après avoir pris congé du roi, qui est toujours fort ennuyé. Il s'en va avec assurance, convaincu qu'il réussira à livrer son message, ce qui reste à prouver. Il chemine à travers bois, plaines et bosquets, il avance au galop, et arrive avant midi sonnant au château Renart. Ce dernier n'a rien à redouter de quiconque, tellement il est bien protégé par les murs qui l'entourent. On ne pourrait le prendre, à moins de l'affamer, car en cas d'assaut, il ne lui arriverait aucun mal. Brichemer s'arrête à la vue du château ainsi protégé, il est très impressionné. Dès qu'il arrive sur le pont, les soldats postés plus haut lui tirent des flèches empennées qui l'auraient tué net, s'il ne portait pas une cotte de mailles. Une dizaine se sont déjà plantées dans son bouclier, à sa grande frayeur, tandis qu'ils continuent à tirer. Brichemer ne peut leur résister, il doit se sortir de là qu'il le veuille ou non, et fait marche arrière sur le pont de bois. Renart, qui était allé se distraire à quelques pas de là, trouve, sur le chemin du retour, Brichemer à côté du pont. L'autre le voit et le reconnaît aussitôt, il accourt vers lui, et lui dit : « Seigneur, que Dieu vous garde, lui qui nous a tant donné et partagé entre tous ! Je vous porte un message de la part de Noble, le meilleur et le plus sage des rois de la chrétienté. — Que Dieu et la Sainte Trinité vous protègent du malheur ! répond Renart. Comment va donc notre sire ? Ses barons sont-ils en forme ? — Ils se portent tous très bien, fait Brichemer, je vous assure. Je viens à vous de la part du roi, car vous ne daignez pas venir à sa cour, pourtant, mon cher seigneur, au nom de Dieu, il le faut. Tout cela n'est que pure folie. Il m'a demandé de vous dire que demain au plus tard, vous soyez à sa cour, pour rendre compte du mépris que vous montrez à son égard, en décidant vous-même de prendre votre temps, ce qui n'est pas raisonnable. Le roi insiste pour que vous soyez à la cour, demain sans-faute, à l'heure du procès. Et, si vous décidiez de ne pas venir, je serais dans l'obligation de vous défier de sa part, en tant que messager. » Renart prend un ton flatteur : « Mon ami, dit-il, écoutez-moi. Si c'est un ordre d'aller à la cour, alors, allons-y vous et moi à l'instant même, point besoin de délai ou de report, inutile d'attendre davantage. » Brichemer lui répond : « Alors, enfourchez vite votre cheval, car je redoute beaucoup votre armée, qui a bien failli me mettre à mal. » Là-dessus, ils se mettent en route. | 19876 19880 19884 19888 19892 19896 19900 19904 19908 19912 19916 19920 19924 19928 19932 19936 19940 19944 | Congié prent, si s'en est partiz, Et li rois remest touz marriz. Brichemer s'en vet conme sage, Bien cuide fornir son mesage Miex qu'il ne fera ; tant chemine Par bois, par plain et par gaudine, Et tant ala esperonnant Que il vint ainz midi sonant Trestout droit au chastel Renart Qui de nul honme n'a regart, Qar tant est bien de murs fermez, Ja n'ert pris s'il n'ert afamez. Por home qui sache assaillir Ne li puet nus max avenir. Brichemer s'est aresteü Quant il a le chastel veü Qui estoit si apareilliez. Durement s'en est merveilliez, Qui fu venuz desus le pont. Li serjant qui erent a mont Descochent carriax empenez. Ja fust dant Brichemer finez, Ne fust le hauberc c'ot vestu. Plus de .X. en ot en l'escu Dont il s'esmaie durement, Et il traient menuement. Brichemer ne les pot soufrir, Ariere l'estut resortir, Ou il vosist ou bon li fist, Ariere par le pont de fust. Renart estoit alez esbatre En sus d'ilec .III. piez ou .IIII., Quant il revenoit de jouer, Lez le pont trove Brichemer. Tantost con le vit et connut Brichemer, tantost acorut Et dist : « Sire, cil Dex vos gart Qui toz les biens done et depart ! De Noble vos aport mesage, Le meillor roi et le plus sage Qui soit en la crestïenté. — Cil Diex qui maint en trinité, Fet Renart, vos trestort vos ires ! Conment le fet ore mes sires ? Et li baron sont il haitié ? — Il sont trestuit joiant et lié, Fet Brichemer, en moie foi. Mes a vos vieng de par le roi, Qu'a sa cort venir ne daingniez. Por Dieu, biau sire, or i venez. Je vos di que ce est folie. Il m'a rové que je vos die Que demain sanz aloingne fere Li venez en sa cort droit fere De ce que l'avez en despit Et que par vos prenez respit, Si ne le tient pas a savoir. Li rais vos fet par moi savoir Que demain a heure de plait Soiez en la cort entresait. Je ce vos ai dit de par lui, Se n'i estes, je vos desfi De par lui conme mesachier. » Renart le prent a losengier : « Amis, dist Renart, entendez. A la cort se vos conmandez, Irons moi et vos orendroit. Ja respit ne terme n'i ait, Ne ja n'i ait plus atendu. » Brichemer li a respondu : « Or tost, fet il, montez tantost, Car durement redout vostre ost, A poi que il ne m'ont mal mis. » A tant se sont au chemin mis. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire