le lion penche alors la tête, puis se met à sourire un peu. « Avez-vous, fait-il, autre chose à dire ? — Non, sire, mais il m'est si pénible qu'on en ait tant fait de bruit, que je suis complètement déshonoré. — Hersent, dit le roi, répondez-moi vous qui vous êtes plainte ici que seigneur Renart vous a aimée. Et vous, ne l'avez-vous jamais aimé ? — Certes non, sire. — Mais dites-moi donc, pourquoi avez-vous été assez folle pour aller seule dans sa maison, du moment que vous n'étiez pas son amie ? — Pardon, sire, ça n'est pas du tout ça. Vous pourriez parler plus justement, s'il vous plaît, eu égard à la plainte que vous avez entendue, car je vous le dis, le connétable mon seigneur, qui est tout à fait fiable, était venu là-bas avec moi, quand cette ignominie m'est arrivée. — Il était avec vous ? — Oui, sans erreur. — Qui pourrait croire ça, grand dieu, qu'il ait pu vous violer là où votre mari pouvait s'en apercevoir ? » Ysengrin se lève alors. « Sire, fait-il, vous ne devez, s'il vous plaît, défendre ni moi ni lui, vous devez plutôt prêter pleinement attention à ma plainte, quoi qu'on dise, jusqu'à ce qu'on me dédommage ou qu'on la rejette. Car je vous le dis en toute confiance comme toute personne qui vous a fait allégeance, que si Renart était présent ici, je démontrerais qu'il a forcé Hersent à coucher avec lui, et que je l'ai vu; au nom de la fidélité que je vous ai jurée. » Le lion, dans sa grande noblesse, ne peut tolérer en aucune manière que quelqu'un soit maltraité à sa cour, et accusé pour une histoire d'amour. Et comme il pensait que Renart ne l'avait pas fait, sachez qu'il débouterait volontiers seigneur Ysengrin pour sa plainte contre Renart, au sujet de laquelle il l'interpelle. Mais quand il voit que l'autre veut discuter, il cherche alors à arranger les choses, et lui répond mot pour mot : « Le fait, dit-il, que Renart l'a aimée, l'excuse quelque peu de son péché. S'il vous a trompé par amour, il est néanmoins vaillant et habile. Cependant, il sera traité selon la justice et la raison avec les égards de ma cour, je vais donc faire prendre des dispositions. » Le chameau, qui est assis près du roi, est tenu en grand estime à la cour. Il vient de Lombardie pour apporter à monseigneur Noble le tribut de Constantinople, où le pape l'a envoyé, il est son légat et ami. C'est un grand sage et un très bon juriste. « Maître, fait le roi, si vous avez déjà entendu dans votre pays de telles plaintes, comme on en a déposé beaucoup à ma cour, nous voudrions bien apprendre de vous, quel jugement on doit en rendre. | 4388 4392 4396 4400 4404 4408 4412 4416 4420 4424 4428 4432 4436 4440 4444 4448 4452 4456 | Et le lion le chief cliné, Si conmence .I. poi a sourire. « Avez vos, fet il, plus que dire ? — Sire, je non ; de tant me poise C'onques en fu meüe noise, Ne que j'en sui si vergondez. » « Hersent, dist li rois, responnez Qui vos estes ici clamee Que dant Renart vos a amee. Et vos, amastes le vos onques ? — Je non, sire. — Or me dites donques, Por qoi estïez donc si fole Qu'en sa meson alïez sole, Des que vos n'estïez s'amie ? — Merci, sire, ce n'i a mie. Se vos plet, miex dire pouez Selonc le claim que vos oez, Que je vos di, li connoistables, Mesire, qui bien est estables, Qui ensemble o moi la vint, Ou ceste vergoingne m'avint. — Ert il o vos ? — Ouil, sanz faille. — Qui cuidast ce, que Diex i vaille, Que il esforcier vos deüst La ou vostre mari seüst ? » Lors s'en est Ysengrin levez. « Sire, fet il, vos ne devez, Se vos plet, moi ne lui desfendre, Ainz devez plainement entendre A la clamor, que que nus die, Tant c'on l'ament ou escondie ; Que je vos di bien a fiance Que cil qui vos a fait liance, Que se Renart ert ci presenz, Je mosteroie qu'a Hersenz Jut il a force, que jel vi, Par la foi que je vos plevi. » Le lyon par sa grant franchise Ne vost soufrir en nule guise Que fust en sa cort mal menez Qui d'amors fust achoisonnez. Et s'il quidast que non feïst, Sachiez, volentiers le guerpist Envers Renart de sa querele Dont mesire Ysengrin l'apele. Et quant il voit qu'il velt tencier, Si conmença a agencier, Si li respondi mot a mot : « Ce, fait il, que Renart l'amot L'escuse auques de son pechié. S'il par amors vos a trichié, Certes, preuz est et afaitiez. Et neporquant s'ert il traitiez Par jugement et par raison Selonc l'esgart de ma meson, Bien en feré prendre conroi. » Li chameus siet joste le roi, Mout fu en la cort cher tenuz. De Lombardie estoit venuz Por aporter mon seignor Noble Treü devers Costentinoble. La pape li avoit tramis, Ses legas ert et ses amis. Mout fu sages et bon legistres. « Mestre, fait li rois, s'ainz oïstes En vostre terre tex complaintes Con a ma cort a l'en fait maintes, Bien vodrions de vos aprendre Quel jugement en en doit rendre. |
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