ni pressé non plus de prendre la parole, — il a été à bonne école — il incline la tête vers le sol, et fait semblant d'être accablé. Il sait très bien quand se taire ou parler, et quand répondre ou contester si l'occasion s'y prête. Mais là, il lui faut garder le silence car il sent le roi irrité. Il redresse un peu la tête. Le roi n'a rien à ajouter, mais il se garde bien de lui répliquer. Il lui demande simplement l'autorisation de pouvoir répondre selon le droit, et se conformera à son jugement : « Et je ferai de sorte que je sois lavé de mes torts. — Renart, fait Noble, voici qui est bien dit, on ne te contredira pas sur ce point. Parle donc, et nous t'écouterons, si tu parles bien, alors nous nous tairons, — Sire, lui répond Renart, voilà qui est bien parlé. Vous avez dit que je ne suis pas dispensé de répondre aux accusations que vous avez faites à mon encontre. Je me suis pourtant justifié, quoi qu'on dise, au sujet de Tibert, de la mésange, du corbeau, et de Coupée que je n'ai pas estropiée. Je n'ai pas davantage fait outrage à Chantecler, ni à Tiécelin pour son fromage. Brun l'ours se plaint de moi, mais il me blâme à tort, car il n'a pas été écorché à cause de moi. Je n'ai pas non plus fait de mal à Ronel, ni à mon compère Ysengrin. Mes voisins m'accusent à tort. Hélas ! Ai-je rendu de si mauvais services aurai-je le cou brisé pour voir bien agi ? Chacun le sait bien que quiconque, si puissant soit-il, puisse être puni même sans avoir péché. Dieu m'a privé de sa grâce, tel est mon destin qu'aussi bien que je puisse faire, il ne m'arrive que des ennuis. J'ai pourtant fait beaucoup de bien à tous ceux qui me font maintenant ce procès. Vous m'avez donc fait comparaître, mais je suis entièrement prêt à me défendre face au jugement de votre cour. » À ces mots, Ysengrin accourt devant le roi avec les autres : Ronel le vautre, un vrai félon, la mésange, Tibert le chat, Brun, en grand instigateur, dame Roussette la poule, dame Pinte sa voisine qui pond toujours de gros œufs, et seigneur Chantecler le coq. Tous se plaignent si fort devant le roi, que toute parole trompeuse est superflue. Renart se signe de la main gauche, car il voit bien qu'il est inutile de se dérober. Il lui faut maintenant se rendre à la raison, il a grand-peur qu'on le pende. Mais si Renart est à cours de ruse, malheur à lui d'avoir croisé Tibert le chat, c'est qu'il est vraiment dans de sales draps. Ce sera vraiment un bon rhétoricien, s'il en réchapper sans dommage, et sans se faire tailler le chaperon ou le manteau. L'heure n'est plus aux mensonges, car ils se plaignent tous de Renart au roi. Il s'entend accusé par tant de gens qu'il ne pourra se justifier qu'avec peine. Noble dit : « Qu'en pensez-vous ? » Renart répond : « Il me semble, autant que je sache, en toute raison, que je n'ai jamais mal agi contre eux. Seigneur, sire, lui dit Renart, que Dieu ignore mon âme à jamais, si je devais me souvenir d'un méfait qui leur ait causé du tort. Ils diront ce qu'ils voudront, mais ils ne pourront pas m'enlever ça, si tel est votre souhait, vous qui êtes mon seigneur. Plusieurs bêtes m'ont sali, alors que j'ai fait honneur à ceux-là même qui m'ont fait le plus grand déshonneur. Je sais que je ne suis pas dans mon tort, de toute façon le bien l'emportera. Je n'ai jamais rien entrepris qui ait pu faire un ennemi de seigneur Ysengrin, mon cher compère. Et je jure sur l'âme de ma mère, n'avoir jamais fait de folie avec sa femme. C'est lui qui la harcèle, soi-disant à cause de moi, je suis prêt à le démontrer sans hésiter, soit par l'ordalie, soit par un duel, afin que tous le voient, et que la cour puisse en juger. » | 14536 14540 14544 14548 14552 14556 14560 14564 14568 14572 14576 14580 14584 14588 14592 14596 14600 14604 14608 14612 14616 14620 14624 14628 14632 | Ne trop hastis de sa parole, — Esté avoit a bonne escole — Vers terre tint enclin le chief, Si fait semblant qu'il li soit grief ; Bien savoit taire et bien parler, Et bien respondre et osposer, Quant il en a et leu et aise ; Or li covient que il se taise, Car il voit le roi coroucié. .I. poi a son chief redrecié ; Il n'ot en lui riens que aprandre, Bien se sot garder d'entreprandre. Au roi a dit qu'il li otroit Qu'il puisse respondre par droit Et au droit que dira s'acort : « Tant en feré, n'en avré tort. — Renart, fet Noble, bien as dit, Ja en ce n'avra contredit. Or di et nos t'escouteron ; Se tu dis bien, nos nos tairon, — Sire, ce dist Renart, bien dites Qui avez dit ne sui pas quites Des alonges que avez faites, Que vos avez desor moi traites, De Tybert et de la mesenge. M'escondi bien, conment qu'il praigne, Et du corbel et de Coupee, Que par moi ne fu esclopee. N'a Chantecler ne fis outrage, N'a Tiecelin de son fromage. Brun li ors s'est de moi clamez ; Certes a tort en sui blasmez, Ainz ne perdi par moi sa pel ; Ne ne fis mal a Roonel, Ne a mon compere Ysengrin ; A tort m'encusent mi voisin. Las ! tant mal servise ai fait, Por bien fet ai je le col frait ? Chascun le set, n'i a si fort Que tel ne peche qui encort. Male grace m'a Diex donnee, Mes itex est ma destinee Que ja si bien ne savrai fere Que il ne m'en viengne contrere. Certes mout ai a tex bien fait Qui or m'ont porchacié cest plait. Vos m'en avez or fet semondre, Et je sui tout prest de respondre Au jugement de vostre cort. » A cest mot Ysengrin acort Devant le roi entre les autres, Et Rooniax li fel, li viautres, La mesenge et Tybert li chaz, Et Brun qui est de grant porchaz, Dame Rousete la geline Et dame Pinte sa voisine Qui soloit pondre les oes gros, Et sire Chantecler li cos. Tant font devant le roi lor plainte, N'i a mestier parole fainte. Renart se saigne a main esclenche, Bien voit que n'i a mestier guenche ; Or li covient grant reson rendre, Grant peor a qu'en ne le pende. S'or ne set Renart de barat, Mar acointa Tybert le chat, C'or est chaüz en males mains. Mout sera bon rectorieins, Se il sanz perte s'en eschape, Sanz taillier chaperon ou chape. La n'ot mestier parole fainte, De Renart font au roi complainte ; Et de tantes s'ot escuser Qu'a painnes se pot escuser. Ce dist Nobles : « Que vos est vis ? » Renart respont : « Il m'est avis, Si que bien connois par raison, Vers vos n'ai nule mespraison, Sire, sire, ce dit Renart, Ja Diex n'en ait en m'ame part, Se je de mesfet me recort Dont envers vos eüsse tort. Il diront que que il voudront, Mes por ce riens ne me toudront, S'il vos plest, qui mesires estes. Je sui sordit de plusors bestes ; A tel ai porté grant honor Qui or m'a fet grant desenor. Je sai que li tors n'est pas miens ; Toutevoies vaintra li biens. Onques de riens ne m'entremis De quoi deüsse estre anemis Dant Ysengrin, mon chier compere ; Mes par l'ame la moie mere, A sa fame ne fis folie ; Si l'a mout por moi asaillie, Et pres sui du mostrer sanz faille Ou par juïse ou par bataille, Einssi con l'en esgardera Et que la cort le jugera. » |
14586 : et brun, qui ne se laisse pas faire
RépondreSupprimer14547 / Et il se conformera à son jugement
RépondreSupprimer14555 : incriminations, reproches?
RépondreSupprimer14570 : aurai-je le cou brisé pour avoir bien fait? (fait le bien)
RépondreSupprimer14600 : Ce sera vraiment un bon rhétoricien (plaideur?)
RépondreSupprimerS'il s'en sort sans dommage
Et sans se faire tailler la capuche du (ou le?) manteau
14609 : Si je ne me trompe (si je raisonne correctement)
RépondreSupprimer14628 : Por moi = pour moi = a mon avis
RépondreSupprimerA mon avis, c'est lui qui la harcèle vraiment
Merci pour ces utiles suggestions retenues pour la plupart.
RépondreSupprimer14605 Et de tantes s'ot acuser (et non "escuser")
RépondreSupprimer14606 Qu'a painnes se pot escuser.
Il n'y a pas d'erreur, le mot « escuser » est bien le mot employé dans cette édition, qui veut dire aussi « accuser, dénoncer » d'après le Godefroy.
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