lundi 26 octobre 2009

Chantecler le coq - La délivrance de Chantecler




N'est point sage qui ne s'est jamais trompé.
N


'est si sage qui ne foloit.
Renart, qui trompe tout le monde,
le sera lui-même cette fois ci.
Il se met donc à crier d'une voix forte :
« Malgré vous ! lance-t-il à Constant,
j'emporte ma part avec celui-ci,
et c'est bien malgré vous qu'il est enlevé. »
Le coq, qui est comme mort,
lorsqu'il sent les mâchoires se relâcher,
bat des ailes et se tire de là.
Il arrive en volant sur un pommier.
Renart, quant à lui, reste à terre,
fâché, marri, et soucieux,
à cause du coq qui lui a échappé.
Chantecler éclate de rire :
« Renart, fait-il, quel est votre avis sur
tout cela ? qu'en pensez-vous ? »
Le gourmand frémit, tremble,
puis lui répond avec méchanceté :
« Maudit soit la bouche, dit-il,
de celui qui s'occupe à faire du bruit
à l'heure où il devrait se taire.
— Et moi je veux, dit Chantecler,
que la goutte crève l'œil
de celui qui se met à s'endormir
alors qu'il doit rester éveillé !
Cousin Renart, continue Chantecler,
personne ne doit se fier à vous.
Je vous rends votre cousinage,
car il a failli me causer du tort.
Renart, traître, allez-vous en !
Si vous restez ici plus longtemps,
vous y laisserez votre pelisse. »
Renart n'a aucun intérêt pour ce bavardage.
Il ne veut pas en dire plus, et s'en retourne
plutôt que rester ici davantage.
Affamé, il se met en route.
Renart s'en va à travers la plaine,
puis passe par un chemin.
Il est malheureux et se lamente beaucoup
à cause de ce coq qui lui a échappé,
dont il ne peut plus se rassasier.


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Renart qui tot le mont deçoit,
Ert deceüz a ceste foiz,
Car il cria a haute voiz.
« Mau gré vostre, ce dist Renart,
Empor ge de cestui ma part.
Mau gré vostre en ert il portez. »
Li cos qui ert touz amortez,
Quant il senti lascher la bouche,
Bati ses eles, si s'en touche,
Et vint volant sor le ponmier.
Et Renart fu seur le terrier,
Grains et marriz et trespensez
Du coc qui li est eschapez.
Et Chantecler jeta .I. ris :
« Renart, fet il, que vos est vis
De cest siecle ? que vos en semble ? »
Li lechierres fremist et tremble,
Si li a dit par felonnie :
« La bouche, dist il, soit honnie,
Qui s'entremet de noise fere
A l'eure qu'il se devroit tere. »
Fait Chantecler : « Et je le voil,
La male goute li criet l'ueil
Qui s'entremet de someillier
A l'eure que il doit veillier.
Cosin Renart, dist Chantecler,
Nus ne se doit en vos fïer.
Je vos rent vostre cosinage,
Il me dut torner a donmage.
Renart traïtre, alez vos ent !
Se vos estes ci longuement,
Vos i lerez cele gonnele. »
Renart n'a soing de la favele,
Ne volt plus dire, ainz s'en retorne,
Que illeques plus ne sejorne.
Besoigneus met le plus au mains,
Renart s'en va par mi uns plains.
Renart s'en va toute une sente,
Mout est dolent, mout se demente
Du coc qui li est eschapez,
Que il ne s'en est saoulez.
Comment Renart prit Chantecler le coq Si conme Renart prist Chantecler le coc (5)
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samedi 17 octobre 2009

Chantecler le coq - La poursuite de Renart




La brave dame de la ferme
L


a bone dame del mesnil
ouvre la porte de son jardin,
car le soir arrive, et elle veut
mettre ses poules à l'abri.
Elle appelle Pinte, Bisse et Roussette,
mais elle n'aperçoit ni l'une ni l'autre.
Quand elle voit qu'elles n'arrivent pas,
elle se demande ce qu'elles font,
et elle appelle son coq à en perdre le souffle.
Mais elle voit Renart le maltraiter.
Elle s'avance pour le secourir,
et Renart se met à courir.
Quand elle réalise qu'elle ne le sauvera pas,
elle se demande ce qu'elle peut faire.
« À l'aide ! » s'écrie-t-elle à plein gosier.
Les paysans sont en train de faire une soule,
quand ils entendent ses cris.
Ils arrivent aussitôt à ses côtés,
et lui demandent ce qu'elle a.
Elle leur raconte en soupirant :
« Hélas ! il m'est arrivé un grand malheur.
— Comment ! font-ils, qu'avez-vous ?
— C'est mon coq que ce goupil emporte !
— Sale vieille putain, lui dit Constant !
Qu'avez-vous fait pour ne pas l'attraper ?
— Maître, qu'est-ce que vous dites ?
Par tous les saints, je n'ai pas pu le prendre
car il n'a pas voulu m'attendre.
— Et si vous l'aviez frappé ? — Je n'avais pas de quoi.
— Et avec ce bâton ? — Je n'ai pas pu
car il s'en va à si grand trot
que ni chien ni braque ne l'attraperaient.
— Et par où s'en va-t-il ? — Par ici, tout droit. »
Les paysans courent avec ardeur,
et tous crient : « Par là ! par là ! »
Renart, qui est devant, les entend.
Alors il bondit si haut,
qu'il retombe durement sur le cul.
Mais ils entendent le saut qu'il a fait,
et tous s'écrient : « Par ici ! par ici ! »
Constant leur dit : « Tous après lui ! »,
et les paysans courent d'un seul élan.
Constant appelle son mâtin
que l'on appelle Malvoisin.
Grâce à la course qu'ils ont faite,
ils aperçoivent Renart.
Tous s'écrient : « Regardez le goupil ! »
Renart est maintenant en grand danger,
et le coq aussi s'il ne trouve pas une astuce.
« Comment ! fait-il, seigneur Renart,
n'entendez-vous pas quelles injures ils vous disent,
et tous ces paysans qui crient si fort après vous ?
Constant vous suit de près,
lancez-lui donc une de vos plaisanteries
en sortant, après cette porte.
Quand il dira : “Renart l'emporte !”,
vous pourriez lui répondre : “Malgré vous !”
Vous ne pourrez pas mieux le déconfire. »
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A overt l'uis de son cortil,
Que vespres ert et si voloit
Ses gelines metre en son toit.
Pinte apela, Bisse et Rousete,
Ne l'un ne l'autre ne repere.
Quant voit que venues ne sont,
Mout se merveille qu'eles font.
Son coc rehuche a longe alainne.
Renart voit qui si mal le mainne,
Avant passe por lui rescorre,
Et Renart conmença a corre.
Quant el voit qu'el ne rescorra,
Porpense soi qu'ele fera.
« Harou ! » s'escrie a plainne goule,
Et vilains qui sont en la çoule,
Quant il oent que cele bret,
Tantost se sont cele part tret,
Si li demandent que ele a.
En soupirant lor aconta :
« Lasse, trop m'est mesavenu.
— Conment, font il, c'avez eü ?
— Mon coc que cil gorpil enporte. »
Ce dist Costant : « Pute vielle orde,
C'avez vos fet que nel preïstes ?
— Sire, que est ce que vos dites ?
Par les sains Dieu, je nel poi prandre,
Ne il ne me volt pas atendre.
— Sel ferissiez ! — Je n'oi de quoi.
— De cel baston. — Et je ne poi,
Car il s'en va le grant troton.
Nel prendroient chien ne braon.
— Par ou s'en va ? — Par ci tout droit. »
Li vilain corent a esploit,
Et tuit crient : « Or ça, or ça ! »
Renart l'oï qui devant va.
Quant Renart l'ot, si sailli sus,
Si qu'a terre ne fiert li cus.
Le saut c'a fait ont cil oï,
Tuit s'escrient : « O ci, o ci ! »
Costant lor dist : « Or tost aprés ! »
Les vilains corent a eslés,
Costant apeloit son mastin
Que l'on apeloit Malvoisin.
A corre c'ont fet l'ont veü,
Et Renart ont aparceü.
Tuit s'escrient : « Vez le gorpil ! »
Or est Renart en grant peril,
Et le coc se il ne set d'art.
« Conment, fet il, sire Renart,
N'oez vos quel honte il vos dient,
Cil vilain qui si fort vos huient ?
Costant vos siut plus que le pas,
Car li lanciez .I. de voz gas
A l'issue de cele porte.
Quant il dira : “Renart l'enporte”,
“Mau gré vostre”, ce poez dire.
Nel porrïez miex desconfire. »
Comment Renart prit Chantecler le coq Si conme Renart prist Chantecler le coc (5)
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vendredi 9 octobre 2009

Chantecler le coq - La capture de Chantecler




Chantecler dit : « Renart, mon cousin,
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ist Chantecler : « Renart cosin,
Cherchez-vous à m'attraper par ruse ?
— Certainement pas, lui répond Renart.
Mais chantez donc en fermant les yeux.
Nous sommes d'une même chair et d'un même sang;
j'aimerais mieux perdre une patte plutôt
que de vous faire le moindre mal,
car vous êtes mon très proche parent. »
Chantecler dit : « Je ne vous crois pas.
Éloignez-vous un peu de moi,
et je chanterai une chanson.
Il n'y aura aucun voisin dans les environs
qui n'entendra pas bien ma voix de fausset. »
Cela fait sourire Renardet,
et il dit : « Chantez, cousin,
je saurai bien reconnaître si Chanteclin,
mon oncle, y a été pour quelque chose. »
Alors, Chantecler commence à haute voix,
puis il pousse un cri;
un œil fermé et l'autre ouvert.
Comme il craint beaucoup Renart,
il regarde fréquemment de son côté.
Renart lui dit : « Tout cela est en vain !
Chanteclin chantait autrement,
tout d'un trait, les yeux fermés,
si bien qu'on l'entendait au-delà des enclos. »
Chantecler croit qu'il dit vrai,
alors il recommence sa mélodie,
les yeux fermés, avec une grande ardeur.
Mais Renart ne veut pas attendre davantage :
il saute par-dessus un chou rouge,
il l'attrape par le cou,
et s'en va en fuyant tout content
d'avoir pris sa proie.
Pinte s'aperçoit que Renart l'emporte,
elle est triste, elle se sent abattue.
Elle se met à se lamenter,
à cause de Chantecler qu'elle voit partir.
Puis elle crie : « Seigneur, je vous l'avais bien dit,
mais vous vous êtes toujours moqué de moi,
et vous m'avez prise pour une folle.
Le discours que je vous avais tenu
s'avère juste à présent.
Votre orgueil vous a trahi.
J'ai été stupide de vous avertir
car seul le fou ne redoute rien jusqu'à ce qu'il soit pris.
Renart vous tient et vous emporte.
Pauvre malheureuse que je suis ! Ah, je suis morte !
Car en perdant ainsi mon seigneur,
j'ai perdu mon amour. »


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Volez me prendre par engin ?
— Certes, ce dist Renart, non voil ;
Mes or chantez, si clingniez l'oil,
D'une char somes et d'un sans.
Miex vodroie estre d'un pié manc
Que vos mesface tant ne quant,
Que tu es trop pres mon parent. »
Dist Chantecler : « Pas ne te croi,
.I. poi detrai en sus de moi,
Et je diré une chançon.
N'avra voisin ci environ
Qui bien n'entende mon fausset. »
Lors s'en est souris Renardet,
Et dist Renart : « Chante, cousins.
Je savré bien se Chanteclins,
Mes oncles, s'il vos fu noient. »
Lors en conmence hautement
Chantecler et jete .I. bret.
L'un oil ot clos et l'autre overt,
Car mout forment cremoit Renart ;
Sovent regarde cele part.
Ce dist Renart : « Ce n'est noient.
Chanteclin chantoit autrement
A .I. lonc tret a eulz cligniez
C'on l'ooit d'outre les plessiez. »
Chantecler quide que voir die,
Lors conmence sa melodie,
Les eulz clingne par grant aïr.
Lors ne volt plus Renart soffrir,
Par de desus .I. rouge chol
Le prent Renart par mi le col.
Fuiant s'en va et fet grant joie
De ce qu'il a encontré proie.
Pinte voit que Renart l'enporte,
Dolente est, mout se desconforte.
Mout se conmence a dementer
Por Chantecler qu'en voit porter,
Et dit : « Sire, bien le vos dis,
Et vos me gabïez tout dis,
Et si me tenïez por fole.
Mes ore est voire la parole
Dont je vos avoie garni.
Vostre orgoil si vos a traï.
Fole fui quant le vos apris,
Que fox ne crient tant qu'il soit pris.
Renart vos tient qui vos enporte.
Lasse dolente, con sui morte !
Quant je ainssi pert mon seignor,
Trestoute ai perdue m'amor. »
Comment Renart prit Chantecler le coq Si conme Renart prist Chantecler le coc (5)
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