je vais vous raconter celle d'un prêtre qui passe à travers une plaine. Il porte une boîte sur sa poitrine, qui est toute pleine d'hosties. Le prêtre franchit à grand-peine une haie qu'il doit passer. Alors qu'il avançait, la boîte tombe sans qu'il s'en aperçoive. Renart, qui court de ce côté, trouve la boîte et la prend. Il la met rapidement dans sa poche, il ne fait aucun bruit à aucun moment, et s'enfuit à travers champs jusqu'à ce qu'il soit bien loin du chemin. Alors, Renart dit : « Que Dieu me comprenne, je vais regarder maintenant ce qu'il y a là-dedans. » Il ouvre la boîte, et il y trouve une bonne centaine d'hosties, voire plus. Alors, il les mange sans se retenir, toutes, sauf quatre qu'il emporte. Il s'amuse tout en marchant, et tient dans sa bouche les hosties qui sont pliées en deux. Puis il monte sur une grande colline, et regarde loin devant; il voit Primaut le loup, le frère d'Ysengrin, qui arrive le long d'un chemin en s'efforçant d'aller vite. Au moment où l'autre voit Renart, il le salue : « Seigneur Renart, soyez bien venu. — Primaut, que Dieu vous bénisse, répond Renart, et ayez une bonne journée. — D'où venez-vous si réjoui ? Où allez-vous ? — Je m'en vais chanter dans une église au delà de ce bois, je suis sur le chemin qui y mène. — Mais qu'est-ce que vous portez ? — Ma foi, lui dit Renart, des gâteaux d'église, très bons et très beaux. — Des gâteaux ! fait Primaut, par saint Gilles, où les avez-vous pris, cher seigneur ? — Où ? ma foi, là où ils étaient, ils n'attendaient nul autre que moi. — Donnez les moi, très cher ami. — Certainement, seigneur, très volontiers, fait Renart qui n'était pas ivre, ils valent cinq cents livres. » Alors, Renart lui donne les hosties de bonne grâce. Elles font beaucoup de bien à Primaut : « Renart, fait-il, que Dieu te protège, où les as-tu prises ? En as-tu encore ? — Non, répond Renart, mais je les ai prises dans une église près d'ici. — Elles sont vraiment très bonnes à manger, fait Primaut, si j'en avais plus, je les mangerais volontiers. Car, par la foi que je dois à l'âme de mon père, je ressens une faim si cruelle qu'elle me torture, par saint Germain, je n'ai mangé aujourd'hui ni viande, ni pain, ni poisson, ni aucune autre nourriture, j'ai peur que mon cœur ne lâche. — Tout cela n'a plus d'importance, dit Renart, viens, nous irons dans une église où il y en a encore beaucoup. Tu en auras jusqu'à ce que tu sois guéri de la faim qui te tiraille si méchamment, par saint Romacle. Tu auras cette nourriture aujourd'hui même, tu en prendras à volonté. — Renart, fait-il, vous m'avez sauvé, au nom de Dieu, si vous pouvez tant faire que je puisse remplir mon ventre, alors, je vous en récompenserai d'autant d'or que vous aurez besoin. — Sur ma tête, vous en aurez, répond Renart, si vous voulez me croire, et tout cela sous le nez du prêtre. L'église est très près d'ici, partez devant, je vous suivrai. » | 2540 2544 2548 2552 2556 2560 2564 2568 2572 2576 2580 2584 2588 2592 2596 2600 2604 2608 2612 2616 | Si vos conteron d'un provoire Qui passoit au travers d'un plain. Une boiste porte en son sain Qui toute estoit d'oublees plainne. Li prestres passoit a grant painne Une soif que a passer ot. La boiste, si con il alot, Li chaï qu'il ne s'en perçut. Renart qui cele part corut Trova la boiste, si la prent, En son sain la mist vistement. Onques n'en fist noise ne bruit, Toz en travers les chans s'en fuit Tant qu'il fu bien loing de la voie. Lors dist Renart : « Se Diex me voie, Le verré ja que ici a. » La boiste ovri, si i trouva Mout bien .C. oublees ou plus, Et il les menja sanz refus Toutes fors .IIII. qu'il enporte. En tost aler mout se deporte. En sa bouche tient les oublees Qui furent en .II. ploiz doublees. A tant s'en monte .I. tertre haut, Garda avant, si vit Primaut Le leu qui fu frere Ysengrin, Qui s'en venoit tot .I. chemin Et de tost aler s'esvertue. Ou voit Renart, si le salue : « Sire Renart, bien veniez vos. — Primaut, Diex beneïe vos, Fet Renart, et bon jor aiez. — Dont venez vos si eslessiez ? Ou alez ? — Por chanter m'en vois A .I. moustier outre cel bois, Por aler i sui aroutez. — Mes que est ce que vos portez ? — Par foi, ce dist Renart, gastiax De mostier mout bons et mout biax. — Gastiax ! fet Primaut, por saint Gile, Ou les preïstes vos, biax sire ? — Ou ? par foi, la ou il estoient, Nul autre fors moi n'atendoient. — Donnez les moi, biax amis chiers. — Par foi, sire, mout volentiers, Fet Renart qui ne fu pas yvres, S'eles valoient .VC. livres. » A tant li a Renart donnees A bele chiere les oublees. Mout furent bones a Primaut : « Renart, fait il, se Diex te saut, Ou les preïs en as tu mes ? — Nenil, fet Renart, mes ci pres Les pris ge dedenz .I. moustier. — Mout par sont bones a mengier, Fet Primaut, se plus en avoie, Mout volentiers en mengeroie, Foi que doi a l'ame mon pere, Que je sent la fain trop amere Qui me destraint : par saint Germain, Ne menjai hui ne char ne pain, Ne poisson ne autre vitaille ; Peor ai le cuer ne me faille. — Tout ce, dist Renart, n'a mestier. Vien, si iron a .I. moustier Ou il en a encor assez, Tant que tu soies respassez De la fain qui si mal te trace, Tu en avras, par saint Romacle. Tele viande huimés avras, A ta volenté en prendras. — Renart, fet il, gari m'avez, Por Dieu, se tant fere pouez Que je peusse ma pance emplir, Encor le vos porré merir Tele ore que besoing avroiz. — Par mon chief, et vos en avroiz, Fet Renart, se me volez croire, Tout mau gré le nes au provoire. Le moustier si est ici pres, Alez avant, g'irai aprés. » |
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