après s'être donné tant de peine, suite aux prières de ses amis, a mis en rimes pour nous une plaisanterie ou plutôt une moquerie de Renart, lui qui connaît tant de ruses, ce sale nabot, ce mécréant, par qui ont été trompés tant de barons qu'on n'en sait plus le compte. Je vais maintenant commencer l'histoire pour qui veut bien l'entendre, sachez qu'il y a beaucoup à en apprendre, comme je le crois vraiment, si on met toute son attention à l'écouter. Ça se passe en mai, à cette époque où, les fleurs apparaissent dans les buissons, les prés et les bois reverdissent, et les oiseaux chantent sans répit, toute la journée et toute la nuit. Renart est en villégiature dans sa forteresse à Maupertuis. Mais il est dans une très grande détresse car il n'a plus de provisions. Sa famille est si mal en point que tous crient famine avec vigueur. Sa femme Hermeline en particulier, qui est de nouveau enceinte, est si diminuée par la faim qu'elle ne sait quoi faire. Renart fait alors ses préparatifs pour aller chercher des vivres. Il part tout seul de sa maison, et jure qu'il ne reviendra pas avant de rapporter assez de nourriture pour que sa famille puisse manger. Il s'éloigne du grand chemin à gauche, et va à travers la forêt, car cela ne lui sied guère, ni ne lui plaît vraiment, de rester sur un chemin ou un sentier. Il connaît bien le bois tout entier pour l'avoir parcouru maintes fois. Et il marche jusqu'à ce qu'il arrive en bas du bois, dans la prairie. « Dieu, dit Renart, Sainte Marie, où peut-on trouver de si bel endroit ? Je pense que c'est le paradis terrestre. Il ferait bon séjourner ici pour qui aurait assez à manger. Voyez donc ce bois et ce ruisseau, jamais vraiment en a-t-on vu d'aussi beaux. Voyez comme il est vert et fleuri ! Puisse l'Esprit Saint me venir en aide, car je m'y allongerais bien volontiers si je n'avais pas tant à faire, comme on dit : le besoin fait trotter la vieille. » À ces mots, il se met à galoper. Il s'en va triste et malheureux, car la faim qu'il a aux dents, celle qui chasse le loup du bois, le fait partir contre son gré. Il s'en va en descendant par les prés, puis observe monts et vaux pour voir s'il n'y pas quelque part ce qui lui ferait bien plaisir : un oiseau, un lièvre ou un lapin. Il marche longtemps, et arrive sur un chemin qui va vers un village. Il suit le chemin, et quand il voit le village, il jure alors sur sa tête, n'en déplaise à quiconque, qu'il va y aller directement, car il pense bien y trouver quelque chose qui lui sera utile. Il quitte le chemin et arrive aux abords du village. Il s'y connaît assez en ruse pour ne pas être vu. À travers les haies et les sureaux, il s'en va au pas, en reniflant le vent, tout en suppliant Dieu avec ferveur, de le préserver de la capture, et de lui envoyer assez de vivres qui puissent réjouir sa femme, ses enfants, et toute sa maisonnée. | 8872 8876 8880 8884 8888 8892 8896 8900 8904 8908 8912 8916 8920 8924 8928 8932 8936 8940 8944 8948 8952 | S'est tant traveilliez et penez Par proiere de ses amis Que il nos a en rime mis Une risee et .I. gabet De Renart qui tant set d'abet, Le puant naim, le descreü, Par qui ont esté deceü Tant baron que n'en sai le conte. Des or conmenceré le conte, Se il est qui i voille entendre ; Sachiez, mout i porra aprandre, Si con je cuit et con je pens, Se a l'escouter met son sens. Ce fu en may en cel termine Que la flor monte en l'espine, Prez reverdissent et li bos, Et oisiax chantent sanz repos Et toute nuit et toute jor. Et Renart estoit a sejor A Malpertuis sa forterece. Mes mout estoit en grant destrece Que de garison n'avoit point ; Sa mesnie ert en si mal point Que de fain crioit durement. Sa fame Hermeline ensement, Qui estoit de novel ençainte, Et estoit si de fain atainte Qu'el ne se savoit conseillier ; Lors se prent a apareillier Renart por querre garison. Tout seus s'en ist de sa meson Et jure qu'il ne revendra Jusque a tant qu'il aportera Viande a sa mesnie pestre. Le grant chemin torne a senestre Et va en travers la forest, Que ne li siet ne ne li plest A tenir chemin ne sentier. Bien savoit le bois tot entier, Que mainte foiz l'avoit alé. Tant ala que est avalé Soz le bois en la praierie. « Diex, dist Renart, sainte Marie, Ou fu trovez icist biax estres ? Je cuit c'est paradis terrestres ; Ici feroit bon herbergier Qui assez aroit a mengier. Vez ci le bois et le ruissel ; Onques voir ne vit nul si bel, Vez con il est vers et floriz ! Issi m'aït sainz Esperiz, Que mout volentiers m'i geüsse, Se je si grant besoing n'eüsse : Besoing si fet vielle troter. » A ce mot prent a galoper, Si s'en part tristres et dolenz. Mes la fain qu'il avoit as denz, Qui enchace le leu du bois, L'en fet partir desor son pois. Par les prez s'en vet contre val, Mout regarde a mont et a val Por veoir s'en nul lieu veïst Qui a son cuer bien li seïst, Oisel ou lievre ou conin. Tant va qu'il entre en .I. chemin Qui vers une vile aloit. Le chemin sieut et quant il voit La vile, si jure son chief, Qui que soit bel ne qui que griet, Droit en la vile en ira ; Bien cuide qu'il i trovera Chose qui li avra mestier. Let le chemin et le sentier, Quant venuz est pres de la vile, Cil qui savoit assez de guile Qui ne volt pas estre seüz, Par ces haies, par ces seüz S'en va le pas sentant le vent. Durement va Dieu reclamant Qu'il li gart son cors de prison Et li envoit tel garison Dont il face sa fame lie Et ses enfanz et sa mesnie. |
merci beaucoup beaucoup! j'en fais lire un extrait à mes eleves de cm1 demain. Je suis ravie :)
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