ja Renart consentira Que .I. preudonme honnira Et si li toudra son avoir, Si n'en porra nul droit avoir, Dont aroit il borse trovee. Ce seroit folie provee, Se li rois ses barons ne venge Que Renart honist et laidenge. Mes a tel morsel itel teche, Chaz set bien quel barbes il leche. Je ne cuit pas, sauve sa grace, Que mesire s'onor i face, Qui s'en aloit ore riant, Et Ysengrin contraliant Por .I. garçon, .I. losengier. Diex me dont de son cors vengier ! Por Dieu, fait il, ne vos soit grief ; Je vos feré .I. conte brief Du traïtor felon encrime Con il conchia moi meïsme. Renart qui mout estoit haïz Avoit dejoste .I. plaiseïz Une riche vile espïee Novelement edefïee. Lez le bois avoit .I. manoir Ou .I. vilain soloit manoir Qui mout avoit cos et gelines. Renart en fist tiex deceplines Que bien en menja plus de .XXX., Toute i avoit mise s'entente. Li vilain fait Renart guetier, Ses chiens avoit fait afaitier. El bois n'avoit sente ne triege Ou il n'eüst coupel ou piege, Ou trebuchet ou laz tendu, Ou laz ou roisel estendu. Renart greva qanque il pot, Car a la vile aler ne sot. Dont se porpensa li deables Que g'iere grant et bien veables, Et il ert petiz et menuz, Si i seroie ainz retenuz. Ou fust a bois ou fust a plain, Plus tost meïst on en moi main ; Ou que nos fusomes nos dui, L'en tendroit ains a moi qu'a li, Et ge miex i fusse atrapez, Et il plus tost fust eschapez. Il savoit bien que je aim miel Plus que chose qui soit soz ciel. A moi vint en esté ouen Devant la feste saint Jehen. “Ahi ! dist il, biau sire Brun, “Quel vessel de miel je sai un ! “— Et ou est ? — Chiés Costant des Noes. “— Porroie i ge metre les poes ? “— Ouil, je l'ai tout espïé.” Li blé estoient espïé. Le postis trovames ouvert, S'entrames enz par l'uis ouvert, Lez une granche en .I. vergier. La nos deümes herbergier Et gesir trestout en repos Desi au vespre entre les cos. Cele nuit a l'aserisier, Devion le vessel brisier, Le miel mengier et retenir. Mes li gloz ne se pot tenir, Vit les gelines el paillier, Si conmença a baaillier. Il les asaut, eles crïerent. Et li vilain qui laiens erent Lievent la noise par la vile. Tost en i ot plus de .II. mile, Vers le cortil vindrent corant, Et Renart durement huiant, Plus de .XL. en une route. Ne fu merveille se j'oi doute ; Les granz galoz en sui tornez. Renart se fu tost destornez Qui sot les pas et les destroiz, Sor moi torna toz li esfroiz. |
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