jeudi 27 octobre 2016

Le paysan Liétart - Le monde est injuste avec Renart




Renart arrive à Maupertuis,
O


r est Renart a Malpertuis,
et ferme sa porte à double tour.
Il est bien mal en point, et se plaint.
Hermeline, sa femme,
nettoie et recoud ses plaies.
Renart lui dit : « Ma douce femme,
il est incroyable qu'en ce bas monde,
celui qui ne veille qu'à faire le mal,
celui qui tue, qui vole,
celui qui s'attaque au bien d'autrui
par de faux témoignages ou grâce à l'usure,
celui qui se fiche bien d'être loyal,
il ne lui arrive jamais rien de mal,
le malheur ne s'abat jamais sur lui.
Il récolte tous les honneurs du monde,
et il ne manque de rien.
Il arrive toujours plus de misères
à celui qui se retient
de faire ou dire du mal,
qu'à celui qui en fait chaque jour davantage.
Je le dis, car je le sais très bien.
Moi, qui ai l'habitude de tromper
les gens, d'attraper ou de trahir les bêtes,
de me défendre de toute honnêteté,
et de me garder de bien agir,
je ne manque jamais de rien.
Je n'ai jamais refusé
tout ce qui est bon pour un homme,
j'ai eu de tout en quantité,
j'ai toujours bu et mangé à mon gré.
Ni homme ni bête ne me tourmente,
rien ne me manque.
Mais, pour une fois que j'ai voulu bien faire,
ce qui d'ordinaire ne me plaît guère,
et que je pratique très peu,
il ne m'est arrivé que des misères.
Le malheur s'est acharné sur moi pour avoir bien agi.
Je ne ferai plus jamais preuve
de bonté, de loyauté ou de justice.
La seule fois de l'année
où je me suis appliqué à rendre service,
le diable m'a donné
une sacrée récompense.
Que le malheur et la ruine
s'abattent sur moi et mes biens,
si jamais je cherche de nouveau à être bon !
C'est certain, je ne ferai plus jamais le bien,
et je ne me retiendrai plus désormais
de mal agir en toutes circonstances.
Il n'y a rien d'autre à faire
que le mal, j'en suis convaincu.
Faites-moi confiance,
je n'ai jamais autant souffert, ni eu autant honte
pour avoir bien agi une seule fois,
que pour tout le mal que j'ai pu faire.
— Mon cher seigneur, racontez-moi tout,
dit-elle, je vous le demande au nom de Dieu,
qui vous a infligé un tel tourment ?
Vous êtes pelé de partout,
dites-moi sans rien omettre
qui vous a récompensé ainsi,
— j'en ai le cœur brisé —
en vous écorchant de la sorte. »
Renart, durement affligé,
lui répond en soupirant :
« Ah, je perds mes forces,
Hermeline, ma douce amie,
mais je ne me laisserai pas abattre
par la douleur et la faiblesse,
pour que vous entendiez la vérité,
comment j'ai été malmené,
comment je me suis fait attaquer,
comment j'ai reçu un mal pour un bien.


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Bien frema sa porte et son huis.
Il se plaint mout et se deshaite.
Ses plaies lïe, si s'afaite
Hermeline qui ert sa fame.
Renart li a dit : « Douce dame,
El monde a une grant merveille
Que cil qui a mal fere veille,
Cil qui murtrist et cil qui emble,
Et qui autrui avoir assemble
Ou par faux plet ou par usure,
Cil qui de loiauté n'a cure,
A celui ja ne mescharra
Ne ja ne li mesavendra.
C'est li plus honorez del monde ;
C'est cil a qui toz biens abonde.
Plus meschiet il et mesavient
A celui qui asdez se tient
Et de mal fere et de mal dire
Qu'a celui qui tout jors empire.
Je di ce que je sai de voir.
Je qui soloie decevoir
Genz et bestes prendre et traïr,
Et toute loiauté haïr,
Et de bien fere me gardoie,
De touz biens toz dis habondoie.
N'avoie de chose degete
Qui por aise d'ome fust fete.
De tout avoie je plenté,
Bevoie et mengoie a mon gré.
Hons ne beste ne m'asailloit,
Nule chose ne me failloit.
Mes por ce que je voil bien fere
Qui onques mes ne me pot plere,
Et qui mout poi l'ai maintenu,
Por ce m'est il mesavenu.
Mal m'est por bien fere venu.
Ja mes par moi n'ert maintenu
Ne bien ne loiauté ne droiz.
Por ce que ouan une foiz
A voie a bien fere entendu,
M'en ont li deable rendu
Le guerredon et la deserte.
Mal donmage et male perte
M'aviengne de moi et du mien
Le jor que ja mes ferai bien !
Certes ja mes bien ne ferai,
Ne a nul jor ne me tenroi
De mal fere en nule maniere.
Il n'a gueres ça en ariere
De mal fere, si con je croi.
Par cele foi que je vos doi,
Plus ai soufert et honte et lait
Por .I. sol jor que j'ai bien fait,
Que por mal que je feïsse onques.
— Biau sire, or me dites donques,
Fet ele, a Dieu vos conmant,
Qui vos a mené cest torment ?
Mout par estes peleïciez ;
La verité m'en deïssiez
Ou l'en vos a si desertez,
— Mout par en ai le cuer irez —
Et ou fustes si descirez. »
Renart qui fu forment irez
Li respondi en soupirant :
« Mout me va la force empirant,
Hermeline, ma douce amie,
Et por ce ne lairé je mie
Por dolor ne por foibleté,
Que vos n'oiez la verité
Conment j'ai esté mal bailliz
Et conment je sui asailliz,
Conment j'ai mal por bien trové.
L'ours, Renart et le paysan Liétart C'est de l'ours et du Renard et du villain Lietard (28)
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