il n'y a personne dans la salle pour oser faire le moindre bruit. Le roi se met à parler, et Renart se tient coi, il lui dit avec méchanceté : « Je ne vous rends pas votre salut, rouquin venimeux sans foi ni loi, vous allez tenir un tout autre langage avec moi. Avant de sortir de cet endroit, je crois que vous allez nous laisser un bon gage, cette pelisse rousse pour commencer. Quand tu étais derrière ta palissade, tu pensais peut-être ne plus revenir ici. Tu crois pouvoir faire la guerre à tout le monde, tant que la roue de la Fortune tourne en ta faveur, en nous servant tes boniments. Mais comme tu l'as entendu dire maintes fois, après la joie vient toujours la peine, et après la brise souffle la bise. Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se brise, et je crois, seigneur Renart, qu'elle est bel et bien cassée dans ton cas. » Le roi parle, et Renart écoute, il ajoute pour que sa cour l'entende bien : « Renart, fait-il, on voit bien à ton visage que tu n'es qu'une sale bête, on reconnaît bien la cruche à ses tessons, tu es rempli de venin comme le crapaud, tu n'as jamais rien fait de bien, tu as le mal en toi. Parce que tu m'as tellement irrité, et que tu as tant trompé Ysengrin, parce que Tibert le chat s'est fait prendre au lacet à cause de ta ruse, et Brun l'ours, par le museau dans le chêne quand tu as ôté le coin, pour Chantecler le baron que tu as pris en traître en lui faisant fermer les yeux, parce que tu as voulu mordre seigneur Tiécelin — quel bandit tu es ! — pour la mésange ta commère, à qui tu as volé son fromage par la ruse, et pris en gage, en les enlevant avec tes dents, quatre de ses plus belles plumes, pour tout cela, je te donnerai pour récompense d'être pendu au gibet. » Renart, qui connaît bien les bonnes manières, répond alors avec la plus grande prudence : « Très cher sire, sauf votre respect, je n'ai jamais été de telle engeance qui fasse du tort à mon seigneur, ou des choses qu'on ne doit pas faire. Je suis votre vassal et vous êtes mon seigneur, vous ne devriez point dire sur moi des choses qui puissent me porter nuisance. Vous êtes si puissant que vous pouvez me chasser de vos terres, je ne pourrais soutenir une guerre contre vous, et je redoute beaucoup mes ennemis. Je suis vraiment désolé si j'ai causé du tort à quoi que ce soit qui vous appartienne, pourtant il n'y a rien dont je me souvienne. Certains vous ont raconté des méchancetés sur moi pour me mettre dans l'embarras, alors qu'ils ne pourraient les prouver. Ils peuvent toujours trouver des mensonges, mais à vrai dire, je sais très bien que je n'ai rien fait de mal. L'homme honnête n'est jamais aimé, le plus loyal est le plus blâmé, il faut vraiment être fou pour dire la vérité, beaucoup se sont retrouvés déshérités ou rejetés de leur terre à tort, les menteurs sont les plus forts. Vous devez bien vous rendre compte qui veut vous faire croire à des mensonges — on ne devrait tromper ni vous ni personne — ou qui vous raconte la vérité. Voilà vingt ans que vous me connaissez, vous n'avez jamais eu de vassal qui ait pris autant de peine pour vous. J'en ai la chair encore toute meurtrie par tous ces efforts, notamment quand je suis allé à Rome, à Salerne et à Montpellier, pour préparer le bon remède et vous soigner du mal qui vous accablait durement, je vous ai aidé autant que possible. — Sire, dit Grimbert, il dit vrai. Par Dieu, il vous a été utile, je crois que vous avez été bien trompé par qui vous a dit qu'il a mal agi. Par Dieu, il ne voudrait pas le faire, il faut être vil pour raconter ça. » | 14052 14056 14060 14064 14068 14072 14076 14080 14084 14088 14092 14096 14100 14104 14108 14112 14116 14120 14124 14128 14132 14136 14140 14144 | Par la sale n'i ot si os Qui i face ne cri ne noise. Li rois parla, Renart s'acoise, Puis li a dit par felonnie : « Cest salu ne vos rent je mie, Rous venimeus de pute foi, Autrement parleroiz a moi ; Ainz que issiez de cest estage Nos lairez vos, ce cuit, bon gage, Au mains cele rouse pelice. Quant estoies dedens ta lice, Ne cuidoies mes repairier. Tot le mont cuides guerroier ; Tant con torna bien ta rouele, Nos as servi de la favele. Mes mainte foiz as oï dire Qu'aprés grant joie vient grant ire, Et aprés mol vent vente bise. Tant va pot a l'eve qu'il brise, Or cuit je bien, sire Renart, Qu'il est brisiez de vostre part. » Li rois parla, Renart escoute, Et dist que sa gent l'oï toute : « Renart, fait il, a ton viaire Sembles bien beste deputaire ; Bien pert as tes qex est li poz, Plein es de venin conme boz ; Onques .I. jor ne feïs bien. Mout a en toi de mal engien, Por ce que tant m'as coroucié Et Ysengrin tant enginnié ; Et por ce que Tyberz li chaz Par ton engin fu pris au laz ; Et Brun li ors par mi le groing El chesne dont ostas le coing ; Et por Chantecler le baron Que tu preïs en traïson Quant tu li feïs les eulz clorre. Et por ce que tu vosis mordre Dant Tiecelin, con tu fus lere ! Et la mesenge ta conmere, Par barat preïs son fromage Et de lui empreïs tel gage Que tu li ostas a tes canes .IIII. de ses plus beles panes ; Tel guerredon t'en feré rendre Qu'a forches te feré ja pendre. » Renart sot mout d'afaitement, Si respondi mout sagement : « Biau sire, sauve vostre grace, Onques ne fui de tel estrace Qu'a mon seignor face contrere Ne chose que ne doie fere. Je sui vostre hons et vos mesire ; De moi ne devez chose dire Qui estre me doie a nuisance. Mes bien estes de la puissance Que jeter me pouez de terre ; Ne puis pas soufrir vostre guerre, Et si dout mout mes anemis ; Mout me poise, se j'ai mespris De rien qui a vos apartiengne, Mes non ai pas dont me soviengne. Tiex vos ont fet le mal entendre Et conté, por moi entreprendre, Qui ne le porroient prouver ; Mençonge puent il trover, Mes au voir dire, sai ge bien Que ge n'i ai mespris de rien. Ja mes nus preudons n'ert amez, Li plus loiaux ert plus blasmez ; Fox est qui dit mes verité, Plusors en sont deserité Et de terre jetez a tort ; Li menteor sont li plus fort. Bien le deüsiez aparçoivre Qui mençonge vos fet acroire, — Ne nus ne vos devroit deçoivre — Et qui vos conte chose voire. .XX. anz a que me conneüstes, Mes onques mes home n'eüstes Qui por vos ait tant paine eüe. Encor en ai la char rompue Des granz travax, ce est la some, Dont je por vos alé a Rome A Salerne et a Monpellier Por la mecine apareillier Qui bone estoit au mal saner Qui forment vos fesoit grever ; Aidié vos ai a mon pooir. — Sire, dist Grimbert, il dit voir ; Par Dieu, mestier vos a eü, Si vos voi or trop deceü, Vos qui dites qu'il a mesfet ; Par Dieu, nel vodroit avoir fet, Mout est vilain qui ce retret. » |
14109: me chasser de vos terres
RépondreSupprimerMerci pour votre suggestion qui est retenue.
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