en route avec grande joie.  Ils suivent le bon chemin  jusqu'à ce qu'ils arrivent à l'église,  dont le chapelain est le prêtre  qui a laissé tomber la boîte de ses mains.  Quand Primaut la voit, il est tout joyeux.  Avec leurs mains et leurs pieds, ils font un trou  dans le sol sous un escalier,  et entrent aussitôt à l'intérieur.  Ils y trouvent une grande quantité  d'hosties bien enveloppées  dans une serviette blanche.  Primaut qui bâille fortement  à cause de la faim qui le torture,  saisit la serviette, l'approche de lui,  puis les avale plus vite  qu'on ait le temps de retourner ses mains.  Il a complètement vidé la boîte.  « Renart, fait-il, vous avez bien œuvré  car vous avez fait mes volontés,  pourtant ce repas me chagrine beaucoup,  car plus je mange,  plus j'ai encore grand faim, vraiment !  Mais je vois une huche là-bas,  j'espère qu'il y a dedans quelque chose  qui soit bon à manger.  Allons mettre cette huche en pièces,  nous saurons ainsi ce qu'il y a dedans.  Ça serait habile, par mes dents.  — Allons-y, fait Renart, par Dieu,  il n'y a pas à tarder plus ici,  je vous l'accorde bien volontiers. »  Ils s'en vont alors aussitôt,  et arrivent à la huche.  Primaut qui est plus habile,  prend la huche, et après quelques efforts,  brise le moraillon.  Ils ouvrent la huche complètement;  les prêtres ont caché dedans  du pain, du vin, de la viande et du poisson.  Renart dit à Primaut : « Nous avons à présent  beaucoup à manger, Dieu merci !  Étendez donc ici, la nappe,  que vous voyez sur cet autel,  apportez aussi du sel,  puis nous mangerons de cette viande.  Il ne s'est pas moqué, celui  qui l'a cachée ici.  Mangeons maintenant, puisque Dieu nous a  tout livré, voilà qui est parfait. »  Primaut extrait de la huche,  le pain, le vin et la viande,  et tous deux s'assoient par terre.  Puis ils mangent ensemble  le pain, le vin et la viande, il me semble,  en très grande quantité.  S'ils étaient dans leur maison,  ils n'auraient pas de plus grande joie.  Renart dit tout bas pour que l'autre ne l'entende pas :  « Primaut, vous êtes très content maintenant,  mais si Dieu a pitié de moi,  je vais user de ma ruse avec application.  Primaut, fait-il, il me plaît beaucoup  que vous soyez si bien traité.  Versez du vin, puis buvez,  et n'ayez peur de personne,  il ne vous arrive que du bien aujourd'hui. »  Primaut répond : « Sachez sans mentir,  que nous en boirons à loisir,  car nous en aurions suffisamment, je crois,  si nous étions trois de plus,  pour boire à foison. »  Ils boivent à volonté si bien  que le cerveau de Primaut commence à bouillir.  Renart, qui s'en est très bien aperçu,  lui dit : « Compagnon, rien ne se passe  quand on ne boit pas assez de vin,  buvez en donc, seigneur Primaut,  et soyez joyeux et plein d'entrain.  — C'est ce que je fais, dit-il, par ma foi,  et vous, Renart, servez-vous et buvez !  — C'est ce que je fais, dit Renart, et beaucoup.  Mais vous, très cher ami, buvez,  car je vous vois boire très lentement.  Buvez un peu plus fermement,  je vous vois fatigué de boire. »  Primaut dit : « Je bois plus que vous.  — Mais non, dit Renart, par ma foi,  j'en ai bu bien plus que vous,  pour une quantité qui vaut le montant d'un fer d'âne.  De plus je tiens le ciboire, alors je vous dis : échec !  — Compagnon, je relève le défi !  — Certainement, dit Renart, j'accepte,  nous verrons à présent qui s'avoue vaincu,  et qui boira plus vite  le vin, et videra le ciboire.  — Renart, fait-il, vous pensez  me mater avec du vin, mais vous n'y arriverez pas.  Voyons à présent comment vous buvez.  Videz le ciboire que vous tenez,  puis remplissez le, et donnez le moi,  jamais je m'en irai d'ici en perdant contre vous. »  Renart fait semblant de boire,  il jette tout le vin dans sa poche.  L'autre, qui n'a plus l'esprit clair,  ne s'aperçoit de rien du tout.  Renart remplit le ciboire, et l'autre le boit  avec beaucoup de joie et d'entrain.  Ses yeux luisent sur sa tête  comme du charbon ardent.  Il s'imagine être Noble le lion,  et que Renart fait parti de sa suite.  Renart lui fait bonne et joyeuse figure,  et lui redonne souvent à boire;  le contenu d'un tonneau ne serait rien à côté,  car Primaut boit fermement.  Alors, Renart continue de le ravitailler  comme si c'était un jour de fête.  Le vin monte à la tête  de Primaut, tellement il en boit.  « Renart, fait-il, avez-vous vu  que Dieu nous a amené ici ?  Nous avons été très bien servi  à souper, par la grâce de Dieu.  Si nous étions maires ou pairs,  nous ne pourrions pas l'être mieux.  Maintenant, je vous dis, sur mes yeux,  que je veux aller directement  à cet autel chanter la messe.  D'ailleurs, je vois dessus, tout prêt,  la chasuble et le missel.  Ils ont été mis là pour ça sans aucun doute,  ça me rappelle mon enfance  quand j'ai appris à chanter et à lire.  Vous allez maintenant m'entendre dire le meilleur. » |        2620        2624        2628        2632        2636        2640        2644        2648        2652        2656        2660        2664        2668        2672        2676        2680        2684        2688        2692        2696        2700        2704        2708        2712        2716        2720        2724        2728        2732        2736        2740        2744        2748        2752     |        Renart et Primaut a grant joie.  Bien ont le droit chemin tenu  Tant qu'il sont au mostier venu,  Dont li prestre fu chapelains,  Dont la boiste chaï des mains ;  Quant Primaut le vit, si fu liez.  Souz le soil as mains et as piez  Font fosse desoz .I. degré,  Tot maintenant sont enz entré.  A grant plenté i ont trovees  Oublees bien envelopees  Dedenz une blanche touaille.  Primaut qui durement baaille  Por la fain qui si le destraint,  La touaille prant, ses ataint,  Si les ot plus tost desnoees  Que l'en eüst ses mains tornees ;  La boiste en a bien delivré.  « Renart, fet il, bien as ouvré  Que tu m'as ma volenté fete,  Mes cist mengiers mout me deshaite,  Car quant je plus en mengeroie,  Et ge voir grenor fain aroie.  Mes je voi une huche la,  Espoir aucune chose i a  Qui bone seroit a mengier.  Alons la huche despecier,  Si saron que il a dedenz.  Ce seroit savoir, par mes denz.  — Alons, fet Renart, de par Dé,  Et si n'i ait plus demoré  Que je l'otroi bien et greant. »  Et lors en vont tot maintenant,  Si sont a la huche venu.  Primaut qui plus vezïez fu,  Prist la huche a quelque painne,  En a brisiee la moraine.  La huche ovrirent mout trestost,  Dedenz ot li prestres repost  Pain et vin et char et poisson.  « Renart, dist Primaut, or avon  Assez a mengier, Dieu merci.  Or estent la touaille ci  Que tu voiz desus cel autel,  Et si aporte ça del sel,  Si mengeron de ceste char.  Ne tieng pas celui a eschar  Qui ici mucie l'avoit.  Or menjons, que Diex nos avoit  Tout estrïé, ce est bien fet. »  Primaut a de la huche tret  Le pain, le vin et la char terre,  Et andui s'asient a terre,  Si ont andui mengié ensemble  Pain et vin et char, ce me semble,  A grant plenté et a foison.  Se il fussent en lor meson,  N'eüssent il pas grenor joie.  Renart dist souef qu'en ne l'oie :  « Primaut, mout es ore haitiez.  Mes se Diex ait de moi pitiez,  Ge metré engin et entente.  Primaut, fet il, mout m'atalente  Que si bien estes conreez.  Versez du vin et si bevez,  Et n'aiez peor de nului,  Mout vos est bien avenu hui. »  Dist Primaut : « Sachiez sanz mentir,  Assez en bevrons par loisir,  Que assez en avon, ce croi,  Se estion encore troi,  A grant foison et a plenté. »  Tant burent a lor volenté  Qu'a Primaut le cervel bolut.  Renart qui mout bien l'aparçut  Li dist : « Compains, riens ne feson  Quant du vin assez ne bevon,  Car en bevez, sire Primaut,  Et si soiez joiant et baut.  — Si faz ge, dist il, par ma foi,  Et tu, Renart, verse, si boi.  — Si faz ge, dist Renart, assez.  Mes vos, biau doz amis, bevez,  Que trop vos voi de boire lent.  Bevez .I. poi plus durement,  De boire vos voi recreü. »  Dist Primaut : « Je boif plus que tu.  — Non fez, dist Renart, par ma foi,  J'en ai bien beü plus que toi  Qui vaut la monte d'un fer d'asne.  Mes tien le henap, si di : “have”.  — Compaingnon, je te di : “guersai”.  — Par foi, dist Renart, je l'otrai.  Or verron qui ert recreüz,  Et par qui ert plus tost beüz  Le vin et le henap vuidiez.  — Renart, fait il, vos me cuidiez  De vin mater, mes non ferez.  Or verrai conment vos bevrez.  Vidiez le henap que tenez,  Puis l'emplez, si le me rendez,  Ja n'en iré a vos faillant. »  Renart fet de boire semblant,  Tout le vin giete en son sain.  Cil qui n'a pas le cervel plain,  De rien nule ne s'aparçoit.  Renart le remple, et cil boit  A mout grant joie et a grant feste.  Li oil li luisent en la teste  Autresi com .I. vif charbon.  Noble cuide estre le lion,  Et Renart soit de sa mesnie.  Renart fet bele chiere et lie,  Et sovent a boivre li donne,  Por noient fust delez la tonne ;  Et Primaut bevoit durement.  Renart si li forre souvent  Autresi con s'il fust a feste.  Le vin est montez en la teste  A Primaut, tant en a beü.  « Renart, fet il, avez veü  Que Diex nos a amené ci,  Mout avon esté bien servi,  La merci Dieu, a cest souper.  Se nos fusons maior ou per,  Ne peüssons pas estre miex.  Or vos di ge bien par mes iex  Que je voil orendroit aler  A cest autel messe chanter,  Et je voi tot prest sor l'autel  Le vestement et le mesel.  Por ce i furent mis sanz doutance,  Et je me recort de m'enfance,  Apris a chanter et a lire,  Ja m'en orrez del plus bel dire. » |      
      
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