que quoi qu'il puisse dire il n'entrera pas dans la maison de Renart. Que voulez-vous ? il devra s'en passer, néanmoins il lui demande un morceau de viande : « Allez, donnez-moi juste un tronçon, je ne le demande pas seulement pour goûter, mais quel bonheur d'avoir pêché et écorché ces anguilles si vous consentez à en manger. » Renart, qui sait fort bien flatter, prend deux tronçons d'anguille qui rôtissent sur les charbons. Elle est tellement cuite qu'elle s'émiette, et toute la chair se détache. Il en mange un, et apporte l'autre à celui qui est à la porte. Alors il dit : « Compère, approchez un peu, et prenez ainsi de cette pitance, par charité, de la part de ceux qui ont toute confiance que vous serez moine un jour. » Ysengrin dit : « Je ne sais pas encore ce que je serai, ça peut bien se faire; quant à cette pitance, très cher maître, donnez la moi vite. » Renart lui donne, et il la prend et s'en acquitta aussitôt; il en mangerait bien plus encore. Renart lui dit : « Comment ça vous semble ? » Le glouton frémit et tremble, il brûle de gourmandise : « Vraiment, fait-il, seigneur Renart, vous serez bien récompensé pour cela, donnez-m'en donc encore un, très cher compère, pour m'encourager à rentrer dans votre ordre. — Par mes bottes, lui dit Renart, qui est tellement plein de malice, si vous vouliez devenir moine, je ferais de vous mon maître, car je sais bien que les seigneurs vous éliraient comme prieur avant la Pentecôte, voire comme abbé. — Me dites-vous la vérité ? » Renart répond : « Oui, cher seigneur, sur ma tête, j'ose bien vous le dire, vous feriez un bel ecclésiastique, une fois que vous auriez revêtu la robe par-dessus votre pelisse grise. Il n'y aurait pas de si beau moine dans l'église. — Aurai-je suffisamment de poisson jusqu'à ce que je sois rétabli de ce mal qui m'a abattu ? » Et Renart lui répond : « Mais autant que vous pourrez en manger. — Alors faites-moi tonsurer. » Renart dit : « Plutôt, raser et tondre. » Ysengrin se met à grogner quand il entend parler de raser : « S'il n'y a pas d'autre moyen, fait-il, compère, rasez-moi vite. » Renart répond promptement : « Vous aurez une couronne grande et large, si ce n'est que l'eau doit être chauffée. » Vous allez maintenant entendre un joli tour. Renart met l'eau sur le feu, et la fait bien bouillir. Puis il revient vers lui et lui fait passer la tête par un trou à côté de la porte. Ysengrin tend le cou. Renart qui le prend vraiment pour un sot, lui renverse l'eau bouillante d'un coup sur la tête. Il en a vraiment trop fait, quelle sale bête ! Alors Ysengrin secoue la tête, montre les dents, fait mauvaise mine, se retire à reculons, puis s'écrie : « Renart, je suis mort, qu'un malheur vous arrive aujourd'hui même ! Vous m'avez fait une trop grande tonsure. » Renart lui tire une langue d'un bon demi-pied hors de la gueule : « Seigneur, vous n'êtes pas le seul à l'avoir car tout le couvent l'a pareillement. » Ysengrin dit : « Je crois que vous mentez. — Non, seigneur, ne vous tracassez pas, mais en cette première nuit il convient de vous mettre à l'épreuve, comme le saint ordre nous le commande. » Ysengrin dit tout bonnement : « Je ferai tout ce qui relève de l'ordre, n'en ayez aucune crainte. » Renart a maintenant la garantie qu'il ne lui fera aucun mal, et qu'il se comportera selon ses conseils. Renart l'a si bien manœuvré qu'il l'a complètement dupé. Alors il va tout droit vers Ysengrin, qui se plaint fortement parce qu'il est rasé de trop près, et que ni poil ni cuir n'est resté. Sans en dire plus ni s'attarder, tous deux s'en vont d'ici Renart devant et l'autre après, jusqu'à ce qu'ils arrivent près d'un étang. | 976 980 984 988 992 996 1000 1004 1008 1012 1016 1020 1024 1028 1032 1036 1040 1044 1048 1052 1056 1060 1064 1068 1072 1076 1080 | Qu'en la meson Renart por rien Qu'il puisse dire n'enterra. Et que volez ? si souferra, Et neporquant il li demande .I. seul morsel de sa viande : « Car m'en donnez .I. sol tronçon ! Nel di se por essaier non. — Mes bon fussent eles peschies Les anguilles et escorchies, Se vos en daingnïez mengier. » Renart qui bien sot losengier Prist des anguilles .II. tronçons Qui rostissent sor les charbons. Tant fu cuite que toute esmie, Et desoivre toute la mie. L'un en menja, l'autre en aporte A celui qui est a la porte, Lors dist : « Compere, ça venez .I. poi avant et si tenez Par charité de la pitance A ceus qui bien sont a fiance Que vos serez moines encore. » Dist Ysengrin : « Je ne sai ore Quel je seré, bien porra estre, Mes la pitance, biau doz mestre, Que me bailliez isnelement. » Renart li baille et il la prent, Qui mout tost en fust delivrez, Encor en menjast il assez. Ce dist Renart : « Que vos en semble ? » Li lechierres fremist et tranble, De lecherie esprent et art : « Certes, fet il, sire Renart, Cil vos ert bien guerredonnez. Encore .I. seul car m'en donnez, Biau doz compere, por amordre Tant que je fusse de vostre ordre. — Par nos botes, ce dit Renart Qui mout fu plains de males ars, Se vos volïez moines estre, Je feroie de vos mon mestre, Car je sai bien que li seignor Vos esliroient a prior Ainz Pentecoste, ou a abé. — Avez me vos dit verité ? » Renart respont : « Ouil, biau sire, Par mon chief je vos os bien dire, En vos aroit bele persone Quant avrïez vestu la gonne Par desus la pelice grise ; N'aroit si biau moine en l'iglise. — Avroie je poisson assez Tant que je fusse respassez De cest mal qui m'a confondu ? » Et Renart li a respondu : « Mes tant con vos poriez mengier. — Donques me faites rooingnier. » Et Renart dit : « Mes rere et tondre. » Ysengrin conmença a grondre, Quant il oï parler de rere : « Or n'i a plus, fet il, compere, Mes reez moi isnelement. » Renart respont hastivement : « Avroiz coronne grant et lee, Ne mes que l'eve soit chaufee. » Oïr pouez ici biau gieu : Renart mist l'iave sor le feu Et la fist trestoute boillant. Puis li est revenuz devant, Et sa teste encoste de l'uis Li fet bouter par .I. pertuis, Et Ysengrin estent le col. Renart qui bien le tint por fol, L'eve boillant li a jetee Desus la teste et reversee. Mout par a fet que male beste. Et Ysengrin escoust la teste Et rechine et fet lede chierre. A reculons se tret ariere, Si s'escria : « Renart, mort sui. Male aventure aiez vos hui ! Trop grant coronne m'avez faite. » Renart li a la langue traite Bien demi pié fors de la geule : « Sire, ne l'avez mie seule, Que autresi l'a li couvenz. » Dist Ysengrin : « Je cuit que menz. — Non faz, sire, ne vos anuit, Mes iceste premiere nuit Vos covient il metre en esprove, Que la sainte ordre le nos rove. » Dist Ysengrin : « Mout bonnement Feré ce que a l'ordre apent. Ja mar en serez en doutance. » Renart en a pris la fiance Que par lui mal ne lor vendra, Et a son los se maintendra. Tant a fait et tant a ovré Renart que bien l'a asoté, Et vint a Ysengrin tot droit Qui durement se complaingnoit De ce qu'il estoit si pres res, Que cuir ne poil n'i est remés. N'i ot plus dit ne sejorné, Andui se sont d'ilec torné, Renart devant et cil aprés, Tant qu'il vindrent d'un vivier pres. |
1053 : "s'écrit" à corriger par "s'écrie".
RépondreSupprimer974 : "quoiqu'il puisse dire" à corriger par "quoi qu'il puisse dire".
RépondreSupprimerC'est corrigé. Merci d'avoir signalé les fautes.
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