avant que Renart vienne tout doucement dans sa maison, quand il est en train de dormir, et fasse tranquillement une ouverture. Grâce à la vigueur de ses efforts répétés, il en fait sortir les trois jambons à l'extérieur. Il les emporte dans sa maison, puis les découpe en morceaux, et les met dans son lit, à l'intérieur de la paillasse. Ysengrin se lève de bon matin. Il voit sa maison découverte et constate la perte de ses trois jambons : « Aïe ! dit-il, dame Hersent, on s'est joué de nous outrageusement. » Elle saute sur ses pattes comme une folle, toute nue et échevelée. « Mon dieu, dit-elle, qui a fait ça ? C'est là un dommage insensé et horrible. » Il ne savent qui soupçonner, il ne reste plus à tous deux qu'à se mettre en colère. Quand il a fini de manger, Renart s'en va s'amuser dans leur maison tout joyeusement. Il trouve son oncle tout triste : « Mon oncle, dit-il, qu'avez-vous ? Je vous vois pensif et irrité. — Cher neveu, dit-il, il y a bien de quoi. Mes jambons sont perdus, tous les trois, j'en ai le cœur plein de douleur et de colère. » — Oncle, dit-il, vous devez l'annoncer maintenant. Si vous dites à travers la rue que vous avez perdu cette viande, après ni parent, ni ami, ni amie ne vous en réclamera jamais. — Cher neveu, fait-il, je te le dis pour de vrai, je les ai perdus, et ça me pèse. » Renart répond : « Je n'ai rien entendu de tel avant, celui qui se plaint mais n'a pas du tout mal. Je sais bien que vous les avez mis en sûreté par crainte de vos parents et amis. — Dis donc, fait-il, tu te moques ? Par la foi que tu dois à l'âme de ton père, tu ne crois donc pas ce que je dis ? — Racontez quand même, dit Renart, continuez ainsi. — Renart, lui dit dame Hersent, Je pense que vous n'êtes pas sensé; si on ne les avait pas perdus, jamais on n'en refuserait, fût-ce à un moine. — Dame, dit-il, je le sais bien que vous avez beaucoup de malice et de ruse. D'ailleurs, tellement il y a perte, vous avez même découvert votre maison, dites maintenant qu'ils ont été tirés par là. — Par Dieu, Renart, les faits sont ainsi. » Renart répond : « C'est ce que vous devez dire. — Renart, je n'ai pas envie de rire; ça me pèse qu'ils soient perdus, nous avons eu là un grand dommage. » Là-dessus Renart s'en va joyeux, et eux restent là à se plaindre. Ce fut un des exploits de jeunesse de Renart. Depuis, il a tant appris en ruse et en malice, qu'il a causé ensuite bien des ennuis, et à son oncle et à autrui. |
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Que Renart vint tot coiement En sa meson, quant il dormi ; Tout coiement la descovri. Par tel vertu assaut ses cors, Les .III. bacons en gita fors. En sa meson les enporta Et par pieces les despeça, En son lit les mist en l'estrain. Ysengrin est levez bien main, Il vit sa meson descoverte Et de ses .III. bacons la perte. « Ahi !, dist il, dame Hersent, Conchïé sonmes laidement. » Ele saut sus conme desvee Toute nue et eschevelee. « Diex, dist ele, qui a ce fait ? Ci a estout donmage et lait. » Ne le sevent sor qui souchier, N'a entre eus .II. que coroucier. Conme ce vint aprés mengier, Renart s'en vint esbanoier En la meson mout lieement, Son oncle trove mout dolent. « Oncle, dist il, que avez vos ? Pensis vos voi et corouços. — Biau niez, dist il, bien sai de qoi. Perdu sont mi bacon tuit troi, S'en ai au cuer dolor et ire. — Oncle, dist il, or devez dire. Se vos dites a val la rue Que cele char aiez perdue, Puis ne vos en rovera mie Parent ne ami ne amie. — Biax niez, fet il, por voir te di, Perdu les ai, ce poise mi. » Renart respont : « Ainz n'oï tal : Tiex se plaint n'a mie de mal. Bien sai qu'en sauf les avez mis Por vos parenz, por vos amis. — Di va, fet il, es tu gabierre ? Foi que tu doiz l'ame ton pere, Et ne croiz tu ce que je di ? — Tout tens dites, dist Renart, si. — Renart, ce dist dame Hersens, Je cuit vos estes fors du sens. Se nos nes eüssons perduz, Ja escondit n'en fust renduz. — Dame, dist il, je le sai bien Que mout savez d'art et d'engien. Nequedent tant i a de perte, Vo maison avez descoverte : Or dites par la en sont tret. — Par Dieu, Renart, si sont il fet. » Renart respont : « Ce devez dire. — Renart, n'en ai talent de rire. Ce poise moi qu'il sont perdu, Grant donmage i avon eü. » A tant s'en va Renart joianz, Et cil remestrent tuit dolenz. Ce fu des enfances Renart. Tant aprist puis d'engin et d'art Que il en fist puis maint anui Et a son oncle et a autrui. |
V. 241:
RépondreSupprimerCertes, "estrain" veut bien dire "paille"; mais le rapport avec le lit n'est pas forcément évident. On pourrait tirer parti de la seconde signification de "estrain" (= litière) pour traduire par "paillasse".
D'autre part, j'inverserais les deux traductions respectives de la préposition "en" ("dans son lit, à l'intérieur de la paillasse"); car je vois bien "en l'estrain" comme une hyperbate à valeur explicative (renforcée d'ailleurs par le rejet à la rime) qui précise ce qui précède: "en son lit" marque des limites spatiales que localisent précisément "en l'estrain".
V. 249 et 257:
Je rajouterais le possessif "mon" avant les vocatifs: "mon Dieu!" et "mon oncle". Ce sera sans doute moins sec.
V. 254-255:
On peut bien sûr interpréter la parataxe un peu comme on veut, mais connaissant l'esprit de notre Renart, l'emploi neutre de "esbanoier" me suggère une valeur de but. Cela perturbe un peu l'ordre de la phrase, mais pas suffisamment pour que cela ne puisse s'expliquer par les contraintes de la rime. Aussi: "Renart s'en vint en la meson esbanoier moult lieement." Ce qui donne: "Renart s'en va tout joyeusement dans leur maison pour se distraire."
V. 291-292:
"Remestrent" vient de "remanoir" (= demeurer, rester). En fait, le distique est construit sur une exacte opposition entre les termes de vers à vers: "s'en va"/"remestrent" et "joianz"/"dolenz".
V. 295:
Attention, vous n'avez pas traduit "puis": "qu'il a causé par la suite bien des ennuis…"
[commentaire déposé le 6 janvier 2010]
Merci pour votre commentaire. Toutes vos corrections ont été prises en compte.
RépondreSupprimerligne 295 : "qui a causer" -> qui a causé
RépondreSupprimerLa faute est corrigée. Merci.
RépondreSupprimerDans la traduction du vers 291, il y a répétition du mot "Renart".
RépondreSupprimerLa faute est corrigée. Merci.
RépondreSupprimerNequedent: cependant, néanmoins. Selon le dictionnaire d'ancien français de Greimas...
RépondreSupprimerC'est exact, mais "cependant, néanmoins" conviennent moins bien que "d'ailleurs" dans ce cas.
RépondreSupprimerquelle est la morale
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