lundi 12 avril 2010

La queue de Tibert - Renart attaqué par les chiens




Sur ce, ils sortent par la porte
A


tant s'en issirent de l'uis
tout doucement, passent par un trou,
et partent en courant en direction des chapons.
Comme ils n'y vont pas en traînant,
ils arrivent vite au poulailler.
Tibert, qui a réfléchi,
adresse alors la parole à Renart :
« Renart, fait-il, très cher ami,
les chapons sont ici dedans,
mais si vous me croyez, par mes dents,
vous ne toucherez pas aux poules.
Au contraire, je vais vous dire comment vous ferez :
vous prendrez le coq avant tout,
qui a le corps gros et gras,
et vous laisserez les poules tranquilles,
car elles ont l'échine fort maigre.
Elles sont chétives, dégarnies de leur plumes,
dures, vieilles et toute crottées.
Le coq est si jeune et tendre,
et les autres sont tellement plus petites,
qu'il vous ferait aussitôt obstacle
quand vous entreriez dans le poulailler,
si vous touchiez les poules,
ou si vous les saisissiez,
il crierait aussitôt tellement fort
qu'il réveillerait Gombaut;
et celui-ci vous le ferait bien payer
s'il pouvait vous attraper;
vous y laisseriez la peau, pour sûr. »
Renart pense qu'il dit vrai,
mais en fait, l'autre est en train de le berner.
Alors, Renart prend beaucoup de précaution
et s'en va tout droit vers Chantecler,
qui tient son bec entre ses plumes;
il est sur la droite, à côté de Pinte.
Renart le prend par la tête,
et quand il le tient, il s'en fait une grande joie.
Tibert, qui est aux aguets
et qui désire tellement le tromper,
se met à faire un signe de la main,
puis il lui dit : « Le tiens-tu bien ?
Attention qu'il ne s'échappe en aucun cas !
Le tiens-tu vraiment bien ? Dis moi. »
Alors Renart répond : « Oui, par ma foi,
je le tiens par le cou et par la cuisse,
il ne m'échappera pas autant que je puisse. »
Alors qu'il ouvre la gueule,
lui qui d'habitude roule tout le monde,
le coq sent la bouche se relâcher,
il bat des ailes et se tire de là.
Puis il se met à chanter si fort,
que le paysan, sire Gombaut,
qui dormait, se réveille.
Il dresse la tête, prête l'oreille,
il entend seigneur Renart
qui est dans le poulailler,
et s'imagine qu'il est en train de tout piller.
Il saute de son lit tout agité,
il appelle ses chiens et sa maisonnée,
il prend une brassée de fourrage
et la jette dans le foyer.
Le feu s'allume aussitôt
si bien qu'il peut voir dans la maison.
Il s'en va tout droit au poulailler,
et emmène ses chiens avec lui.
Il ouvre la porte avec une certaine peine,
et quand Tibert l'entend,
il s'échappe tout doucement,
puis s'en va en fuyant, le cou tendu.
Quant à Renart, il reste pris au piège,
et s'emploie très fort à déguerpir,
il ne souhaite ni rester ni séjourner ici,
et se met en fuite à grands sauts.
Le paysan lance ses chiens après lui
en criant. Aussitôt qu'ils l'ont vu
et qu'ils l'ont bien repéré,
il se mettent à sa poursuite.
Renart profère de rudes menaces envers
Tibert; s'il peut le rejoindre,
il le fera gémir et crier,
lui qui a provoqué tout ça,
et qui l'a pris pour un imbécile.
Le paysan le suit en criant
et Tibert le chat s'en va en riant,
il s'en fait une grande joie, il est très content
car il s'est bien vengé de Renart,
qui l'a privé de sa queue par tromperie.
Il arrive tout droit sur le pieu cassé,
puis saute hors de l'enclos.
Il ne s'inquiète pas, puisqu'il n'est pas pris,
et qu'il a bien eu Renart maintenant,
mieux qu'il ne pourra jamais le posséder.
Mais Renart le suit de plus près
qu'il ne le pensait, avec les chiens à sa suite.
Il arrive au trou qui donne sur le passage
par où il était entré;
et pense pouvoir s'élancer à travers.
Mais les chiens prennent les devants
et s'agrippent à sa fourrure;
ça lui vaut une bonne frayeur.
Ils le font tomber sous leurs pattes,
ils le piétinent et le battent fort,
ils le maltraitent très méchamment.
Renart le supporte bravement,
il voit bien qu'il ne peut pas faire autre chose,
car il ne peut ni s'échapper, ni même essayer,
vu comme les chiens se mettent à le tirer.
Renart, qui se met à souffler fortement,
en saisit un par les narines,
avec ses dents qu'il a fortes et fines,
et il le fait crier puis hurler.
Quand le chien voit qu'il ne peut plus rien faire,
il saute de côté et secoue la tête.
Renart, qui est une sale bête,
lui a coupé la narine,
et l'emporte entre ses dents.
Il va vers le trou et s'enfuit à travers,
ils ne l'attraperont pas encore aujourd'hui, je pense.
Renart s'enfuit à grande vitesse,
autant qu'il peut éperonner,
et que ses pattes peuvent l'emmener.
Il pense trouver seigneur Tibert
mais il ne l'aperçoit pas.
Sachez qu'il l'aurait fort maltraité
si Tibert l'avait attendu.
Il lui aurait fait payer très cher
l'attaque que les chiens lui ont faite.
Il s'en va en fuyant à travers les labours,
car il a grand-peur des mâtins,
il n'attend ni camarade ni compagnon.
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Tot belement par .I. pertuis,
Droit as chapons en vont corant
Que il ne se vont delaiant.
Il sont au gelinier venu.
Tybert qui porpensé se fu,
Si a Renart a raison mis :
« Renart, fet il, biax douz amis,
Li chapon sont ici dedenz.
Mes se me creez par mes denz,
As gelines ne toucherez.
Ainz vos diré conment ferez :
Vos prendrez le coc tot avant
Qui a le cors et gras et grant,
Et lessiez ester les gelines
Que trop ont megres les eschines.
Mergres sont et entrepelees,
Dures et vielles et crotees.
Le coc si est jones et tendres,
Et si est des autres mout mendres,
Et si i metroit ja dangier
Quant vos vendrez au gelinier.
Se les gelines pernïez
Et se vos les sesisïez,
Il s'escrieroit ja si haut
Que il esveilleroit Gombaut,
Si vos feroit trop acheter,
Se il vos pouoit atraper ;
La pel i lairïez por voir. »
Renart quide qu'il die voir,
Mes non fet, ançois le gaboit.
Lors sot Renart trop pou d'aguet,
A Chantecler tot droit s'en vet
Qui son bec en sa plume tient.
Delez Pintain estoit a destre.
Renart le prent par mi la teste,
Quant il le tient, grant joie fet.
Tybert qui estoit en aguet,
Qui mout le bee a engingnier,
De la main se prant a seignier,
Si li a dit : « Tien le tu bien ?
Garde ne t'eschape por rien.
Ne le tiens tu bien ? di le moi. »
Et dist Renart : « Ouil, par foi,
Je le tieng par col et par cuisse,
Ne m'eschapera que je puisse. »
Si con Renart ovri la goule,
Celui qui tot le monde boule,
Le coc li sent lascher la bouche,
Bat ses eles et si s'en touche.
Si conmence a chanter si haut
Que li vilain sire Gombaut
Qui se dormoit si s'esveilla.
Drece la teste, s'oreilla,
Si a oï dant Renardier
Qui ja estoit a gelinier,
Si cuida estre toz robez.
De son lit saut toz esfreez,
Ses chiens apele et sa mesnie,
Du fuerre prent une bracie,
Et si l'a el fouier jeté.
Le feu est tantost alumé
Si que par mi la meson voit.
Au gelinier en va tot droit,
Et avec lui ses chiens enmainne.
L'uis a overt a quelque painne,
Et quant Tybert l'a entendu,
Fuiant s'en va col estendu,
Et tot coiement s'en eschape.
Et Renart remest en la trape,
Qui mout fort a fouir s'atorne,
Si ne remaint ne ne sejorne,
Les grans sauz se met a la fuie,
Et li vilain aprés lui huie
Ses chiens, si tost con l'ot veü,
Et quant il l'ont aparceü,
Aprés se mistrent en la trace.
Et Renart durement menace
Tybert se il le puet ataindre,
Il le fera crïer et geindre,
Qui tout ce li a esmeü,
Et que por fol l'a il tenu ;
Et li vilains le va huiant.
Tybert le chat s'en va riant,
Grant joie fet et mout est liez,
Que de Renart s'est bien vengiez
Qui par barat l'ot escoué,
Et vint tot droit au pel froé,
Si est sailliz hors del porpris.
Ne li chaut, puis que il n'est pris,
Que a Renart huimés aviengne,
Au miex que il porra se tiengne.
Mes Renart le sieut plus de pres
Qu'il ne cuide, et li chien aprés.
Vint au pertuis et au destroit
Par la ou il entrez estoit,
Si se cuide par mi lancier.
Li chien pristrent a avancier,
Si l'aerdent au peliçon,
Bien li valut une friçon.
Desoz lor piez l'ont abatu,
Mout l'ont defoulé et batu,
Mout l'ont atorné malement.
Renart l'endure bonnement,
Bien voit n'en pot fere autre chose,
Car si ne pot ne fouir n'ose,
Si con li chien le vont tirant.
Renart qui mout va soupirant,
En aert .I. par les narines
As dens qu'il a et fors et fines,
Et si le fet crïer et braire.
Quant li chien voit n'en puet plus faire,
Saut en travers, s'escost la teste.
Et Renart qui fu pute beste,
Li a la narille coupee,
Entre ses denz l'en a portee,
Vint au pertuis, par mi s'en fuit.
Nel bailleront huimés, ce cuit.
Fuit s'en Renart de grant randon
Tant con il puet a esperon,
Tant con piez le porent porter,
Que dant Tybert cuida trover,
Mes il ne l'a mie trové.
Sachiez que mout li a grevé ;
Se Tybert l'eüst atendu,
Il li eüst mout chier vendu
L'estrif que li chien li ont fet.
Fuiant s'en vet tot .I. garet,
Que grant peor ot des gaingnons,
N'i atent per ne compaingnons.
Comment Renart coupa la queue de Tibert Si conme Renart coupa a Tybert la queue (6)
Notes de traduction (afficher)

2 commentaires:

  1. 2424: "vieIlles" (il manque le "i")

    2441: "côté"

    2459: "Gombaut" et pas "Combaut"

    2481: "qu'ilS l'ont vu"

    2503: "pouvoir" et pas "pourvoir"

    2504: supprimer la virgule après "Mais"

    2507: "leurS pattes"

    2519: "côté"

    2535: "mâtins" (accent)

    Merci !
    JA

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  2. C'est corrigé. Merci d'avoir signalé les fautes.

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