vendredi 8 janvier 2010

Tibert le chat - La déroute de Renart




Tibert abandonne la discussion
T


ybert a lessié le pledier,
et s'emploie à manger l'andouille.
Quand Renart voit qu'il la mange,
sa vue se trouble quelque peu.
« Renart, fait Tibert, je suis très content
que vous pleuriez pour vos péchés.
Que Dieu, qui reconnaît le repentir,
vous l'attribue comme pénitence. »
Renart lui répond : « C'est bon à présent,
mais tu viendras bien en bas un jour.
Tout du moins quand tu auras soif,
il te faudra passer par moi.
— Vous ne savez pas, lui dit Tibert,
combien Dieu est pour moi un véritable ami.
Il y a un tel creux à côté de moi
qu'il étanchera très bien ma soif.
Il n'y a guère longtemps qu'il a plu,
et il est resté assez d'eau,
plus ou moins un bol,
que je vais considérer comme mien.
— En tous cas, lui dit Renart,
vous viendrez en bas tôt ou tard.
— Ce ne sera pas avant des mois, lui dit Tibert.
— Ça sera pourtant, dit Renart, avant
que sept ans soient passés.
— Et si vous le juriez ? »
Alors Renart dit : « Je promets de faire le siège
jusqu'à ce que je te prenne au piège.
— Vous irez au diable, dit Tibert,
si ce serment n'est pas ferme.
Mais si vous le jurez sur la croix,
il en sera alors mieux affermi.
— Je promets, lui dit Renart,
que je ne bougerai jamais d'ici
jusqu'à ce que le terme arrive.
Voilà, je serai plus crédible ainsi.
— Vous en avez assez fait, répond Tibert,
mais une chose m'attriste,
et j'en éprouve une très grande pitié.
Vous n'avez pas encore mangé
et vous devez jeûner sept ans;
pourrez-vous donc tant endurer ?
Vous ne pouvez pas vous dédire,
il vous faut tenir votre serment,
et la foi que vous avez engagée.
— Ne vous inquiétez pas, lui dit Renart.
— Alors je me tais, dit Tibert,
et je n'en parlerai certes plus.
Je dois me taire, c'est normal,
mais gardez-vous bien de bouger d'ici. »
Tibert se tait, et il mange.
Renart en frémit puis en tremble
de dépit et de pure colère.
Alors qu'il subit ce martyre,
il entend un certain bruit qui l'inquiète.
En effet, un chiot aboie après lui de loin
car il a senti sa trace.
Il convient à présent de déguerpir la place
s'il ne veut pas y laisser la peau,
car les chiens arrivent après lui,
avec les chasseurs qui les excitent.
Renart tourne son regard en haut :
« Tibert, dit-il, qu'est-ce que j'entends ?
— Attendez un peu, dit-il,
et ne remuez pas ainsi;
c'est une douce mélodie.
Une troupe va passer par ici,
qui arrive à travers champs,
par ces buissons et par ces fourrés d'épines.
Ils chantent des messes et des matines,
après ils chanteront pour les morts,
puis vénéreront cette croix.
Il faut à présent que vous restiez ici,
d'ailleurs vous étiez prêtre jadis. »
Renart, qui sait que ce sont des chiens,
se rend compte qu'il n'est pas en bonne posture;
il veut se mettre en fuite.
Quand Tibert voit qu'il s'est levé,
il lui dit : « Renart, pour quel besoin
vous vois-je vous apprêter ainsi ?
Qu'est-ce que vous voulez faire ?
— Je veux, fait-il, me tirer d'ici.
— D'ici ? pourquoi ? et de cette manière ?
Souvenez-vous du serment
et de la promesse que vous avez faits.
Vous ne vous en irez certainement pas :
restez ici, je vous l'ordonne.
Par Dieu, si vous allez plus en avant,
vous en rendrez compte, c'est la vérité,
à la cour du seigneur Noble,
car vous y serez accusé
pour ce dont vous vous serez parjuré.
Et d'avoir en plus violé votre foi
votre félonie comptera doublement.
Vous avez juré de faire le siège pendant sept ans,
et vous avez engagé votre foi et fait serment.
Mais les chiens sont très bons à mon égard,
si jamais vous les redoutez quelque peu.
Avant que vous ne commettiez un tel outrage
je me porterai garant pour vous
et je conclurai une trêve avec eux. »
Renart le laisse et va son chemin.
Les chiens qui l'ont aperçu,
se mettent en mouvement vers lui.
Mais c'est en vain, car le pays,
il le connaît bien, et Renart n'a jamais été pris,
il s'en va alors à grande allure.
Il menace Tibert très fort et assure
qu'il a bien l'intention de s'attaquer à lui,
si jamais il a l'occasion de le rencontrer.
La guerre sera violente contre lui,
car il ne veut recherche ni trêve ni paix.
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Si aqeut l'andoille a mengier.
Quant Renart vit qu'il la menjue,
Si li trouble auques la veüe.
« Renart, fet Tybert, mout sui liez
Que vos plorez por voz pechiez.
Diex qui connoist la repentance,
Le vos atort a penitance. »
Ce dist Renart : « Or n'i a plus.
Mes tu vendras encor ça jus.
A tot le mains quant avras soi,
T'en covendra venir par moi.
— Ne savez pas, ce dit Tibert,
Conme Diex m'est amis apert.
Encore a tel crues delez moi
Qui m'estaindra mout bien ma soi.
N'a encor gueres que il plut,
Et de l'eve assez i estut,
Ou plus ou mains d'une jaloie
Que je prandré conme la moie.
— Toutevoies, ce dist Renart,
Vendrez vos jus ou tost ou tart.
— Ce n'ert, ce dist Tybert, des mois.
— Si sera, dist Renart, ançois
Que .VII. anz soient trespassé.
— Et qar l'eüssiez vos juré ! »
Et dist Renart : « Je jur le siege
Tant que je t'avré en mon piege.
— Or serez, dist Tybert, deables,
Se cest serement n'est estables.
Mais a la croiz quar l'afïez,
Si sera donc miex afermez. »
Ce dist Renart : « Et je l'afi
Que ja ne me movrai de ci
Tant que li termes soit venuz,
Si en esteré miez creüz.
— Assez en avez, fet il, fait.
Mes d'une chose me deshait,
Et si en ai mout grant pitié
Que vos n'avez encor mengié,
Et .VII. anz devez jeüner :
Porrez vos donc tant endurer ?
Ne vos em pouez resortir,
Le serement covient tenir
Et la foi que plevie avez. »
Ce dist Renart : « Ne vos tamez. »
Et dist Tybert : « Et je m'en tais,
Certes ja n'en parlerai mais.
Tere m'en doi et si est drois,
Mes gardez que ne vos movoiz. »
Tybert se taist et si menjue.
Renart fremist et si tressue
De mautalent et de fine ire.
Que que il est en cest martire,
Si ot tel noise qui l'esmaie,
Car .I. chael de loing l'abaie
Qui en avoit senti la trace.
Or li covient guerpir la place,
Se il ne velt lessier la pel,
Car aprés viennent li chael,
Et li venieres les semont.
Renart regarde contre mont :
« Tybert, dist il, qu'est ce que j'oi ?
— Atendez, dist Tybert, .I. poi,
Et si ne vos remuez mie.
C'est une douce melodie :
Par ci trespasse une compaingne
Qui vient par mi ceste champaingne ;
Par ces buissons, par ces espines,
Qui chantent messes et matines,
Aprés por les mors chanteront
Et ceste croiz aoureront.
Or si vos i covient a estre,
Aussi fustes vos jadis prestre. »
Renart qui set que ce sont chien
S'aparçoit qu'il n'est mie bien :
Metre se volt as desarez.
Quant Tybert voit qu'il s'est levez :
« Renart, fet il, por quel mestier
Vos voi ge si apareillier ?
Que ce est que vos volez faire ?
— Je me voil, fet il, en sus traire.
— En sus ? por quoi, et vos conment ?
Soviengne vos del serement
Et de la foi qui est plevie !
Par certes, vos n'en irez mie.
Estez illec, je le conmant.
Par Dieu, se vos alez avant,
Vos en rendrez, ce est la pure,
En la cort dant Noble droiture,
Que la serez vous apelez
De ce dont vos vos parjurez,
Et de plus que de foi mentie ;
Si doublera la felonnie.
.VII. anz est li sieges jurez,
Par foi pleviz et afïez.
Mout par sont bien de moi li chien ;
Se vos ja les doutez de rien,
Ainz que vos fetes tel outrage,
Donroie je por vos mon gage,
Et vers eus trieves en prandroie. »
Renart le let, si vet sa voie.
Li chien qui l'ont aparceü,
Aprés Renart sont esmeü.
Mes por noient, que le païs
Sot bien que Renart n'ert ja pris,
Ançois s'en va grant aleüre.
Mout menace Tybert et jure
A lui se voudra acoupler,
Se ja mes le puet encontrer.
Esforciez est vers li la guerre,
Ne velt mes trives ne pes querre.
Comment Renart prit Chantecler le coq Si conme Renart prist Chantecler le coc (5)
Notes de traduction (afficher)

2 commentaires:

  1. 2113: "côté"
    2161: "qu'est-ce que" et pas "qu'est-ce-que"
    2179: "Qu'est-ce que" et pas "Qu'est-ce-que"
    Encore encore merci !
    JA

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  2. C'est corrigé. Merci d'avoir signalé les fautes.

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