cela lui réjouit le cœur car l'autre est complètement hébété. Primaut aura sa récompense, et il va beaucoup souffrir avant qu'il sorte de là. « Vous pourriez bien faire un tel chant mais cela vous causerait des ennuis. Nul ne doit chanter, vous le savez bien, avant qu'il soit ordonné prêtre ou chapelain, ou qu'il ait au moins la tonsure. — Pour la foi que je dois à saint Léonard, vous dites vrai, seigneur Renart, fait Primaut qui au contraire n'en savait rien, je crois en effet que vous dites vrai. Malgré cela, la chose ne sera pas changée, mais pour Dieu, comme vous me le conseillez, quelqu'un pourrait me faire une couronne. Je ne veux pas abandonner cette affaire, ma parole doit être tenue, je dois chanter ici, les vêpres, les matines, et la messe, à coup sûr, je ferai tout ça avant de partir. Connaissez-vous quelqu'un pour me faire une couronne ? » Renart dit : « Si Dieu me laisse faire, et si je peux trouver un rasoir, je veux bien vous faire la tonsure, vous mettre l'étole au cou, tout faire, excepté la bénédiction du pape. Je vous accorde par mon autorité le pouvoir d'utiliser votre don de chanter. Vous ne l'aurez jamais d'un autre évêque. Vous allez immédiatement être couronné. Je peux bien être votre maître puisque j'ai été prêtre jadis. — Vous dites vrai », lui répond Primaut, il bondit aussitôt sur ses pattes, Renart aussi, et avec Primaut, tous deux s'en vont à travers l'église, et se mettent à chercher dans les coins et les ouvertures. Primaut, qui veut être prêtre, s'en va sur le côté en chantant, en s'appuyant sur les piliers. Renart, qui s'y connaît en ruse, regarde derrière l'autel saint Jacques et trouve une armoire. Comme nous le découvrons dans l'histoire, sachez le, c'est la stricte vérité, Renart l'ouvre aussitôt et trouve dedans un rasoir, qui est très bien affilé, des ciseaux et un bassin d'un bon cuivre brillant et fin. Renart les saisit aussitôt, et dit à Primaut : « Aussi vrai que Dieu veille sur moi, il vous arrive de bonnes choses, fait-il, Dieu vous a entendu aujourd'hui, et fait très bien vos volontés, car nous avons eu plein d'hosties, des ciseaux bien tranchants, un bassin, et un rasoir bon et fin, il ne nous manque seulement que de l'eau. » L'autre, qui écoute fort peu les choses que Renart lui dit, reste silencieux, et ne répond pas. Renart, qui s'y connaît beaucoup en malice, regarde alors de l'autre côté, puis tout autour avec attention, et voit sous la tour, les fonts baptismaux sans leur couvercle. Alors, il y va à toute allure, fait semblant de faire l'homélie, et pisse dans le bassin du plus bellement qu'il peut, sans que jamais Primaut ne le voit. L'autre ne prend garde à aucun moment, Renart vient vers lui, et lui adresse la parole : « Compagnon, dit-il, regardez par ici, je crois que Dieu va vous aider. Ceci nous arrive à dessein, je pense que c'est un beau miracle. — Renart, grâce à ça vous pouvez voir que Dieu veut m'avoir à son service, et il l'aura sans plus de difficultés. Venez vite me faire une tonsure. — Ma foi, volontiers, dit Renart, je vois bien que c'est nécessaire. » Alors, Primaut s'assoit par terre, et Renart le prend entre ses mains, puis lui jette l'eau sur la tête. L'autre ne dit mot, ni ne bouge, mais se tient tout tranquille et en silence, et seigneur Renart le rase de telle sorte qu'on ne lui en donnerait pas deux sous. Il fait la couronne jusqu'aux oreilles, et quand elle est faite, il dit lui : « Primaut, que dieu m'assiste, vous devez m'être très reconnaissant de vous avoir fait la tonsure. — Je le suis, avec toute la confiance que je vous dois. Ai-je la couronne ? — Oui, certainement, si vous ne me croyez pas, tâtez la ! — Très volontiers, par saint Rémi, fait Primaut, et tout délicatement, il y met aussitôt la main. » | 2756 2760 2764 2768 2772 2776 2780 2784 2788 2792 2796 2800 2804 2808 2812 2816 2820 2824 2828 2832 2836 2840 2844 2848 2852 2856 2860 | Dedenz son cuer s'en esjoï, Que asotez est vraiement. Primaut avra son paiement Si que il sera mout dolenz Ançois qu'il isse de laienz. « Tu porroies bien tel chant fere Qui te torneroit a contrere. Chanter ne doit nus, bien le sez, Devant que il soit ordenez Ou soit prestres ou chapelains, Ou il soit coronez au mains. — Foi que je doi saint Lienart, Vos dites voir, sire Renart, Fet Primaut qui ainz n'ot savoir, Je cuit et croi vos dites voir. Ja por ce n'ert li dez changiez, Mes por Dieu, car me conseilliez Qui me porroit corone faire. Ne voil pas lessier cest afaire, Ma parole m'estuet sauver, Vespres m'estuet ici chanter, Vegilles et messe sanz faille, Tot ce feré ainz que m'en aille. Sez tu qui coronne me face ? » Dist Renart : « Se Diex bien me face, Se je puis .I. raisoir trouver, Je vos vodré bien coronner, Et vos metré au col l'estole Tot sanz le congié l'apostole. Je meïsmes d'autorité Vos don de chanter poesté. Ja autre evesque n'i arez, Maintenant coronnez serez, Bien en puis estre vostre mestre, Autresi fui je jadis prestre. — Vos distes voir », ce dit Primaut, Tot maintenant en estant saut, Et Renart et Primaut aussi Par le moustier s'en vont andui, Si cerchent angles et fenestres. Et Primaut qui volt estre prestres, Si s'en va par laiens chantant, Et par ces piliers apoiant. Et Renart qui mout sot de frape, Garde derrier l'autel saint Jasque, Si a trovee une aumere Si con nos trovons en l'estoire. Sachiez, c'est verité aperte : Maintenant l'a Renart overte, S'a dedenz .I. rasoir trové Qui mout estoit bien afilé, Et .I. cisiax et .I. bacin De laton bon et cler et fin. Maintenant l'a saisi Renart, Et Primaut dist : « Se Diex me gart, Bien vos est, fet il, avenu : Diex vos a hui cest jor veü, Mout fet bien vostre volenté, Car ostiex avon a plenté, Cisiax bien trenchanz et bacin, Et rasoier et bon et fin ; Ne nos faut qu'eve solement. » Et celui qui mout poi entent A chose que Renart li die, Coiz se tient, si ne respont mie. Renart qui mout set de mal art Si regarde de l'autre part, Et a pris garde tot entor, Si a veü desouz la tor Les fonz trestoz sanz coverture, Si s'en torna grant aleüre, Et fet grant senblant d'omelie. Dedenz a le bacin puisie Au plus belement que il pot, Si c'onques Primaut ne le sot. Onques garde ne s'en donna, A lui vint, si l'araisonna. « Compains, dist il, entendez ça, Je cuit que Diex vos aidera. Ce nos est venuz en souait ; Je cuit que granz vertuz i ait. — Renart, par ce pouez savoir Que Diex velt mon servise avoir, Et il l'avra sanz plus d'afere. Venez moi tost coronne fere. — Par foi, dist Renart, volentiers, Je voi bien qu'il en est mestiers. » Lors s'est Primaut a terre asis, Et Renart l'a entre mains pris, L'eve sor la teste li rue. Cil ne dist mot ne se remue, Ainz se tient tot qoi et en pes, Et dant Renart si l'avoit res Que il n'i donoit pas .II. billes. Coronne fet jusque as orilles, Et quant l'ot fete, si li dist : « Primaut, fet il, se Diex m'aït, Tu me doiz savoir mout bon gré De ce que je t'ai coronné. — Si faz je, a la foi que doi. Ai je coronne ? — Oïl, par foi, Se ne m'en creez, tastez i. — Mout volentiers, par saint Remi. » Fet Primaut, trestot souavet Tot maintenant la main i met. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire