mardi 3 août 2010

Primaut fait prêtre - La messe est dite




Primaut a bien tâté sa tonsure
L


a coronne a bien tastee,
et la trouve grande, large,
bien dégarnie d'un bord à l'autre.
Alors, saisi d'une grande joie,
il lui dit : « Renart, mon cher maître,
par ma tête, je suis un vrai prêtre à présent.
Mais je ne veux pas tarder plus,
car il faut que j'aille chanter la messe. »
Jamais, il n'aura attendu plus longtemps,
mais Renart lui répond :
« Primaut, cher ami, vous ne le ferez pas.
D'abord vous sonnerez les cloches,
car on ne doit pas chanter la messe
avant d'avoir sonné les cloches.
Sonnez les, ça ne vous sera pas difficile.
— Vous dites vrai, par ma tête,
fait Primaut, je vais les sonner,
et puis après je chanterai. »
Là-dessus, il s'en va vers les cloches
à aussi grande allure qu'il peut.
Il s'empresse de saisir les cordes
et sonne les cloches avec grande vigueur,
à glas, à trois voix, et à carillon.
Alors Renart, qui ne pourrait se retenir de rire
même s'il voyait tous ses parents morts,
prend son vêtement,
et se bouche la gueule avec un pan.
Puis il dit : « Amis, ho ! hisse ! ho ! hisse !
tirez bien les cordes, tirez.
— C'est ce que je fais, dit l'autre, sachez que
jamais, ni par aucun prêtre,
des cloches ont été aussi bien sonnées
que celles-ci le seront, si je le puis. »
Alors, Renart répond : « Mon cher ami,
tirez les deux cordes ensemble,
elles sonnent trop lentement, il me semble.
Cette clochette par delà,
mon Dieu, comme elle a un très joli son !
Tirez la corde, et vous l'entendrez.
— Ma foi, dit Primaut, c'est juste. »
Renart, le voyant s'efforcer de la sorte
à tirer et retirer les cordes,
n'aurait pu se retenir de rire,
même s'il entendait dire
que son père était mis en bière.
Puis Renart, qui fait bonne figure,
tant il est instruit, réfléchi,
et grand connaisseur en ruse,
lui dit : « Primaut, cher ami,
je vous ai mis en grande peine,
restez tranquille maintenant, car vous avez assez sonné. »
Celui-ci répond : « Comme vous le voulez,
voilà qui arrive à point nommé. »
Il interrompt alors le glas
après avoir fait cette si longue tirade,
et s'élance comme jamais vers l'autel,
du plus vite qu'il peut y arriver.
Il va revêtir les vêtements liturgiques.
Il enfile l'aube sans aucune difficulté,
mais Renart court l'assister.
Il l'aide très dignement,
il lui attache la ceinture,
la manipule, et l'étole.
Renart rit de lui faire commettre des folies,
il dit tout doucement sans que l'autre ne l'entende :
« Primaut, votre joie sera encore plus grande,
quand on vous frappera le dos.
Le diable vous a rendu trop hardi,
il aurait mieux valu que vous pêchiez avec une fourche. »
Alors, Primaut prend la chasuble,
et l'endosse aussitôt.
Sa couronne est grande et large,
il la caresse de sa main,
puis va tout droit vers l'autel.
Maintenant qu'il n'y a rien d'autre à faire,
il ouvre le missel,
et se met à tourner les pages.
Renart n'a soin de séjourner ici,
car il a peur des mauvaises rencontres.
Comme il n'a vraiment pas envie de rester,
par là où il était entré,
il sort ventre à terre.
Le trou est grand et large,
mais il le rebouche tout aussitôt,
en remettant la terre par-derrière.
Primaut, lui, reste dans l'église,
dans sa tenue de prêtre, devant l'autel.
Il met tous ses soins à chanter,
il hurle, braille, et crie énormément.
Mais le prêtre entend tout ce tapage.
Il avait aussi entendu les cloches.
Il saute de son lit tout étourdi,
puis prend une chandelle,
et va vers le feu pour l'allumer.
Ensuite, il appelle Gilain son clerc,
sa femme, et son chapelain.
Puis il prend la clé de l'église,
et met une barre sur son épaule.
La femme emporte une crosse,
le chapelain, la corde,
et le clerc prend une massue,
car il est aussi hardi qu'une limace.
Puis ils sortent tous de la maison,
et vont droit à l'église.
Le prêtre, qui s'y connaît beaucoup à épier,
se met aux aguets à travers un trou,
et voit Primaut qui hurle et qui braille.
Sachez qu'il ne le reconnaît pas
à cause de sa tête qu'il voit toute pelée,
avec sa couronne grande et large.
Il ouvre et ferme la porte à plusieurs reprises,
car il entend l'autre hurler et brailler
comme si c'était le diable.
Ne croyez pas que ce soit une fable,
car il a eu si grand-peur,
que sa vue s'en est toute troublée,
et qu'il est tombé par terre, évanoui.
La femme aussi l'a reconnu,
et elle commence à gémir et à crier.
Le clerc ne peut se retenir non plus,
il s'en va à travers le village en criant,
et se met à réveiller tous les paysans :
« Debout maintenant, fait-il, debout maintenant,
armez-vous, n'attendez pas,
mettez-vous en tenue,
le diable est dans l'église,
qui nous a tué mon seigneur,
il l'a battu à mort devant la porte,
peu s'en faut qu'il nous tue tous. »
Les paysans qui l'ont entendu,
sautent de leur lit, se préparent,
et se dirigent tout droit vers l'église.


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Si la trouva et grant et lee,
De leus en leus entrepelee,
Lors a grant joie demenee,
Puis li a dit : « Renart, biau mestre,
Par mon chief, or sui je bon prestre.
Or ne voil je plus demorer
Que je n'aille messe chanter. »
Ja n'i avra plus atendu,
Et Renart li a respondu :
« Primaut, biax amis, non feras,
Les sains tot avant soneras,
Car on ne doit messe chanter
Devant c'on ait les sainz sonnez.
Sonez les, si ne vos soit grief.
— Vos avez bien dit, par mon chief,
Fet Primaut, je les sonneré,
Et puis aprés si chanteré. »
A tant en est venuz as sainz
Si grant oirre con il pot ainz,
Et les cordes corut saisir,
Les sains sonne de grant aïr
A glaz, a treble, a carenon.
Et Renart a pris son giron
Qui de rire ne se tenist,
Se toz ses parenz mors veïst,
Sa bouche en estoupe d'un pan,
Puis dist : « Amis, ahan, ahan,
Sachiez bien les cordes, sachiez.
— Si faz ge, dist il, ce sachiez,
Onques mes par nul ordené
Ne furent saint si bien sonné
Conme cil seront, se je puis. »
Et Renart respont : « Biax amis,
Tirez les .II. cordes ensemble,
Trop sonnent lentement, ce semble.
Cele eschielete par de la,
Et Diex, com tres bon son ele a !
Sachiez la corde, si orroiz.
— Par foi, dist Primaut, ce est droiz. »
Qui donc le veïst efforcier
Les cordes tirer et sachier,
Ne se peüst tenir de rire,
Ja soit ce que il oïst dire
Que ses peres fust en la biere.
Et Renart qui fet bele chierre,
Et tant fu sages et pensez,
Et de barat bien doctrinez,
Si li a dit : « Primaut, amis,
Je vos ai en grant painne mis.
Lessiez ester, car trop sonnez. »
Cil respont : « Quant vos le volez,
Il me vient mout bien a plaisir. »
A tant a fait li glaz fenir
Qui mout avoit fet longue lesse,
Et tot jors a l'autel s'eslesse
Au plus tost que il pot venir,
S'ala des vestemenz vestir
L'aube et l'amist tot sanz dangier,
Et Renart li courut aidier.
Mout fierement li aïda,
La sorceinte baillié li a,
Et puis le fanon et l'estole.
Renart rit de ce qu'il l'afole,
Tot belement dit qu'en ne l'oie :
« Primaut, encor avrez grant joie,
Quant on vos roillera le dos.
Deable vos ont fet tant os,
Miex vos venist peschier au truble. »
A tant Primaut prant la chasuble,
Tot maintenant l'a endossee.
La coronne ert grant et lee,
A aplaniee de sa main,
Et a l'autel vint tout de plain
Tot maintenant qu'il n'i ot el,
Et si a ouvert le mesel.
Les foilles a pris a torner.
Renart n'a soing de sejorner,
Qu'il avoit d'encontre peor,
Por ce n'ot cure de sejor.
Par la ou il estoit entrez
S'en est issuz tot adentez.
La fosse qui ert grant et lee
A tot maintenant estopee.
La terre avoit ariere mise.
Et Primaut remest en l'iglise
Tot revestu devant l'auter.
Son pense a mis a chanter,
Durement ulle et brait et crie.
Li prestres a la noise oïe,
Et si avoit les sainz oïz.
De son lit saut toz estordiz,
Si a une chandoile prise,
Au feu s'en vient, si l'a esprise,
Si escrie son clerc Gilain,
Sa fame et son chapelain,
Et si prent la clef du mostier,
Et a son col porte .I. levier.
La dame i porta une grouge,
Et li chapelains la coorge,
Et li clers a pris une mace,
Qui fu hardiz conme limace,
Et tuit sont de l'ostel issu,
Droit au mostier en sont venu.
Li prestres qui mout sot d'aguet,
Par .I. pertuis fist son aguet,
Si voit Primaut qui ulle et crie,
Et sachiez qu'il nel connut mie
Por la teste qu'il vit pelee,
Et la coronne grant et lee.
L'uis fet sovent clorre et ovrir,
Et si l'ot uller et glatir
Aussi conme se fust deable.
Ne cuidiez pas que ce soit fable,
Que si grant paor a eüe,
Tote l'en trouble la veüe,
S'est a terre pasmé chaü.
Et la dame l'a conneü,
Conmence a crïer et a brere,
Et li clerc ne se volt plus tere,
Par la vile s'en va criant,
Les vilains va toz esveillant.
« Or sus, fet il, or sus, or sus,
Armez vos, si n'atendez plus,
Fetes voz cors apareillier.
Deables sont en cel mostier
Qui nos ont mon seignor tué,
Devant l'uis l'ont il mort rué,
A poi ne sonmes tuit traï. »
Et li vilain qui l'ont oï,
De lor liz saillent, si s'atornent,
Et tot droit au mostier s'en tornent.
Comment Renart fit Primaut, le frère d'Ysengrin, prêtre Si conme Renart fist Primaut le frere Ysangrin prestre (7)
Notes de traduction (afficher)

1 commentaire:

  1. 2656 : le prêtre appelle « sa femme »

    Il s'agit bien ici de la femme du prêtre.
    Le roman de Renart est écrit aux environs de 1200. En « 1123 , sous le pontificat du Pape Caliste II : le premier Concile du Latran décrète que les mariages avec des clercs sont invalides. » Pourtant, « au 15ème siècle, 50% des prêtres sont mariés et acceptés par le peuple. »
    Source : Histoire du célibat dans l'église catholique sur futurechurch.org.
    Voir aussi :
    Le Célibat des prêtres sur atheisme.ca
    Courte histoire du célibat ecclésiastique de A. Hourtin.

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