à qui Mouflard a collé une telle honte, et parlons plutôt de ce qui arrive à Renart, qui s'en va à travers les sentiers. Certes, il prendrait très volontiers quelque chose à manger, s'il pouvait la dérober. Il marche en fouillant péniblement, mais il ne trouve rien, et ça le met fortement en colère. Il se dirige sur un chemin tout droit en direction de la foire. Il ne sait quoi dire ni que faire. Puis il se dit qu'il va attendre, pour voir s'il viendra quelqu'un dont il pourrait avoir à manger, car il en a grand besoin. Il est aux aguets de tous les côtés, et après avoir beaucoup cherché, il voit par hasard des charretiers qui arrivent à grande allure. Ils sont chargés de poissons qu'ils emmènent à la foire, notamment des harengs et des plies. Renart n'est pas effrayé du tout quand il les voit venir. Il ne cherche pas à fuir du chemin, il réfléchit plutôt comment il pourra en avoir, sans que les marchands ne le sachent. Il se cache alors dans les sureaux afin de ne pas être vu. Puis il se met en travers du chemin et se couche sur le dos. Il montre les dents en grimaçant pour tromper les gens plus vite. Il retrousse aussi la lèvre inférieure, ferme les yeux et tire la langue. Il s'est vautré dans la glaise jusqu'à ce qu'il soit tout sale. Il fait le mort à merveille. Les autres arrivent dans un grand élan avec leur chargement de poissons à vendre. Ils regardent devant eux, puis voient Renart le nain, complètement étendu. Celui qui l'a vu le premier dit : « Holà ! fait-il, regardez Renart là-bas. Je crois qu'il nous acquittera de nos frais avec sa peau aujourd'hui. Elle sera bonne à mettre en surcot. Je vous en donnerai volontiers trois ou quatre sous en deniers. — Ma foi, dit l'autre, c'est vrai. Je crois que ça serait raisonnable. Regardez comme il a une petite gorge blanche. Mettez le donc dans la charrette puisqu'elle n'est pas trop chargée, elle supportera très bien le poids — Ma foi, compagnon, vous l'avez dit. Je le charge maintenant. Que Dieu vous entende ! Nous ôterons la peau après avec la pointe de mon couteau quand nous serons arrivés. Alors, le charretier le charge, le recouvre d'une banne, et ils se remettent aussitôt en route. » Il y a un panier où il y a bien deux milliers de harengs frais, quelle chance ! Il en mange une douzaine jusqu'à ce qu'il ait le ventre tout plein. Il n'y a aucun marchand ni aucun paysan qui s'en soit aperçu. Quand Renart a bien repris ses forces, il se met à réfléchir comment il pourra s'échapper. Mais avant de le faire, il imagine aussi comment il va se venger de Primaut qui l'a trompé. Il empoigne un hareng frais qu'il va emporter, se dit-il. Il n'attend pas un moment de plus, et fait un saut à pieds joints. Il dit aux charretiers : « Que Dieu vous protège ! Je ne fais que passer mon chemin aujourd'hui, car j'ai trouvé ce que je cherchais. J'étais malmené par la faim, mais je me suis bien régalé de vos harengs, quel beau cadeau ! J'en ai mangé une douzaine, j'ai vu qu'ils sont de grande qualité, ils valent bien ce qu'ils m'ont coûté. Je vous laisse tout le reste, puis je m'en vais, je vous recommanderai à Dieu qui m'a conduit à cet endroit. J'emporte seulement un hareng, ni plus ni moins, sachez le bien. » Alors, Renart s'en va d'un élan, il n'a plus besoin de leur compagnie. Et ceux qui croyaient avoir gagné leur part, quand ils entendent ça, sont éperdus et ébahis. Il voient bien qu'ils ont été trompés, et quand ils s'en rendent compte ils se mettent ensemble à le huer. Mais l'autre part en fuyant, et ne se soucie guère de leurs propos. Il s'en va au trot ou à l'amble, par monts et par vaux, puis à travers bois et plaines, jusqu'à ce qu'il arrive au lieu où il a laissé Primaut le loup. | 3464 3468 3472 3476 3480 3484 3488 3492 3496 3500 3504 3508 3512 3516 3520 3524 3528 3532 3536 3540 3544 3548 3552 3556 3560 3564 3568 3572 | A qui Moflart a fet tel honte, Si vos diron de l'autre part La contenance de Renart Qui s'en va par mi ces sentiers. Certes mout preïst volentiers Chose que il peüst mengier, S'il la pouist escobichier, Et si aloit fort coloiant. Mes il n'i a trouvé noient, Si en est forment corociez. Par .I. sentier s'est adreciez Tout droit au chemin de la foire Ne set que dire ne que fere. Illeques, ce dist, atendra Savoir se aucun hons vendra Dont peüst avoir a mengier, Car il en aroit grant mestier. De toutes parz va agaitant, Et quant il ot agaitié tant, Vit charretiers par aventure Qui venoient grant aleüre. De poisson chargies estoient Que il a la foire menoient, Si conme harenz et plaïz. Renart ne fu pas esbahiz, Certes, quant il les voit venir. Du chemin ne se volt foïr, Ainz se porpense qu'il avra. Ja li marcheant nel savra. Lors se muce par ces seüz, Qu'il ne volt pas estre veüz. El chemin se met de travers, Si s'estoit couchiez a envers, Et prant les dens a rechinier Por plus tost la gent enginier. Si a son balevre retret, Les eulz clot et la lange tret, En l'ardille s'est tooilliez Tant que il estoit toz soilliez. A merveille resemble mort, Et cil viennent a grant esfort Qui le poisson vendre menoient. Devant eus gardent et si voient Renart le nain tout estendu, Et cil qui primes l'a veü : « Esta, fet il, Renart voi ça. Je cuit qu'il nos aquitera Sa pel enquenuit nostre escot. Ele est bone a metre en sorcot, Si vos en donré volentiers .III. sols ou .IIII. de deniers. — Par foi, dist l'autre, ce est voir. Je cuit que ce sera savoir. Vez con a blanche la gorgete, Or le metez en la charrete, Car ele n'est pas trop chargie, Mout bien souferra la hachie. — Par foi, compains, bien avez dit. Or le charge, se Diex t'aït, Nos osterons sempres la pel A la pointe de mon coutel, Quant nos seromes herbergié. » Et li charretier l'a chargié, Si l'a covert d'une banastre, Et tantost se mist a la frape. Et si i avoit .I. panier Ou il avoit bien .II. millier De harens fres : a bone estraine Mengié en a une dozaine Tant que tot ot le ventre plain. N'i a marcheant ne vilain Qui s'en soit point aparceüz. Et quant Renart fu bien peüz, Si se conmence a porpenser Conment il porra eschaper. Mes ainz se pense qu'il fera Et conment il se vengera De Primaut qui l'ot enginié. .I. harenc fres a empoingnié Que il en portera, ce dit. Lors n'i atent plus de respit, Il joint les piez et fet .I. saut, Au charretier dist : « Diex te saut ! Bien puis huimés tenir ma voie, Que j'é fet ce que je queroie. De fain estoie sormenez, Et bien me sui desjeünez De voz harenz a bone estraine, Mengié en ai une douzaine, Bien sai qu'il sont de grant bonté, Bien valent ce qu'il m'ont costé. Je vos lez tot le remanant, Si m'en vois, a Dieu vos conmant Qui m'a arrivé a cest port. .I. harenc solement enport, Ne plus ne mains, bien le sachiez. » Lors s'en va Renart eslessiez, N'a plus cure de leur acost. Et cil qui avoir leur escot Cuiderent, quant ce ont oï, Esperdu sont et esbahi. Bien voient que sont deceü, Et quant se sont aparceü, Tuit ensemble le vont huiant. Et celui qui s'en va fuiant, N'avoit de lor parole cure, Vet s'en le trot et l'ambleüre Par valees et par montaingnes Et puis par bois et puis par plaingnes, Tant que il est venuz au leu Ou il lessa Primaut le leu. |
Je n'aime pas roman de renart mais j'apprécie le blog bon courage
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