dimanche 17 octobre 2010

Primaut et les harengs - Primaut pris au piège




Renart se lève aussitôt.
R


enart maintenant si se lieve,
Sachez que ça ne lui déplaît pas du tout
que Primaut soit aussi tourmenté.
Mais le malheureux ne s'en aperçoit pas,
au contraire, il le suit à grande allure.
Ils vont vers la maison à l'amble.
Ils avancent tout droit sur le chemin
jusqu'à ce qu'ils arrivent à la maison.
Renart, qui sait tout sur tout,
regarde par les fenêtres
si elles sont fermées,
mais les voit toutes barrées,
et la porte de devant est close.
Les gens d'ici sont en train de dormir,
toute la famille pour sûr.
Renart, qui veut faire souffrir
le martyre à seigneur Primaut le loup,
pense alors à un tour.
En effet, il a vu l'autre jour
(il l'a déjà visitée et regardée de près),
qu'il y a un trou dans la maison
juste derrière la porte
du courtil; il s'en va alors de ce côté.
Primaut le suit à grande hâte
jusqu'à ce qu'ils trouvent le trou.
Ils entrent aussitôt dedans,
mais le trou est petit
et Primaut qui meurt de faim
y pénètre à grand-peine.
Puis Renart se dirige vers le garde-manger,
car il connaît très bien ce lieu,
et seigneur Primaut le suit à la trace,
jusqu'à ce qu'ils arrivent aux jambons.
« Primaut, vous avez donc bien de la chance,
fait Renart, car vous pouvez manger
jusqu'à ce que vous soyez rassasié.
Voyez ce que je vous avais promis,
mangez le donc, très cher ami. »
L'autre qui est étreint par la faim,
se dédommage avec une part,
et la mange brutalement.
« Ha, ha ! fait Renart, vraiment
Primaut, ce serait me faire un plaisanterie,
si je ne pouvais manger de cette viande
dont je suis fou, par saint Simon.
Je peux bien en manger après le poisson,
puisque je suis venu en ce lieu,
et qu'il y en a tant. »
Alors, sans plus tarder,
il commence à manger le jambon.
Primaut mange d'un côté,
et seigneur Renart de l'autre,
lui qui connaît bien plus de ruses
que Primaut le frère d'Ysengrin.
Ils mangent beaucoup et vite,
et ils le font en cachette
car ils ont peur du paysan.
Renart dresse l'oreille et écoute.
Il est très appliqué à écouter
car il ne veut pas être surpris,
s'il arrivait par aventure
que ce sale paysan reprenne ses esprits.
Primaut mange sans crainte
et ne s'occupe de rien d'autre que de s'alimenter.
Il a avalé tellement de jambon
qu'il est devenu plus gros qu'il n'est long !
« Renart, fait-il, quand vous voudrez,
emmenez nous hors d'ici
car j'ai tant mangé que je n'en peux plus. »
Ils s'en vont alors droit vers le trou,
puis Renart s'élance dehors,
mais seigneur Primaut est si gros
qu'il ne peut pas passer par le trou.
Il se met alors à se lamenter
quand il voit qu'il ne peut plus sortir.
« Ah ! mon Dieu, que vais-je devenir ?
se dit-il, et que puis-je faire ?
— Renart lui dit, qu'avez-vous, beau frère ?
— Ce que j'ai ? fait-il, par saint Riquier
je ne peux pas m'enfoncer entièrement.
— Enfoncer ? fait Renart, vous mentez.
— Pas du tout, répond l'autre, par mes dents,
je ne peux pas sortir, je vous le dis.
— Mettez votre tête par ici,
fait seigneur Renart, pour essayer,
et si vous pouvez la passer,
ne poussez plus en aucune manière. »
Il est pris de frénésie !
Il le hait plus que tout autre chose.
Il dit tout ça non pas pour son bien,
il le dit plutôt, que Dieu me garde,
pour lui jouer un mauvais tour.
Primaut n'y entend aucune malice,
alors il se baisse
et met sa tête dans le trou.
Renart le prend par les oreilles,
et tire rudement, et il retire,
il lui déchire presque le cuir.
Il tire en bas, et puis en haut,
puis dessous, mais ça ne sert
à rien, car il ne parvient pas à tirer assez
pour pouvoir le sortir de là.
« Renart, fait Primaut, tirez plus fort.
Si je reste, ça ne sera pas une consolation,
car je vous le dis sans vous tromper,
que si le paysan arrive à savoir
que je suis emprisonné ici,
je crois que je vais mourir,
car rien ne pourra me délivrer de lui. »
Alors Renart dit : « Ne vous découragez donc pas !
Je vous dis, que si jamais je le peux,
vous sortirez par ce trou. »
Sur ce, il le quitte
et va vers le bois faire une corde,
qu'il veut lui mettre autour de la tête.
Après l'avoir bien torsadée, et bien faite,
il retourne sur ses pas,
tel celui qui est gai et joyeux,
car il veut faire beaucoup de mal à Primaut.
Et il sait avec certitude
qu'avant de sortir dehors,
l'autre va se prendre une sacrée correction.
Il lui met alors la corde autour du cou.
« Primaut, fait-il, sachez que
je ne vous laisserai ici en aucune manière.
— Seigneur, dit-il, grand merci,
mais faites vite, pour l'amour de Dieu, et tirez fort.
Empêchez-moi de mourir, ne m'abandonnez pas ici.
— Je ne le ferai pas, répond-il, par ma foi. »
Il s'appuie du pied à la paroi
et tire jusqu'à ce qu'il ne puisse plus,
mais Primaut ne bouge pas du trou,
et il l'exhorte à tirer fort.
Alors, Renart se met à souffler
et à gémir très fortement,
mais ça ne sert vraiment à rien,
car quoi qu'il puisse faire,
il ne parvient pas à le tirer hors du trou,
pourtant Renart ne se lasse pas de tirer.
« Mon Dieu, dit Renart, comment ça se fait ?
Par le Saint-Esprit, que faire ?
Vais-je abandonner mon compagnon ici ?
Pas question que je le fasse, sans aucun doute. »
Alors, il recommence la musique,
et il tire, et il retire,
et il le tord, et il le soulève.
Du cou à la nuque,
il lui a rebroussé la peau
et la chair, ce qui lui fait mal.
Primaut lance alors un hurlement
car il sent bien qu'il est blessé.
Mais le paysan se réveille
et saute hors de son lit.
Primaut va certainement passer une mauvaise nuit,
si le paysan peut le tenir.
Quand il voit le paysan arriver,
il prend peur pour lui-même :
« Ah ! Renart, fait-il, lâche moi,
car je ne veux pas attendre plus ici,
il faut que je me défende contre le paysan,
sinon il va certainement m'estropier. »
Renart l'exauce et le lâche.
Il n'a pas le cœur triste
de se séparer de lui, et n'attend pas plus ici.
Il lui importe peu ce qui va arriver
pourvu que le paysan ne l'attrape pas.


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Et sachiez que pas ne li grieve
De Primaut qui si est destroit,
Et li chaitis ne s'aparçoit,
Ançois le sieut grant aleüre.
Vers la meson vont l'ambleüre,
Bien ont le droit chemin tenu
Tant qu'a la meson sont venu.
Renart qui savoit touz les estres,
Regarde par unes fenestres
Se eles estoient fremees,
Mes il les voit toutes barrees,
Et li huis devant clos estoient,
Et cil de laiens se dormoient
Et trestote voir la mesnie.
Renart qui volt fere haschie
Sofrir a dant Primaut le leu,
Si s'apensa lores d'un jeu
Que l'autre jor avoit veü
— Bien l'ot visité et veü —
Qu'en la meson ot .I. pertuis
Qui estoit droit deriere l'uis
Du cortil ; sele part s'en vet.
Primaut le sieut a grant esploit
Tant qu'il ont le pertuis trové
Meintenant sont dedens entré,
Et le pertuis petit estoit,
Et Primaut qui de fain moroit,
Si i entra a grant destrece.
Et Renart au lardier s'adrece
Qui bien sot le lieu et la place,
Et dant Primaut le sieut par trace,
Tant qu'il sont as bacons venuz.
« Primaut, or t'est bien avenuz,
Fet Renart, que mengier pouez
Tant que vos soiez saoulez.
Vez ci ce que vos ai pramis,
Or del mengier, biax doz amis. »
Cil qui estoit de fain destroiz
A une part s'estoit retroiz,
Si a mengié mout durement.
« Ha, ha ! fet Renart, voirement,
Primaut, vos me servez d'eschar,
Se ne menjus de ceste char,
Dont sui je fox par saint Simon.
Bien puis mengier aprés poisson,
Puis que je sui venuz el leu,
Et que je en ai tans et lieu. »
Lors ne se volt plus atargier,
Del bacon conmence a mengier.
Primaut menjue d'une part,
Et de l'autre sire Renart
Qui savoit assez plus d'engin
Que Primaut le frere Ysengrin.
Durement menjuent et tost ;
Que il estoient en repost
Et du vilain avoient doute.
Renart si oreille et escoute ;
A escouter fu ententis,
Qu'il ne volt pas estre sorpris,
Se par aventure avenist
Que li ort vilain s'esperist.
Primaut menjue sanz dangier,
A riens n'entent fors a mengier.
Il a tant mengié del bacon
Que il est plus gros qu'il n'est lonc.
« Renart, fet il, quant vos vodroiz,
Fors de ceanz si nos metroiz ;
Que tant ai mengié, plus ne puis. »
Lors s'en vont droit vers le pertuis,
Et Renart si s'est lanciez hors,
Et dant Primaut si fu tant gros
Qu'il ne pot le pertuis outrer,
Et lors se prist a dementer
Quant il voit qu'il n'en puet issir.
« Ha ! Diex, que porré devenir,
Fet se il, et que porré fere ? »
Renart li dist : « Q'as tu, biau frere ?
— Que j'ai ? fet il, par saint Richier,
Tout outre ne me puis fichier.
— Fichier ? fet Renart, tu te menz.
— Et non faz, fet il, par mes denz,
Je n'en puis issir, jel te di.
— Or boute ta teste par ci,
Fet dant Renart, por essaier
Se tu ici la puez fichier,
Ne bouter en nule maniere. »
La passion au cuer le fiere !
Plus le haoit que nule rien.
Il nel disoit pas por son bien,
Ainz le disoit, se Diex me saut,
Por fere li .I. mauvés saut.
Primaut n'i entendi nul mal,
Adonques s'abessa a val,
Et el pertuis sa teste mist.
Renart as oreilles le prist,
Si sache durement et tire,
A poi le cuir ne li descire.
Il sache em bas et puis en haut,
Et puis desoz, mes ne li vaut
Rien, que il ne set tant tirer
Que d'iluec le peüst oster.
« Renart, fet Primaut, sache fort.
Se je remaing, c'est sanz confort,
Car je vos di sanz decevoir,
Se li vilains pouoit savoir
Que je fusse ci enserré,
Je cuit j'aroie trop alé,
Ja envers li rescous n'aroie. »
Et dist Renart : « Or ne t'esmoie !
Je te di, se je onques puis,
Tu t'en istras par cest pertuis. »
A itant d'ilec se depart,
Et va el bois fere une hart
Qu'il li volt metre entor la teste.
Quant il l'ot bien torte et bien fete,
Si est arriere repairiez
Conme cil qu'est joianz et liez,
Qu'a Primaut voit si mal avoir.
Et bien set de fi et de voir
Que ançois qu'il en issi fors,
Sera il corouciez del cors.
Lors li a la hart el col mise.
« Primaut, fait il, en nule guise,
Sachiez, ne vos leroie ci.
— Sire, dist il, vostre merci,
Or tost, por Dieu, et si sachiez.
Gardez morir ne m'i lessiez.
— Non feré, fet il, par ma foi. »
Del pié s'apuie a la paroi,
Si sache tant con il plus puet,
Et Primaut del pertuis ne muet,
Ainz le semont de bien tirer.
Et Renart prent a soupirer
Et a gembre mout durement,
Mes ne li vaut neïs noient ;
Que por riens que il puisse fere
Ne le puet hors del pertuis trere,
Et de sachier ne se recroit.
« Diex, dist Renart, ice que doit ?
Saint Esperiz, et que feron ?
Leré je ci mon compaignon ?
Nenil, que je puisse sanz dote. »
Lors ra conmencie sa rote
Et de tirer et de sachier
Et de tordre et de soufachier,
Que du col jusque au haterel
Li a reborsee la pel,
Et la char qui dure estoit.
Primaut si a geté .I. brait,
Que bien sent que il est bleciez.
Et li vilain s'est esveilliez,
Si est sailliz hors de son lit.
Primaut avra ja male nuit,
Se li vilains le puet tenir.
Quant il voit le vilain venir,
Adonques ot peor de soi :
« Ha ! Renart, fet il, lesse moi,
Que je ne voil ci plus atendre,
Vers le vilain m'estuet desfendre
Ou il m'aroit ja mahaingnié.
Renart l'oï, si l'a lessié,
Qui n'en a pas le cuer dolent,
D'ilec se part, plus n'i atent.
Ne li chaut conment il aviengne,
Mes que le vilain ne le tiengne.
Comment Renart et Primaut vendirent les vêtements au prêtre contre un oison Si conme Renart et Primaut vendirent les vestemenz au prestre por un oyson (8)
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