mais j'ai peur de vous ennuyer avec. Je me tairai si vous voulez, mais si vous préférez, je vous dirai ce qui est arrivé à Ysengrin par un beau matin après s'être levé. Dame Hersent avait bien pris soin de lui, et il s'était remis de ses douleurs. Il est maintenant bien gras, ragaillardi, et tout aussi félon, hardi et orgueilleux. Il s'en va à grande allure à travers le bois où il habite, et rencontre en route un paysan, qui a trouvé un jambon tombé de la charrette de deux ermites. Il le tient derrière lui avec une corde. Ysengrin arrive vers lui : « Où vas-tu ? dit-il, halte-là ! — Pourquoi ? fait l'autre. — Ma foi, pour cela. Où as-tu volé ce jambon ? — En vérité, dit-il, je l'ai trouvé. — Trouvé ? alors j'ai droit à une part, d'un bout à l'autre, et jusqu'à la corde. » Le paysan lui répond : « Ma foi, seigneur Ysengrin, je veux bien. » Les deux barons se sont donc mis d'accord en un rien de temps sur le jambon. Pendant qu'ils discutent et cherchent comment le partager, voici à son tour, un ours qui vient à pleine course. Quand il arrive sur eux, il tombe en arrêt sur le jambon : « À qui donc est ce jambon, seigneur loup ? — Seigneur, répond-il, il est à nous deux. — Je veux avoir ma part, dit-il, en toute amitié bien sûr, et sans vous forcer. » Le paysan lui répond : « J'accepte. — Ma foi, moi aussi, lui dit le loup. Soyons donc associés tous trois, et puis partageons-le. — Seigneurs, dit-il, merci à vous. Vous avez fait de moi votre ami, mettez-le donc là sur mon dos, et je l'emporterai dans ce bois, car si quelqu'un survenait, il aurait vite fait de vouloir nous en prendre. » Sur ce, ils lui mettent sur le dos, et retournent dans le bois. Puis ils jettent le jambon sur l'herbe, et les trois compagnons discutent comment le partager avec équité. L'ours, qui est le plus intelligent, leur dit puisque rien n'est arrêté : « Seigneurs, si vous voulez mon avis, nous allons plutôt le laisser là cette nuit, pendu à ce hêtre qui est grand et beau. Puis nous reviendrons demain matin, et nous nous montrerons nos culs à tous les trois, et celui qui aura le plus gros cul, pourra emporter tout le jambon. » Le loup dit : « D'accord. — Ma foi, moi aussi, dit le paysan. » Ils attachent le jambon en hauteur, puis s'en vont tous les trois. Le paysan arrive dans sa maison, où l'attendent ses enfants : « Où êtes-vous, dit-il, dame Aimée ? — Je suis ici, seigneur, répond sa femme, pourquoi avez-vous tant tardé ? — Ma sœur, dit-il, c'est parce que j'ai trouvé un bon jambon dans ce bois. Je n'en ai jamais vu de si gros de mes propres yeux. Mais nous sommes trois compagnons dessus, savez-vous comment nous allons le partager ? Demain matin, nous retournons là-bas tous les trois, puis chacun montrera son cul aux autres, et celui qui aura le plus gros cul pourra emporter le jambon. » | 10632 10636 10640 10644 10648 10652 10656 10660 10664 10668 10672 10676 10680 10684 10688 10692 10696 10700 10704 10708 | Mes je vos crien mout anuier ; Se vos volez, je me teré, Et se voulez, je parleré Conment avint a Ysengrin Qui se leva par .I. matin. Dame Hersent l'ot bien gardé Et de ses dolors respassé ; Ore est tot cras et revelous, Fel et hardiz et orgueillous ; Grant aleüre s'en aloit. Par mi cel bois ou il estoit, En mi sa voie a encontré .I. vilain qui avoit trové .I. bacon qui estoit chaüz De la charrete a .II. reclus ; Il le tenoit devers la hart. Ysengrin vint de l'autre part : « O vas ? dist il, esta illeuc ! — Por qoi ? fait il. — Par foi, poreuc : Ou as tu cel bacon enblé ? — Par foi, fait il, ainz l'ai trové. — Trové ? dont i avré je part D'outre en outre jusqu'a la hart. » Dist li vilain : « En moie foi, Sire Ysengrin, et je l'otroi. » Acompaingnié sont li baron En poi d'eure por le bacon. Endementiers que il parlaient Et que il departir volaient, Estes vos d'autre part .I. ors Qui lor est venuz a plain cors. Si con il fu illec venuz, Sor le bacon s'est arestuz : « Et qui est cil bacon, dant lous ? — Sire, dist il, c'est a nos deus. — J'en voil, dist il, ma part avoir, Par amistié, non par pooir. » Dist li vilains : « Et je l'otroi. — Et je, ce dit li leus, par foi. Or en soion dont compaingnon Tuit .III. et bien le departon. — Seignor, dist il, vostre merci. Conquis m'avez a vostre ami. Or le metez ci sor mon dos, Je l'enporteré en cel bos, Qar tiex i porroit sorvenir Qui tost le nos voudroit tolir. » A tant li ont sor le dos mis, El bois se sont ariere mis ; Sor l'erbe jetent li bacon, S'en parolent li compaingnon Conment il soit partiz a droit. Li ors, qui plus sages estoit, Lor dist, qu'il n'i est arestez : « Seignor, se mon conseil creez, Enhui mes le leron pendant A cest fou qui est bel et grant, Et le matin ci revendron, Et trestuit .III. nos cus mostron ; Et cil qui graingnor cul avra, Le bacon tout en portera. » Ce dit li leus : « Et je l'otroi. — Et je, dist li vilains, par foi. » Le bacon ont en haut levé Et puis s'en sont tuit .III. alé. Li vilain vint en sa meson Ou l'atendent si enfançon : « Ou estes vos, dist il, dame Ame ? — Je sui ci, sire, dist sa fame, Por quoi avez tant demoré ? — Suer, dist il, que je ai trové .I. bon bacon enz en cel bos, Ainz de mes eulz ne vi si gros ; Mes nos somes .III. compaingnon Sez conment nos le partiron ? Le matin iron la tuit troi, Si mosterron nos cus tuit troi ; Qui graingnor cul porra mostrer Le bacon en porra porter. » |
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