dimanche 25 janvier 2015

Le duel de Renart et d'Ysengrin - La plainte de Tibert




Noble modère son emportement :
N


oble son corage refet :
« Grimbert, fait-il, vous avez bien parlé,
je ne vous contredirai pas sur ce point.
Il se peut effectivement qu'il m'ait rendu service,
mais il me l'a fait salement payer.
C'est un fait que j'ai convoqué Renart,
et envoyé Tibert de ma part,
pour bien lui signifier de venir à la cour,
et qu'on ne lui manifesterait aucun mépris.
Renart, qui s'y connaît en hypocrisie
et autres fausses promesses,
lui a répondu qu'il le ferait volontiers,
et qu'il irait à la cour avec lui.
Renart, faisant semblant de vouloir y aller,
s'est mis en route avec Tibert.
Ils sont arrivés dans un village,
où Renart, aux maintes ruses,
connaissait la demeure d'un prêtre,
qui se méfiait beaucoup de lui.
Sa maison n'avait d'autre entrée,
quand elle était fermée, qu'un boyau
où il avait tendu un collet pour le prendre.
Renart a fait entendre à Tibert
qu'il avait l'habitude de passer par là
pour arriver aux poules,
et qu'il y avait tant de souris et de rats
qu'on pouvait nourrir une bonne centaine de chats.
Tibert pensait qu'il disait la vérité,
et qu'il ne lui voulait aucun mal.
Alors il est entré dedans en s'étirant,
mais il avait agi avec folie,
et en sortant, il s'en est voulu d'être aussi fou,
quand le collet lui a descendu sur le cou.
Il n'a su ni pousser ni tirer assez fort
pour pouvoir se sortir de là.
Quand ceux qui avaient pris soin
de poser le collet où il s'était fait attraper,
l'ont entendu se débattre dans sa prison,
ils ont pris, l'un un pieu, et l'autre un bâton.
Renart s'est alors mis en route
car il n'avait pas envie d'être vu.
Ils ont battu Tibert, ils l'ont roué de coups,
puis le collet qui lui serrait le cou s'est rompu.
Quand Tibert s'est retrouvé sur le sol,
il a hérissé ses moustaches, et serré les dents.
Il a eu alors une bien belle occasion
comme jamais personne n'en a eue,
car le prêtre était venu
tout nu, sans braies ni chaussures.
Il s'est approché de Tibert pour le frapper,
mais ce dernier l'a esquivé pour se protéger,
puis a saisi le prêtre par les couilles,
sans en rater une.
Sachez bien, c'est la vérité,
qu'il a mangé presque toutes les couilles du prêtre
avant même de sortir de la maison.
Jamais Tibert ne s'en était tiré comme ça.
La femme du prêtre était abasourdie
par la perte de ses couilles :
« Hélas, fit-elle, malheureuse,
je ne serai plus aimée,
mon seigneur a perdu ses bijoux
grâce auxquels je lui étais chère.
Il ne s'occupera plus de moi
maintenant qu'il a perdu son entrain.
Je sais très bien qu'il me rejettera,
car il ne pourra plus en tirer profit.
Je suis vraiment triste et malheureuse,
après en avoir profité avec joie toute ma jeunesse.
Il me donnait aussi volontiers de bons repas
et de beaux habits,
mais je vais devoir m'en passer maintenant.
Il va falloir faire sans,
maintenant qu'il a perdu son ardeur,
le chat lui a rendu un sale service. »
Pendant qu'ils s'abandonnaient à leur douleur,
Tibert est ressorti par le boyau.
Renart était parti depuis longtemps,
la partie avait donc été inégale.
Tibert a porté plainte pour cette affaire,
beaucoup d'autres l'ont suivi.



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« Grimbert, fet il, bien avez dit,
Ja de ce ne serez desdit.
Bien puet estre qu'il m'a servi,
Mes malement le m'a meri.
C'est vertez que mandai Renart ;
Tybert i fu de moie part,
Qui bien li dist c'a cort venist,
Que ja en desdaing nel tenist.
Renart, qui set de fauve anesse
Et de mainte fause pramesse,
Respondi que bien le feroit
Et qu'a la cort o lui iroit ;
Renart fist de l'aler semblant,
Tybert va le chemin a tant.
Qant il furent a une ville,
Renart, qui sot de mainte guile,
L'ostel a .I. provoire sot,
Qui de lui mout fort se gaitot.
En sa meson n'ot nule entree
Fors .I. buiot, quant est fremee ;
La ot tendu laz por li prendre.
Renart fist a Tybert entendre
Que par illuec soloit venir
Et as gelines avenir,
Et tant i a souriz et raz,
Bien en puet en pestre .C. chaz.
Tybert cuida que voir deïst
Et que nul mal ne li quersist ;
Touz estenduz dedenz se mist,
De grant folie s'entremist ;
Car au partir se tint por fol,
Li laz li descent sor le col ;
Il ne sot tant bouter ne trere
Que d'ilec se poïst retraire.
Cil qui s'estoient entremis
Du laz tendre ou il fu pris,
Quant oent qu'il est en prison,
L'un porte .I. pel, l'autre .I. baston ;
Et Renart se met a la voie
Qui n'a talent que l'en le voie.
Tybert batent et donent coux ;
Le laz ront ou tenoit li coux.
Des que Tybert se sent a terre,
Les grenons croule, les denz serre,
Si li avint bele aventure ;
N'avint plus bele a criature,
Que li prestres i ert venuz,
Deschauz, sanz braies et toz nuz ;
Vint a Tybert, sel volt ferir.
Cil guenchi, qui se volt garir,
Le prestre a la coille prent
Si que il de riens ne mesprent ;
Bien sache et ce est la voire :
Le plus de la coille au provoire
Menja ainz qu'isist de l'ostel ;
N'eschapa mes Tybert d'autel.
 La prestresse ert toute esbahie
De la coille qui ert perie :
“Lasse, fet ele, malostrue,
“Ne serai mes chierre tenue ;
“Mesire a perdue sa joie
“Por qoi chierre tenue estoie.
“Or n'avra il mes de moi cure,
“Quant il a perdue s'anbleure.
“Or sai bien qu'il me guerpira,
“Quant il aidier ne se porra ;
“Mout sui ore tristre et dolente,
“A joie ai usé ma jovente.
“Il me donoit si biax mengiers
“Et les bons dras plus volentiers ;
“Or sai bien faillir m'i estuet,
“Grant chose a en fere l'estuet.
“Ore a perdu son hardement,
“Li chaz l'a servi malement.”
En ce qu'il demainnent lor duel,
Tybert s'en ist par .I. bouel ;
Renart s'en fu pieça partiz,
Einsi fu li giex mal partiz.
De ceste chose a fait sa plainte
Tybert ; des autres i a mainte.
La bataille de Renart et d'Ysengrin C'est la bataille de Renart et de Ysangrin (26)
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