les oisillons gazouillent haut et fort, le temps est clair et net. Renart est à l'intérieur des murs de son château à Maupertuis, mais il a le cœur triste et broie du noir, car ses provisions sont épuisées. Il ne tient pas en place à cause de la faim qui lui tiraille les boyaux. Il voit son fils Rovel approcher de lui en pleurant de faim, puis Hermeline, triste et silencieuse, et enfin Malebranche et Percehaie avec une bien triste mine. Ils se lamentent tous, et ils sont malheureux de voir leur mère pleurer de faim, ils font tous une pauvre tête. Renart lui demande gentiment : « Pourquoi semblez-vous si souffrante ? — Seigneur, fait-elle, je suis enceinte. Mais, j'ai peur de perdre l'enfant que je porte dans mon ventre tellement j'ai faim. » Renart est peiné d'entendre cela, il a du mal à retenir sa colère. Il répond à Hermeline : « Madame, n'ayez crainte, par la foi que je dois à saint Nicolas, je vais vous trouver de quoi manger. Je pars sur-le-champ, là où Dieu me mènera et me donnera toute la nourriture qu'il me faut. » Là-dessus, il frappe le sol du pied, et sort aussitôt. Il réclame à Dieu avec insistance de lui envoyer de quoi manger, car il en a grand besoin. Il entre dans un enclos, tête baissée à la recherche de nourriture. Il avance d'un pas décidé, en regardant de tous les côtés. Après avoir bien cherché, il lève la tête et voit arriver au-devant seigneur Ysengrin, son cher compère. Foi que je dois à saint Pierre, jamais il n'avait vu de bête dans un tel état d'excitation. « Seigneur, soyez-le bienvenu ! » fait-il, tandis que le loup le regarde hébété. « Comment ça, Renart, répond-il, allez-vous en d'ici au plus vite, tous les paysans d'un village me courent après, je vous le jure. S'ils vous attrapent, par saint Gilles, ils vous mettront en pièces. — Seigneur, lui répond le goupil, alors partons sans tarder. » Là-dessus, Renart et Ysengrin prennent la fuite ensemble par le premier chemin venu, car ils ont tous deux rudement peur. Mais, les paysans finissent par perdre leur trace, et rebrousser chemin, tandis que les deux compères continuent leur course, sans prendre le risque de s'arrêter. Puis, ils jettent un coup d’œil derrière, et voient que les paysans ne les rattraperont plus. Ysengrin dit : « Par saint Omer, je suis tellement épuisé que je ne peux plus avancer, il faut que je me repose un peu. — Faites comme ça vous arrange, répond Renart, quant à moi, je m'en vais, car, je n'ai pas mangé de la journée, alors je dois trouver un morceau. » Ysengrin le recommande à Dieu, puis se couche sous un arbre, tellement il est crevé. Renart s'en va d'un pas décidé, mais, à peine parti, il se dit qu'il jouerait bien un tour à son compère, au nom de saint Pierre. Pour voir ce qu'il va faire, il se cache dans un petit buisson, tandis qu'Ysengrin s'endort. Renart ne perd pas son temps, au contraire, il réfléchit à ce qu'il peut faire pour le tromper. Il sort alors du buisson, et se dirige vers lui par petits bonds, pour constater qu'il dort à poings fermés. Il confectionne alors une corde avec une petite branche de chêne, puis retourne vers le loup, toujours allongé sous l'arbre, loin d'imaginer qu'un malheur pourrait lui arriver, au contraire, il se repose avec paisibilité. Renart, toujours aussi perfide et méchant, avec plus d'un tour dans son sac, lui attache les pattes de derrière au chêne avec la corde, si fort que même en cas de danger de mort, le loup serait incapable de se dégager. Renart ne peut s'empêcher de rire en voyant ça, puis s’éloigne un peu en retrait du chemin, pour voir ce qui va arriver à Ysengrin, ainsi allongé là. | 20696 20700 20704 20708 20712 20716 20720 20724 20728 20732 20736 20740 20744 20748 20752 20756 20760 20764 20768 20772 20776 20780 20784 20788 20792 20796 20800 20804 | Que cler chantent cil oiseillon Pour le tens qui est nez et purs Que Renart fu dedenz ses murs De Malpertuis son fort manoir, Mes mout ot le cuer tristre et noir Por sa viande qui li lasche. Durement s'estraint et soufasche, De fain li deulent li bouel. Devant lui voit venir Rovel Son filz qui de fain va plorant, Et Hermeline maintenant Qui mout estoit et simple et coie, Et Malebranche et Percehaie Qui mout par font chierre dolente. N'i a celui ne se demente, De leur mere sont mout dolent Qui pleure de fain durement, Et mout par font dolente chierre. Renart li dist en tel maniere : « Por qoi vos voi je si atainte ? — Sire, fet el, je sui ençainte, D'enfant ai tout le ventre plain, Si ai certes isi grant fain Que j'en cuit perdre mon enfant. » Duel ot Renart, quant il l'entent, A poi que n'a son sens perdu. A Hermeline a respondu : « Dame, ne vos esmaiez pas, Qar foi que doi saint Nicholas Assez vos en feré avoir. Il m'estuet maintenant movoir A aler la ou Diex m'avoit Qui par tens viande m'envoit Tout ainssi conme je le voil. » A tant feri le pié au soil, Si s'en ist hors de maintenant. Durement va Dieu reclamant Que il viande li envoit, Que mout grant mestier en avroit. A tant s'en entre en .I. plaissié, Tout belement le col bessié, Si va savoir et esprover Se viande porroit trover. Belement s'en vet tot le pas, Sovent coloie haut et bas, Et quant il a coloié tant, Si regarde et voit venant Sire Ysengrin son chier compere. Mes onques foi que doi saint Pere, Ne vit beste de tel aïr. « Sire, bien puissiez vos venir ! » Fait il et li leus l'esgarda. « Renart, fait il, ce que sera ? Venez vos ent mout tost de ci : Aprés moi viennent, je vos di, Trestuit li vilain d'une vile. Se il vos pranent, par saint Gile, Il vos metront tout a essil. — Sire, ce respont le gorpil, Alan en donc sanz atargier. » A tant se metent au frapier Entre Renart et Ysengrin, Ne tindrent voie ne chemin, Que chascun durement se doute. Mes li vilain en ont la route Perdue et retorné s'en sont, Et cil mout durement s'en vont Qui n'orent cure d'arester. Lors se pranent a regarder, Mes li vilain ne vindrent pas. Dist Ysengrin : « Je sui si las Que bien sachiez par saint Omer Que ne puis en avant aler ; .I. petit reposer m'estuet. — Ainssi le fet qui miex ne puet, Fait Renart, et je m'en irai, Car hui en cest jor ne menjai, Si irai querre ma viande. » Ysengrin a Dieu le conmande, Que mout fu las et traveilliez, Lors s'est soz .I. arbre couchiez, Et Renart s'en va durement. Mes n'ot gaires alé avant, Qu'il jura foi qu'il doit saint Pere Qu'il engingneroit son compere. Savoir velt con se contendra, En .I. buisonnet se muça, Et Ysengrin si s'endormi. Renart ne le mist en oubli, Ainz se porpense qu'il fera Et conment il l'engingnera. Lors est hors du buisson issuz Et vient a lui les sauz menuz Et voit qu'il dormi durement. Une hart a fait maintenant D'un plançon de chesne menu, Et puis en est au leu venu Qui desoz l'arbre se gisoit Con cil qui nul mal n'i pensoit, Ainz se gisoit trestot en pes. Renart qui fu fel et engrés Et qui fu plains de grant voisdie Par les piez deriere le lie De la hart au chesne si fort Que se l'en le chaçast a mort, Ne se peüst il remuer. Renart le voit, ne puet muer Qu'il ne rie, puis si s'en torne. .I. poi fors de la voie torne Por savoir conment avendroit A Ysengrin qui se gisoit. |
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