que son sang ne fait qu'un tour, la douleur lui donne mal au cœur, et il se met à vomir du sang. On le couche dans son lit, mais après s'être un peu calmé, il reste très agité et tremble de tous ses membres, en proie à la fièvre quarte. Sous l'emprise de la maladie, il se dit qu'il va y perdre la vie. Tout cela arrive autour de la saint Jean, et va durer près de six mois. Il fait venir des médecins de partout pour le soulager de son mal, il n'en reste plus un jusqu'à la mer. Il en vient tellement, par monts et par vaux, qu'on ne saurait dire combien. Tant de comtes et de rois viennent aussi rendre visite au roi malade, qu'on ne saurait tous les nommer. Tous les médecins accourent sans tarder à la demande du roi, mais aucun d'eux ne réussit à le guérir de son mal. Grimbert le blaireau, qui se trouve là, se souvient alors de Renart son cousin, qu'il sait très intelligent, et se dit que s'il pouvait le réconcilier avec le roi, cela lui mettrait du baume au cœur. Il se met aussitôt en route, avec l'intention de ne s'arrêter que lorsqu'il l'aura trouvé. Grimbert voyage toute la matinée, si bien qu'au milieu de l'après-midi après un dernier raccourci, il arrive droit sur la forteresse de Renart son cher cousin germain. Renart, cette sale engeance, est accoudé en haut de sa muraille, il est content de voir Grimbert. Sans plus attendre, il ordonne de relever la barre pour laisser entrer son cousin, ce qui est fait sur-le-champ par l'homme qui en reçoit l'ordre. Grimbert entre tranquillement à l'intérieur à pas mesurés, puis, salue son cousin et ceux qui sont avec lui. Renart l'accueille chaleureusement, en lui manifestant sa grande joie. Grimbert dit : « Je dois vraiment avoir une conversation avec vous. Le roi Noble est torturé par un mal qui le retient alité, il se plaint et gémit toute la journée, il est persuadé qu'il va mourir, et en plus, il est très fâché contre vous. Si vous pouviez le guérir, vous retrouveriez son amitié, sans aucun doute. Je suis venu ici pour cette raison, en cachette, sans être vu de quiconque, et sans que personne ne le sache. » Renart se met à rire à ces mots, et dit : « Cousin, dites-moi donc, au nom de la fidélité que vous me devez, pourquoi le roi est fâché contre moi, qui m'a discrédité, et qui m'a brouillé avec lui. — C'est votre compère, je vous l'affirme, répond Grimbert, qui vous a brouillé avec lui. Ronel aussi vous a accusé, ainsi que Brichemer, envoyé ici comme messager pour son expérience. Vous avez mal agi envers Ronel, qui s'est retrouvé pendu dans la vigne au fond d'un vallon, vous méritez vraiment d'être blâmé pour ça. Puis, vous avez fait battre Brichemer par trois ou quatre chiens, je ne sais plus, qui lui ont tellement arraché la peau du dos qu'on y voit les os. » Renart répond à son cousin : « Voulez-vous dire qu'à cause d'Ysengrin, de sa ruse et de ses manigances, je me retrouve maintenant brouillé avec le roi ? Le renégat ! honni soit qui mal y pense. Mais, partez sans plus attendre, je serai à la cour demain matin, je me justifierai au sujet d'Ysengrin, et je me présenterai devant le roi. — Au nom de Dieu et de saint Germain, fait Grimbert, je crois, Renart, qu'il n'y a rien de mieux à faire, croyez-moi. Faites-le sans-faute et sans tarder, je m'en vais de ce pas, que Dieu vous garde. » | 20036 20040 20044 20048 20052 20056 20060 20064 20068 20072 20076 20080 20084 20088 20092 20096 20100 20104 20108 20112 20116 20120 20124 20128 | Que il en fu toz sanz mellez, De la dolor q'au cuer li touche, Le sanc li saut par mi la bouche. Il est dedenz son lit couchiez, Et quant .I. poi fu refroidiez, Le cors li tremble, il se demainne, Chaoit est en fievre quartainne. Mout est sorpris de maladie, Bien en cuida perdre la vie. Ce fu entor la saint Jehan, Si li tint pres de demi an. Partout a fait mires mander, N'en remest nus jusqu'a la mer, Por lui alegier de son mal. Tant en vint d'amont et d'aval Que je n'en sai dire le conte. Il i vint maint roi et maint conte De tiex que je ne sai nomer Por son malage regarder. Trestuit i vindrent sanz delai Par le conmandement le roi. Onques n'en n'i sot nus venir Qui du mal le peüst guarir. Grimbert le tesson qui la fu S'est de Renart aperceü Son cosin qui sages estoit, S'en foi acorder le pooit Il en aroit au cuer grant joie. Maintenant s'est mis a la voie Et dist que mes ne finera Jusqu'a tant que trové l'avra. Tant va Grimbert la matinee Ançois que nonne fust sonnee, En est venuz par une adrece Trestout droit a la forterece Renart son chier cousin germain. Renart qui tant a male main Si s'i fu as murs acoutez Vit Grimbert, si en fu haitiez. Tant tost sanz autre chose fere Conmande la barre en sus trere Por son cousin fere venir. Maintenant ont fet son plaisir Cil a cui il l'ot conmandé. Es vos Grimbert dedenz entré Tout belement pas avant autre, Son cousin salue et maint autre Qui estoient aveques lui. Renart forment le conjoï Et li fist grant feste et grant joie. Dist Grimbert : « Grant talent avoie De parler a vos une foiz. Li rois Noble est si destroiz D'un mal qui par le cors le tient Dont chascun jor soupire et gient ; Morir en cuide, ce sachiez, Et il est mout vers moi iriez. Se le pouïez respasser, S'amor avrïez sanz fausser. Por ce vieng ça tout coiement Sanz estre veüz de la gent, Ne onques nus hons n'en sot mot. » Renart prist a rire a cest mot Et dist : « Cousin, or me nonmez, Par cele foiz que me devez, Por qu'est li rois vers moi irez, Por qui ai esté empirez, Dites qui m'a mellez vers lui. — Vostre compere, jel vos di, Dist Grimbert, vos i a mellé, Si vos a Rooniax blasmé Et Brichemer qui el mesage Fu envoiez si conme sage, Et vos ovrastes vers lui mal Quant Roonel dedenz le val Feïstes en la vingne prandre, Mout par en fetes a reprendre, Et Brichemer feïstes batre Ne sai a .III. chiens ou a .IIII. Qu'il li ont escorchié le dos Si que bien en perent li os. » Renart ot parler son cousin : « Distes vos que par Ysengrin, Fet se il, sui mellez au roi Par son engin, par son desroi ? Malle pensa li renoiez. Alez vos ent, trop delaiez, Et g'irai a cort le matin Si m'escuserai d'Ysengrin. Devant le roi serai demain. — Foi que doi Dieu et saint Germain, Renart, fet Grimbert, par ma foi, Ce est le miex que je i voi. Or fetes, si ne delaiez, Et je m'en vois, a Dieu soiez. » |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire